28 novembre 2016

Sauvageon

Photo JD., Béthanie, 27 novembre 2016.

Sauvageon
dans le pacage
abandonné 
couleur de paille 
quelque part
en Estrie
petite neige chevrotante
au bord du coeur
sur fond de ciel 
tombant
d'amour en gris,
un sauvageon 
sur la frontière 
de roches
s'efface en silence
il fait dans la dentelle





Je ne fais pas exprès

Photo JD, petite sucrerie, Béthanie, 27 novembre 2016.

je ne fais pas exprès
c'est mon visage
c'est mon oeil
c'est le miroir
de mon jumeau

c'est la forêt






26 novembre 2016

L'espionne Fontaine


L'ESPIONNE FONTAINE

Histoire de brosse qui aurait pu mal tourner 
sur un bateau à Sept-Îles...

Tu parlais haut
comme s'il avait fallu 
fendre leur bagne
pendant que nous étions encore 
livres

J'ai pacagé sans orgueil
dans les enclos de ton amer
pris à deux mains les signaux 
la solitude artésienne
l’emblème du désespoir

Puis, nous avons sacré le camp
jusqu’à l’aurore
en tapochant
sur la coque du délire

Combien d’enfants avons-nous bercés
avec nos sacs de rêves, 
nos rimes éveillées?

Nous étions peut-être
de ce pays malvenu
qui broie les tam-tams 
sous les tempêtes blanches
avec tant de prénoms avortés,
de têtes en éclisses,
tant de prénoms 
lichés par les chiens...

Ta Denise empourprée
est apparue soudain 
à l’horizon...

Elle me hante depuis
comme une affiche
clouée dans la mémoire
qui déroule ses lettres rouges
dans la poussière des coulisses
abracadabrantes

Tu m'en avais tant et tant parlée,
de la tête aux pieds à l’édredon
perles de blés sur la peau
une vagueresse

J'en oublie les miettes qui nous guettaient 
à la fin de nos soirées d'ivrognerie
parties en barque à la dérive
sous la bruine infinie
des bouteilles cassées
de nos poèmes

Tristesse lumineuse
vieux rabot tenu au chaud 

dans la gorge 

comme une brise d'ange
sur l’émerillon qui accoste

Denise comme une fontaine
perdue dans la brume!

Denise étoilée, brûlante 
sur un corps coupable,
je la chante contemplatif,
je sors des vieux rock’roll pour elle
je souffle dans son cou d'espionne, 
j’invente ses seins...

Je connais le secret de ses cheveux 
couleur geai d’Indale,
ses lèvres roses...

La caresse d’un soleil
qui picosse la glace en avril
m'a fait grimper sur un cheval vert,
et j'ai répété partout en ville
tes menteries de Drambuie

Mon fol ami du maquis! 





22 novembre 2016

Gabriel Anctil : « Tu verras que ma vie est devenue une aventure »


Une montagne de choses à faire, quelques inquiétudes autour de moi m'ont empêché de dire un mot plus tôt du lancement le 7 novembre dernier au Cheval blanc de la rue Ontario du plus récent récit « pour adultes », car il écrit aussi pour les enfants, de Gabriel Anctil : Les aventures érotiques d'un écorché vif (coll. Quai No 5, XYZ éditeur, 2016, 381 pages).

Il y avait beaucoup de beau monde à ce lancement. La file coincée le long du bar pour la signature du roman était tissée serrée. Gabriel recevait chacun et chacune avec attention. Si bien que debout, sans aucune préméditation ou impatience, la bulle personnelle tanguait parfois, c'était gênant, vers la dame inconnue à mes côtés, je lui ai quasiment pilé sur les pieds à un moment donné. Plus tard, une fois dégagés, nos excuses réciproques et son si beau sourire ont aussi fait ma soirée.

J'ai parcouru au retour en métro les premières pages. J'ai été d'emblée absolument captivé. La suite m'est réservée. Je ne peux donc pas parler pour le moment du roman en son entier, n'étant rendu qu'à la page 38, chez Marie-Aimée-Bienheureuse! 

Ces premières lignes de l'écorché vous font littéralement saigner la mémoire si comme Mathéo, le narrateur, et bien sûr, c'est très commun, vous avez aussi connu par un jour gris le triste passage d'un camion de déménagement venu clore une histoire d'amour. 

