22 février 2017

Le grand pin au loin dans le cimetière


Avant que le printemps, le premier temps n'éclate et fasse passer de l'ardoise toute envie de voir mon pays..., c'est l'hiver, je publie cette photographie prise il y a trois semaines. Ce que j'aimerais souligner n'est pas tant l'étable en peine, ni le boulot croche que je finirai par couper, ni non plus la clôture de perches comme un invité du cabaret du soir qui penche, ni le chargeur à foin de mon père que l'on devine à travers les broussailles et les framboisiers sauvages... C'est plutôt au centre de la photo, au loin, le beau pin centenaire toujours présent à ma vue comme un phare, peu importe où je marche dans les prairies avoisinantes et au pied duquel se trouve adossée une pierre tombale. 

Comme tous les pays du monde, mon pays les Cantons-de-l'Est recèle des histoires enfouies. Ça n'intéresse pas trop, peut-être, le commun des mortels. Le petit cimetière qui se trouve à la frange de la terre passe complètement inaperçu de nos jours. Aucun panneau de signalisation ne rappelle son existence derrière quelques érables magnifiques et la bordure des cerisiers. On peut encore voir le solage de roches qui soutenait jadis une « mitaine ». Heureusement, Huguette Desmarais a écrit un beau texte qui retrace rapidement l'histoire de ce cimetière et que l'on peut lire sur la page internet de la municipalité de Béthanie sous l'onglet Historique, Patrimoine religieux. Du plus lointain que je me souvienne ce lieu fait partie des parcours libres de mon enfance et de mon imaginaire; j'ai inventé mille histoires au sujet de ces vieilles âmes familières. Il compte onze pierres tombales. Sans méchanceté, ma mère en son temps croyait qu'on y avait enterré des défunts n'ayant pas fait leurs Pâques. Elle se trompait bien sûr. Sur l'une des pierres on peut encore lire un psaume qui m'a fortement intrigué lorsque j'étais gamin et que je me redis parfois pour raviver mon ici-maintenant en sa finitude : « Enseigne-nous à tellement compter nos jours pour que nous puissions en avoir un coeur sage ». Une fois, j'ai googlé le psaume en question et j'ai appris dans une publication en français éditée à New York qu'il s'agit d'un passage de l'office des morts célébré chez les chrétiens de confession baptiste. Il y a deux petites pierres grises et nues d'enfant en retrait du grand pin. Leurs noms ont été emportés par le vent. Sur l'une demeure l'inscription C.U.M. Par ailleurs, les patronymes encore lisibles sont anglais, irlandais, français. On trouve en ce lieu si minuscule et abandonné, ce qui me fait mal un peu, le visage métissé depuis belle lurette de mes Cantons : Norris, Hettlemar, Bartler, Carter, Brousseau, Smith, Larivière...


Photo Jacques Desmarais, Béthanie, 30 janvier 2017.


18 février 2017

La ligne

C'est l'heure salmigondis
où le ciel gronde à Ahuntsic
les avions sur Montréal
ne dérougissent pas
rentrent par douzaine
au quart d'heure
je n'exagère pas
comme Barbara et Moustaki
dans le beau ciel bleu de la mi-février
en présage des entailles
le corridor est une ligne droite
où je ne t'attends pas
qui descend jusqu'à Val-d'Or,
mais qu'il faut bien sûr inverser
pour se poser sur les pistes locales de Dorval
je songe à tous ces pays lointains qui pestent
qui twistent les mots, si différents, dissemblables,
saltimbanques, jongleurs, skomorokhs, palindromes
concentrés en des milliers d'horlogeries
valises bouclées en promenade ici sur tapis roulant
hormis sans exception le sang
pareil dans toutes les veines, les douleurs
la dopamine des embranchements
pays qui se touchent par la magie des airs
sans trop savoir qui de la Turquie
qui donc m'a téléphoné du Nunavik
qui m'a envoyé la main
et ce poème désespéré
Je sais, je sais
Ma langue sur tes lèvres
Était une élève au volant
n'empêche que par deux fois
en l'espace de 24 heures
la quasi même phrase s'est parachutée jusqu'à moi
hier en plein musée, l'autre avant que les avions
ne déboulent comme cordée de bois
Elias Canetti dans La langue sauvée
citant les premiers mots
des Curiosités levantines :
« En Turquie [...] le plus court chemin
n'est pas la ligne droite »
puis, tiens tiens tiens
Marc Séguin en train de réciter
un extrait de Nord Alice :
« Un jour, on comprend que la ligne droite
n'est jamais la voie la plus rapide
ni la plus facile. »



Photo Jacques Desmarais, Montréal, 18 février 2017. 16 h 13).

15 février 2017

Amours sauvageons


Sont chanceux, eux autres, les amours sauvageons, mes chevreuils, mes renards, mes lièvres qui, dans leur grouillage de sang à l'orée du bois, dessinent des croisements de rêves géants d'oiseaux à coeur battant.

Photo Jacques Desmarais, Béthanie, 14 février 2017


Ceux qui font la révolution à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau

Ceux qui font des révolutions bla-bla bla-bla. Ce film sur le caractère mortifère qui avale l'âme théâtralise la barbarie individuelle qui se recroqueville jusqu'à notre inconscient. C'est très loin de toute révolution qui aurait un principe humaniste comme ressort. C'est très anecdotique en regard de la grève étudiante de 2012. Ça m'est apparu toutefois absolument dévastateur pour ceux et celles qui ont fait des révolutions tranquilles... Ce n'est pas tant la révolution tranquille qui est en cause, mais la prétention, le somnambulisme qui exclut les laissés pour compte, les paumés, les "sociaux-affectifs ". Mais, au fait, y a-t-il eu une seule révolution dans les derniers siècles qui dépasse sa moitié idéalisée? