03 mai 2008
Carnets pelés 21 - Gosseux de poils de grenouille
Toujours est-il que j'ai fini par racheter la terre.
J’ai rouvert la maison en avril.
J’y ai trouvé l’abandon et la sauvagerie. Partout. De fond en comble.
Les châssis doubles n’avaient pas été enlevés depuis trente ans! Des hordes de chats effarouchés, avec du pus au coin des yeux et de la morve au nez, courraient se réfugier d’un bâtiment à l’autre. On venait les nourrir en cachette.
Avec une fourche, j’ai zébré l’épais ramassis de fils d’araignées dans la cave de terre battue; on aurait dit un rideau de stalactiques figé, des vagues de poussière suspendues dans la noirceur humide du temps.
Mets ensemble tous les mots grattelle de navire éclopé que tu peux, pis brasse-les!
C'était un carnaval de dislocations, de malheurs chavirés, de vie arrêtée.
Mais c’est plus fort que moi : je sais l’envers de la solitude égorgée sur cette place. J’ai mémoire des lilas et des gadelles, des folles avoines qui ensoleillaient le bord des étangs; du bleu caché dans la neige rendu au mois de mars; des matins de noces de mes grandes sœurs avec des invités partout et ces belles dames toilettées, on aurait dit des pivoines marchant dans la cour; j’ai mémoire du bois scié, cordé; des étés engrangés; des pelletés de terre, de neige, de fumier, de la sueur épongée, des échardes, des ampoules; les crapauds, les couleuvres, les barbots; les bêtes contentées; la propreté de ma mère; je me souviens de la langueur des dimanches un peu plattes où l'on se berçait à l'ombre sous le gros érable en avant de la maison et des midis calumets si brefs des jours de la semaine percolant à la radio dans les cascades des Joyeux Troubadours...
J’ai tout sorti dehors : matelas de plumes, manteaux mités, guenilles, prélarts, piles de journaux datant de la nationalisation de l’électricité...
Cinquante ans de vie comme une montagne qui déboule.
J'ai fait des feux pendant des jours entiers dans un vieux baril édenté.
Je suis le dernier des boucaniers. Je tourne la page.
Je n'en finis plus de rentrer dans un temps qui me renvoie à lui-même et me fait disparaître.
J'ai retrouvé dans l’ancien potager ma balle rouge brique avec des marques de crocs de chien imprimées dedans.
Enfance télescopée.
J'ai retrouvé la vieille boîte aux lettres en aluminium avec, sur les deux côtés, le nom de mon père, Doloré, tracé en lettres noires de sa main. Il faudrait la débosseler, l'arranger un peu, pour la fixer à nouveau sur un piquet de cèdre afin de recevoir, qui sait, les nouvelles et les cocos de la sittèle, du pic flamboyant, du goglu...
Cela n'a pas grand allure d’attendre encore quelque chose, n'est-ce pas?
Mais voilà tout mon trésor.
Ma nouvelle manière d'écrire.
Avec un ancien pas de prairie qui me fait sourire.
Voilà mon air. Mon feu. Ma solitude. Mon agir. Mon incompréhension.
Ma cédrière où il ne se passe jamais rien. D'où le mystère...
Ma riche pauvreté d’ailes de monarque en cette fin de siècle de ruine babioles.
Voilà mon pied d’athlète de «gosseux de poils de grenouille».
18 octobre 1996 - 3 mai 2008.
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5 commentaires:
J'avais des goûts étranges. J'aimais les chemins perdus, les odeurs du fumier, les masures secrètes.Je dégringolais dans les talus-mésanges, les collines tourterelles, les vallées-saumons. Je parlais aux chevaux. Je saluais des soleils levants aux lucarnes borgnes. Je secouais les jours avec toute ma rage. Je voulais des heures royales sur les grimaces des cadrans. Je frappais aux fermes des vieux parentages. J'appelais dans les décombres des lyrismes neufs, des triomphes désuets. Il fallait que tout soit autrement. Nous rations la fête par des devoirs absurdes et des coutumes de mouche.
Le cheval couché. XAVIER GRALL
Je crois que je t'en avais déjà parlé (Al Zeimer me guette avec son fusil à pomper la mémoire). En tout cas y'a de la parenté chez toi avec celui qui se dénommait l'Aztèque.
Je m'envoyais en l'air avec cette turpidence que seul un zouave ou une estrière de verdanche aurait pu émouvoir la sentinelle qui s'éprend de la louve harnachée; c'était derrière le bâtiment détrempé des Frenette, sorte de garde-manger pour les fous de Bassan qui virevoltent à tire d'aile entre deux plumes de boucanier usé et mou.
Je festoyais avec les brebis galantes qu'un hôte furibond avait laissé glaner sous les pieds de la frangèle, c'était un hymne à la science déconfite des perdeurs de change savants et signifiants; on les dorait sur des pics de fardoche entre les murmures des feuilles sonores qu'expulsait le grand ténor de son membre de cuivre.
Elles en bavaient.
Non, Rimo, tu ne radotes pas (toi non plus) et ce Xavier de cambrousse que tu me présentes m'était inconnu; mais j'ose affirmer que son pays aux palettes d'oiseaux et aux coutumes de mouches me fait siffler des syllabes spontanées.
Leroy, wow! Quelle verve en terrain migratoire sur fond blanc increvable de fous de Bassan! Tu es à présent et pour toujours harponné sur la gogoune à la rubrique du moulin de Frangèle et parmi les mots rares : turpidence, verdanche. On en gagne son latin.
j'adore ce voyage que je viens de faire en lisant ton carnet poilu ;)
quel phénomène tu fais Jack !
Wow !
Ô, merci Karo!
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