Photo Jacques Desmarais, Gabriel Anctil, Le Cheval blanc, 7 novembre 2016.
Frôlerait-on la pure fiction, la dépression capitale sous le coup d'une synchronicité venue de la malice et de l'ingratitude si, en plus des vieilles gales, il fallait imaginer un lecteur — désolé, dans le fil de ce roman et de ma supposition, ça ne peut pas être ici une lectrice — tombant sur les premières pages de ce récit alors qu'il vient tout juste de se faire slacker et disloquer?

Mais Matante Loulou arrive vite au secours. Elle tâte bien le terrain. Son décolleté fait oups, nous titille, elle met la table, nous fait entendre d'entrée de jeu qu'il n'y en aura pas seulement pour l'écorché vif dans le titre, que c’est parti pour « les aventures érotiques »!

À mon regret, j'avoue ne pas avoir lu à ce jour les romans précédents de Gabriel. J'ai toutefois suivi avec passion la série radio qu'il a imaginée, Sur les traces de Jack Kerouac, présentée à la radio de Radio-Canada à l'automne 2014. Intuition qui en vaut d'autre, j'aborde fraîchement l'écriture de Gabriel en résonance, quelque part au moins, à l'aventure littéraire de Kerouac, ce grand frère poqué de Lowell qui nous interpelle parce qu'il a résolument voulu raconter sa vie, qu'il ne pouvait pas faire autrement. Je trouve que sur cette route de l'autofiction, faute de dire mieux, Anctil va très loin et place la barre haute. Il le fait en pleine possession de ses moyens de jeune homme de 35 ans, écrivain attisé, persistant, talentueux, à mon humble avis très courageux. Par son projet littéraire, l'auteur a résolu de nous faire signe en montrant que l’éconduit, le blessé à l’os, avec sa part de monstre et d’ombre à lui aussi, peut transformer sa vie plate et dure en aventure humaine enrichissante sans pour cela jouer du nombril ou du temps présent monté en épingle, cultiver le fiel, renier ses amours et son corps, que cela est possible à la force du poignet et des mots sans prendre les autres, à cause du ressentiment, pour des objets jetables après usage.

Lors du lancement, nous pouvions aussi être témoins de l’amour du père pour les prunelles de ses yeux, ses deux beaux garçons. Cela n’est pas rien dans la mire du réel.

Cette humanité au-delà de l'éclatement, c'est aussi ce qu'a retenu  Danielle Laurin dans le très beau compte rendu publié au Devoir le 5 novembre 2016.  



20 novembre 2016

Fin de saison

Photo JD., Béthanie, 20 novembre 2016. 
Fin de saison


Fin de saison
vente sale
grande liquidation
oyez! oyez!
on passe à autre chose
hâtez-vous!
tout va disparaître
le prix des branches est ridicule
le nombre d'or est quasiment donné...
oui, mais je n'ai besoin de rien
j'ai décidé que mon petit coeur
de sauvageon existait pour vrai

il est né juste devant
le pommier
des duchesses
par un jour d'amours improbables
qu'il neige en paix! 







Le Marquis de Sad


Le Marquis de Sad
Le marqué aux prunes
O Marquês
de la tristeza
le sorrowful dolor au Dolorida
attristé entristecido
peiné éploré triste
distressed déconcrissé
deshabitato
adolorida
inhabité
déserté
desolate
desolado de la grande soif
embarrassé navré confus déshydraté
so sorry mon Doloré
apenado
tout nu en pleine face sur le banc
abandonné dehors
desculpe

Désolé pour le deranjament.

16 novembre 2016

Kareen Messing : Les souffrances inutiles

Belle conversation téléphonique plutôt cette semaine avec l'ami Jocelyn Villeneuve, mon partenaire dans les répétitions de musique qui exerce aussi avec passion la profession d'ergonome. Je l'ai mis sur la piste d'une interview de l'admirable Karen Messing entendue dimanche dernier à l'émission de sciences Les années lumières, autour de la parution en français de son livre Les souffrances invisibles (Écosociété). Madame Messing plaide depuis plusieurs années pour que la recherche appliquée en ergonomie s'intéresse à la santé et à la sécurité des personnes qui occupent des emplois répétitifs trop souvent considérés comme des jobines faites pour des zombies qui ne pensent pas. Il faudrait relire Gramsci à propos de la part intellectuelle de tout travail dominé par une dépense physique et nerveuse! Le dialogue avec ces travailleuses et travailleurs au bas de l'échelle économique et la connaissance documentée des environnements de travail sont aussi ce qui motivent les interventions professionnelles de Jocelyn. À suivre de près. 


Photo Écosociété.  Kareen Messing.

Les Années lumière - Kareen Messing chronique.asp

Cohen, narrateur du film de l'ONF sur l'histoire du Livre tibétain des morts

La voix de Cohen.

Leonard Cohen, le prince en-allé

Ci-joint un très beau texte de Francine Pelletier. Un dernier pour la route, pour les être aimantés malgré l'éphémère et les tourments. 

There is no way to say goodbye.

***




L’amour en berneFrancine Pelletier, Le Devoir, 16 novembre 2016.Je ne peux pas le laisser partir sans m’incliner à mon tour, sans déposer mon offrande, sans dire ce que cet artiste irremplaçable a représenté pour moi, pour ma génération et pour les femmes de ma génération peut-être en particulier. Si Leonard Cohen était une église, nous n’aurions jamais fait défection, nous serions toujours là à allumer des lampions et à égrener des alléluias.



Le grand Montréalais devant l’Éternel a représenté tant de choses. La beat generation, la contre-culture, l’intelligentsia juive, la poésie qui swingue et le folk qui saute à la gorge, le zen, le spectacle du siècle à 75 ans… Et toujours avec cette intensité, ce culte des mots et ce désir de perfection. Bob Dylan lui aurait demandé un jour combien de temps il avait mis à composer sa chanson culte, Hallelujah« Deux ans », répondit Cohen. En fait, il y avait travaillé plus de cinq. Cohen demanda ensuite à son compagnon de route combien de temps il avait mis à écrire I and I, une chanson qu’il admirait. « Quinze minutes », dit Dylan, rapporte The New Yorker. Il y a des jours où l’on se demande si les prix Nobel (pour ne rien dire des funérailles d’État) sont destinés aux bonnes personnes.

Cohen représente tout ça, en plus d’une loyauté inouïe à ses origines et au Québec. Il dort aujourd’hui aux côtés de ses parents sur le flanc du mont Royal. Mais le barde à la voix de fond de cendrier a fait mieux encore. Il nous a permis de croire en l’amour précisément au moment où il devenait plus difficile de le faire. Au moment même où on cassait la baraque des rapports hommes-femmes, où on désacralisait l’amour, Leonard Cohen en a fait une chose sacrée. Pour moi, il s’agit de son legs ultime, de son plus beau cadeau.

Depuis 40 ans, nous sommes des millions à avoir tourné le dos à la manière traditionnelle de conjuguer les sentiments. Je ne parle pas seulement de la remise en question du mariage, de l’accouplement à vie, mais au fait que cette remise en question a nécessairement ouvert la porte à un certain chaos sentimental. À partir du moment où une femme refuse d’être la propriété d’un homme (ce que consacrait le mariage), le diable est aux vaches. Tout est à repenser en matière de relations personnelles. On ne met pas la hache dans ce qui constitue, depuis des millénaires, le socle de la société sans qu’il y ait de pots cassés. Or, c’est précisément ces pots-là qui intéressent le grand mélancolique.

« If you want a lover / I’ll do anything you ask me to / And if you want another kind of love / I’ll wear a mask for you… »

Avec le recul et avec tout ce tumulte, je trouve incroyable que personne n’ait pensé à offrir des cours de survie. Heureusement, il y avait Cohen avec sa candeur et sa véhémence, sa capacité infinie de reprendre le chemin vers l’Autre, de renouveler sa foi en l’amour. Richard Desjardins a aussi été de cette chapelle, un immense chantre du désir et de l’amour, malgré les décombres et l’incertitude généralisée, mais il est venu plus tard et sans tout à fait la même dévotion religieuse.

Aux hommes, Leonard a dit : soyez tendres et, à défaut de fidélité, soyez vrais. Aux femmes, il a murmuré : soyez ce que vous voulez, on vous aimera quand même. La belle affaire. Quelle femme, encore aujourd’hui (demandez-le à Hillary Clinton), ne sent pas le besoin d’être rassurée à ce chapitre ? Alors que les vieilles insultes fusent toujours (salope, féministe frustrée, mal baisée, man-hater…) qui n’a pas besoin de bras qui s’ouvrent, de permissions qui se donnent, de cette bénédiction qui ne vient qu’après avoir franchi le Rubicon, lové au creux de cet « être qui nous manque » ?

« La crise est sans fin »disait Cohen en entrevue au Globe and Mail il y a quelques années. « Tout le monde a le coeur brisé. Tout le monde se fait massacrer. » Et c’est précisément pourquoi cet homme a été si essentiel à son époque et à son art, si profondément utile à l’humanité.

Il nous a appris à regarder nos blessures en face. Mieux, il nous a appris à en tirer des leçons. « There is a crack in everything / that’s how the light gets in », chantions-nous tous en choeur, hommes, femmes, enfants recueillis devant sa maison, rue Marianne, samedi dernier.

Cher Leonard, cher prince de l’ombre, merci pour la lumière.

15 novembre 2016

Le poison diffus de M. Trump


Obscénité du champion Trump et ambiance de terreur en ce moment à New York ressentie par le dramaturge Robert Lepage. 


Afin de permettre aux lectrices et lecteurs de ce blogue de l’extérieur du Québec d’avoir accès à l'interview publié aujourd'hui dans Le Devoir, je copie la page au complet. Je vous invite à la lire.




***



RENCONTRE

Défendre la démocratie en valorisant l’intelligence

Après l’élection présidentielle, New York vit dans la terreur, observe Robert Lepage


Le Devoir, 15 novembre 2016 |Fabien Deglise | Livres



Robert Lepage : « Il y a, depuis mardi, une atmosphère empoisonnée à New York. »

Il pensait se déplacer dans l’espace, mais il a plutôt été projeté dans le temps. En atterrissant à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau jeudi dernier, dans un vol provenant directement de New York où il parachève l’assemblage de l’oeuvre de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho L’amour de loin au Metropolitan Opera, le dramaturge Robert Lepage a senti ses nerfs se relâcher d’un coup. Et, la sensation, raconte-t-il, pour l’avoir déjà vécue ailleurs, l’a beaucoup troublé.

« Je ne pensais pas que cela allait m’arriver un jour en rentrant des États-Unis », dit l’homme de théâtre rencontré vendredi à Montréal en marge du lancement de la version illustrée du texte de sa pièce 887 chez Québec Amérique. « Cette sensation, je la vivais dans les années 80, lorsque je me promenais à Berlin entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest [c’était avant la chute du Mur de la honte en 1989],lorsque je quittais le stress et la terreur d’un côté pour retrouver l’air frais et vivifiant de la liberté de l’autre. » C’était dans les derniers jours de la guerre froide, de ses tensions, de ses replis, de ses discours de haine et d’intimidation. Mais depuis la semaine dernière, et l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les relents de cette histoire passée empestent désormais le présent.
 
« Il y a, depuis mardi, une atmosphère empoisonnée à New York, poursuit Robert Lepage, installé dans le calme et la zénitude du coin d’un feu de cheminée d’un hôtel de la métropole. Comme bien d’autres personnes, je suis angoissé par le résultat. Ce que l’on sent dans la ville, ce n’est pas de l’amertume, pas de la rage, mais surtout de la terreur. »
 
Le 8 novembre dernier, l’ignorance et la médiocrité ont voté, dit-il, jetant l’effroi sur une démocratie et forçant l’univers médiatique et politique en général, mais aussi le milieu des arts en particulier, à en assumer la responsabilité et à agir rapidement pour contrer la dérive. « Les Américains sont victimes de ce que leur télévision véhicule depuis 20 ou 30 ans, dit Robert Lepage. Celui qui a été élu, ce n’est pas seulement la vedette d’une téléréalité. C’est quelqu’un qui en véhicule aussi les valeurs. Vous vous rendez compte ? Pour la première fois, la première dame des États-Unis va être une ancienne playmate et le président, un homme qui valorise le manque d’éducation, qui incarne cette culture insignifiante que l’on valorise sur les ondes de MTV, de Fox News et de ces autres médias qui portent la voix de la droite. »
 
Unis contre la médiocrité
 
Désormais, le leader du monde libre, comme on nommait les États-Unis aux temps sombres des totalitarismes et des divisions idéologiques, exprime des valeurs contraires, selon lui. « En arrivant à la Maison-Blanche, Trump vient de dire aux Américains qu’il est possible de mentir, de mépriser, d’abuser, de stigmatiser, d’intimider et, malgré tout ça, de finir par devenir président. » Et cette nouvelle configuration du pouvoir mérite, dit-il, d’être condamnée et combattue.
 
« Pour défendre la démocratie, pour continuer à conserver nos libertés civiles, il faut éduquer les gens et surtout travailler pour rendre l’intelligence sexy », martèle Robert Lepage en précisant que, comme le designer d’objets Philippe Starck a réussi à faire pour un presse-agrumes, en le rendant séduisant, un designer d’idéologie doit désormais émerger et s’atteler à le faire pour le savoir, la perspective, la mémoire, la réflexion… « Il faut dire à nos jeunes que c’est cool d’avoir des idées, de la profondeur, de la densité, que c’est cool de douter, de se souvenir, de se poser des questions, d’accumuler, d’apprivoiser, de maîtriser de la connaissance…, poursuit-il. Il faut aussi que les artistes adoptent une position claire et ferme face à la médiocrité. Ils ne peuvent plus feindre la neutralité pour ne pas s’aliéner une part du public et doivent opposer à ce présent des oeuvres qui partout font l’éloge de l’intelligence. »
 
« Depuis quelques mois, je suis affligé par le peu de référence des chroniqueurs politiques américains », dit-il, dont très peu, selon lui, ont souligné la concordance entre le slogan de Trump (Make America Great Again) et celui d’Hitler qui dans sonMein Kampf, ouvrage référence des sombres desseins du Führer, appelait à redonner à l’Allemagne sa grandeur d’antan. « Les gens ne se souviennent plus, dit-il. La mémoire ne s’enseigne plus. On n’y réfère plus » et, au bout du compte, on fait se répéter l’histoire et on s’enlise.
 
Pour Robert Lepage, les États-Unis viennent de faire leur entrée dans cette nébuleuse de l’obscurantisme dans laquelle le Canada a passé 10 ans sous Stephen Harper, dit-il, avec toutefois des responsabilités mondiales que le Canada n’avait pas et qui donnent ce caractère encore plus inquiétant aux résultats du vote. Inquiétant, particulièrement, chez ceux qui, comme lui, ont vu, ont senti, ont perçu, et surtout se souviennent.

14 novembre 2016

Les affres de Marine Prison

Je reprends. Une correspondante me parle de « célébration du réel au-dessus des affres ». Je vote pour ça. Mais, les affres! Il y a longtemps que je n'avais pas lu ce mot soutenu qui viendrait de la langue d'oc, mais c'est touffu et chassé-croisé jusqu'aux racines wisigothes. En tout cas, ça sonne et ça goûte, me semble-t-il, bien plus noir que ses dérivés : affreux, affreusement. Âcre, amer, horrible; transe d'épouvante; effroi, angoisse, dénuement, punition, rejet, cachot; regard interdit, espèce de sans dessin, qui te momifie en statue de sel comme la femme de Loth dont on ne sait pas le nom et qui a sans doute beaucoup pleuré. Sauf quelques exceptions en poésie, le mot ne s'utilise plus guère qu’au pluriel depuis le 17e siècle. Un malheur n’arrive jamais seul. Les affres de la maladie, de la faim, du doute, du désespoir. Les affres du monde. Les affres de l'amour. En tout cas.

Voilà qu'en douce France, Marine Le Pen ne perd pas une seconde. Suivant mot à mot son champion démagogue étatsunien, elle vient de déclarer dans une assemblée que l'objectif de son parti est de redonner à la France sa grandeur!

Les affres de l'obscénité.

13 novembre 2016

Le zimzum de Leonard Cohen


Zimzum. Twister les mots s'il le fallait. Cohen (koen, prêtre) de sources vives, sachant que ce n'est pas lui qui mène le show. Cet enfant d'errance parmi nous, comment pourrait-on se l'arracher alors qu'il fait beau à Berlin?
Ici, je veux placer à deux mains les mots puits de lumière
le beau texte profond d'Alexandra Pleshoyano (2010).
"Leonard Cohen n’a pas décidé de devenir poète, mais l’écriture de la poésie s’est imposée à lui comme un verdict (Johnson 1992, 64). Deux événements déclencheurs peuvent être retracés : d’abord la mort de son père lorsqu’il n’avait que neuf ans, puis la découverte, à l’âge de quinze ans, du poète espagnol Federico García Lorca en 1949."
La poésie lyrique de Leonard Cohen : lieu d’un déploiement de la mystique juive, article de Alexandra Pleshoyano paru dans la revue Théologiques (2010), disponible en libre accès sur Érudit:http://www.erudit.org/revue/theologi/2010/…/n2/1007485ar.pdf

12 novembre 2016

Le jeune Cohen et le murmure des langues


Loin de la poésie cramoisie chenille, il en faut des passeurs qui vous tirent par la manche. Mon capitaine en ces parages fut le poète et journaliste en-allé Michael Thomas Gurrie qui tenait bien haut dans son coeur Dylan, mais je dirais surtout Cohen pour la fierté toute irlandaise de mon ami. Un bon jour de drambuie, Mike me fit cadeau de son exemplaire de Let Us Compare Mythologies, le premier recueil de Cohen d'abord publié en 1956, repris ici en 1966 par l'éditeur torontois McClelland and Stewart. À la page 62, on y trouve le poème "Les vieux" qui déjà fait écho à toutes les langues de Montréal. 

« Northeastern Lunch

         with rotting noses and tweed caps,
huddling in thick coats
and mumbling confidential songs
to ancient friends -
        the public men of Montreal [...] »



Photo Jacques Desmarais.



Cohen & Garneau


À la radio ce soir, hommage. La voix magnifique et ricaneuse de Michel Garneau au travers... Il y a des lunes. Ça vous recrache sur la table pourquoi l'on s'ennuie de celui qu'on suivait pour se «revendredire». Je paierais cher, en effet, réserverais tous mes vendredis soir pour imaginer à nouveau dans la subtile traversée des ondes comment on brasse ça au juste, quasiment pour rien, des étoiles. Récitant son ami Cohen, un pan de ciel à lui tout seul, il y a bien plus que la voix de Garneau. Il y a la connaissance fine du dedans des poèmes traduits, la mesure précise de la mélopée qui traîne jusqu'au Livre de l'Ecclésiaste. Il y aussi l'explication dans la poussière relaxée de l'ego de ce « focus » importé simplement par le nez que certains appellent zen :
on est souffle
on est dans le vent
Et passe la rumeur du trafic
En cet instant couvert de revanches, j'ajouterais :
on n'est pas des anges,
mais je peux enfin citer Garneau,
ce qui revient au même :
« la mort est inévitable
la grandeur prend bien du courage »

Titres
« J'ai porté le titre de Poète
et peut-être l'ai-je été
un certain temps
Le titre de Chanteur aussi
m'a été généreusement accordé
même si je pouvais à peine
chanter juste
Pendant plusieurs années
j'ai passé pour Moine
je me rasais la tête et portais
   le costume
et me levais très tôt
Je détestais tout le monde
mais savais jouer la générosité
et je ne me suis jamais fait
   prendre
Ma réputation
d'Homme à Femmes était une
   farce
Elle m'a fait amèrement rire
par ces dix mille nuits
que l'ai passées seul
De la fenêtre du troisième étage
devant le parc du Portugal
j'ai regardé la neige
tomber toute la journée
Comme d'habitude
il y a personne ici
il n'y a jamais personne
Miséricordieusement
la conversation intérieure
est annulée
par le bruit blanc de l'hiver
" Je ne suis ni pensée, Intellect,
ni voix silencieuse du dedans..."
est annulée aussi
et maintenant Bon lecteur Bonne
   Lectrice
au nom de quoi
au nom de qui
viens-tu
perdre ton temps avec moi
dans ce royaume luxueux
et dépérissant
de l'intimité qui n'a pas de but ? »
— Leonard Cohen, Livre du constant désir, traduction de Michel Garneau, L'Hexagone, 2007, p. 167.

10 novembre 2016

Leonard Cohen


C'est fini
« C'est fini
je ne pars plus à ta recherche
je m'en vais m'étendre pour une demi-heure
C'est fini
je ne m'en vais pas faire minette
à ton souvenir
je ne mettrai plus ma face dedans
je m'en vais bâiller
je m'en vais m'étirer
je m'en vais me mettre une aiguille à tricoter
dans le nez
et me sortir le cerveau de la tête
je ne veux pas t'aimer
pour le reste de ma vie
je veux que ta peau
tombe de ma peau
je veux que mon étau
me libère de ton étau
je ne veux pas vivre
avec cette langue qui pend
et une autre chanson cochonne
à la place
de mon bâton de baseball
C'est fini
je m'en vais dormir maintenant chérie
N'essaye pas de m'en empêcher
je m'en vais dormir
j'aurai un visage lisse
et je m'en vais baver
je serai endormi
que tu m'aimes ou pas
C'est fini
le Nouvel Ordre Mondial
des rides et de la mauvaise haleine
Ça ne sera plus
comme c'était avant
que je te mange
les yeux fermés
espérant que tu te lèves pas
et t'en ailles
Ça va être autre chose
Quelque chose de pire
Quelque chose de plus niaiseux
Quelque chose comme ceci
mais en plus court »
— Leonard Cohen, Livre du constant désir, trad. de Michel Garneau, L'Hexagone, 2007, p. 36-37.

05 novembre 2016

Cinéma québécois : Alanis Obomsawin remporte le prix Albert-Tessier 2016


Noticias
" L'ONF tient à féliciter chaleureusement Alanis Obomsawin, grande documentariste qui vient de remporter le prix Albert-Tessier 2016, la plus haute distinction cinématographique québécoise, pour l'ensemble de sa carrière! Bravo!
En plus de vous inviter à la projection de We Can't Make The Same Mistake Twice aux RIDM, on vous propose également cette liste de lecture, qui inclut des oeuvres marquantes réalisées par la réalisatrice au sein de l'ONF dans les 40 dernières années, faisant partie d'un parcours artistique engagé, rigoureux, et nécessaire. "
Félicitations!


03 novembre 2016

Edward Snowden en téléconférence à l'Université McGill

Le fait que des journalistes québécois ont été épiés par la police, possiblement dans certains cas pour des motifs politiques, n'est pas passé inaperçu dans le radar du célèbre lanceur d'alerte Snowden, coincé en Russie depuis des lunes. En téléconférence à McGill plus tôt cette semaine, il a répété ses inquiétudes devant l'ampleur et la facilité avec laquelle l'espionnage de masse est actuellement conduit par les gouvernements occidentaux. La vie privée des personnes est totalement et systématiquement à la merci des pouvoirs, et ce, dans le secret et dans bien des cas, dans l'illégalité. 

Sara L. Champagne, Snowden secoue le meilleur des mondes, Le Devoir, 3 novembre 2016.


Cf. aussi la vidéo de la conférence captée en continue à l'amphithéâtre de McGill.




01 novembre 2016

Apprendre à compter sur nos droits

J'ai relu avec joie et grand intérêt ce texte manifeste, des plus inspirant, de M. Yvon Rivard paru dans Le Devoir l'an dernier. L'altitude du regard, la richesse du coeur, l'enseignement essentiel et urgent pour prendre soin des plus jeunes, il y a dans ces lignes beaucoup de munitions pour renverser l'austérité de nos chers comptables à gogo en cette époque de l'économisme mur à mur.
***

Yvon Rivard - Écrivain et «prof contre l’austérité|Apprendre à compter autrement, Le Devoir, 31 octobre 2015.



« Nous ne sommes pas des comptables »

– Saint-Denys Garneau

Nous ne sommes pas des comptables, nous comptons autrement, nous croyons que ce qui ne se compte pas est ce qui compte le plus.
 
Nous croyons qu’il vaut mieux investir dans l’éducation que dans les jeux, dans une génération d’élèves plutôt que dans une équipe de hockey professionnel, dans la formation générale d’êtres humains responsables d’eux-mêmes et de la communauté plutôt que dans la formation d’une main-d’oeuvre soumise aux caprices du marché, car la seule dette que nous ne pourrons rembourser est un déficit de pensée et de conscience.
 
Nous croyons que l’école, du primaire à l’université, n’appartient ni à l’État, ni à l’industrie, ni aux administrateurs, ni aux parents, que c’est avant tout un lieu d’échanges entre professeurs et élèves, les professeurs enseignant aux élèves ce qu’ils ont appris des siècles précédents, les élèves obligeant les professeurs à se tourner vers l’avenir, et non un laboratoire où les professeurs feraient de la recherche en oubliant d’enseigner, ou un atelier où les élèves acquerraient des compétences en oubliant d’apprendre.
 
Appartenir à la terre
 
Nous croyons qu’on ne peut liquider le passé sans en payer le prix, que l’avenir et ce pays, que l’avenir de ce pays, passent par la reconnaissance des cultures autochtone et paysanne dont nous sommes issus et que nous avons voulu éliminer, car elles détiennent les secrets de notre survie, à savoir que la terre ne nous appartient pas mais que nous appartenons à la terre, que nul ne peut se sauver seul, le tout n’étant jamais la somme des parties mais la relation vivante et harmonieuse entre celles-ci.
 
Nous croyons qu’une ressource qui n’est pas exploitée n’est pas perdue, qu’une rivière qui n’est pas détournée d’elle-même coulera plus librement dans notre regard, qu’un sol qui n’est pas miné nous portera plus sûrement, qu’une forêt qui n’est pas pillée nous fournira plus longtemps en bois et en rêves.
 
Nous croyons que le travail productif, quantifiable, monnayable sera de plus en plus rare, qu’il faudra donc reconnaître et développer toute autre forme de travail qui consiste à créer de la vie et à en prendre soin.
 
Nous croyons que tous les laissés-pour-compte, tous ceux et celles que les lois du marché, l’histoire des peuples ou l’héritage familial ont relégués dans la marge, ont droit au respect et à des conditions de vie qui leur permettent de contribuer à l’oeuvre commune, ne serait-ce qu’en prenant soin d’eux-mêmes et de leurs semblables.
 
Nous croyons que la santé est un bien public, que dans une société malade nul ne peut se croire à l’abri de l’isolement qui, tôt ou tard, affecte le corps et l’esprit.
 
Nous croyons que la culture de consommation et du profit est l’asservissement (volontaire) du plus grand nombre au profit d’une minorité, le plus sûr chemin vers l’appauvrissement matériel et spirituel, et qu’il faut apprendre à compter autrement : moins de biens et plus de contraintes égalent plus de liberté.
 
Nous croyons que si l’argent est le nerf de la guerre, l’autorité morale est le sang de la démocratie, que seuls des citoyens moraux pourront se donner des dirigeants moraux, c’est-à-dire des êtres qui placent le bien commun, le souci des autres au-dessus de leurs propres intérêts ; nous croyons que dès qu’un parti politique fait de l’économie son cheval de bataille, il y a de fortes chances que ce parti ait déjà remplacé l’autorité morale par l’argent, ait confondu la guerre et la démocratie.
 
Nous croyons que le Québec peut devenir un pays juste, différent et solidaire s’il résiste aux slogans, aux mots creux derrière lesquels se cachent tous les comptables qui prétendent nous sortir de la crise économique et sociale qu’ils ont créée et qui les sert bien ; nous croyons que chaque fois que nous entendons les mots « excellence », « compétitivité » « croissance continue », « état de droit », « mondialisation », « équilibre budgétaire », « majorité silencieuse », il faut se boucher les oreilles ou, mieux, se demander : qui parle ainsi et pour qui ? Qui nous invite à sabrer les programmes sociaux, à travailler plus, à fournir notre « juste part » ? Pour qui travaillent tous ceux qui affirment que l’État doit se soumettre aux cotes de crédit, aux lois du marché, à la rationalisation de la production ?
 
Cultiver sa différence
 
Nous croyons que la chance du Québec, qu’on accuse toujours d’être endetté ou en retard sur ceci ou sur cela pour mieux le vendre en lui imposant des politiques économiques et culturelles de rattrapage (cours intensifs d’anglais au primaire, cours d’entrepreneuriat au secondaire, forages aveugles ici et là, ports pétroliers, etc.), c’est d’assumer et de cultiver sa différence ; nous croyons, comme l’écrivait Pierre Vadeboncoeur, « que si ce peuple vient à réussir, il restera d’abord un témoin de l’inassimilation et persistera à ne pas faire les choses comme les autres, à les faire plus mal ou mieux que d’autres », que « l’avenir lui apparaît encore, singulière et naïve originalité, originalité féconde, comme le champ des possibles ».
 
Nous croyons que le Québec peut exister et croître s’il continue de défendre la langue française et de se nourrir des autres cultures, s’il fait de son territoire, de sa langue et de son héritage une terre d’accueil pour tous les gens, y compris les gens simples et humiliés, épris de liberté et de justice ; nous croyons que le Québec peut devenir un pays pour tous ceux et celles qui n’ont plus de pays ou qui étouffent dans le leur, pour ceux et celles qui croient qu’un monde nouveau est possible, ici, entre gens de bonne volonté.
 
Nous ne sommes pas des comptables, nous comptons autrement. Nous sommes riches de ce que nous partageons et de ce qui nous manque, nous croyons à une éducation qui institue le libre-échange du temps et de la parole, du temps qui devient parole lorsqu’il n’est plus de l’argent, de la parole qui devient du temps lorsqu’elle se met à écouter.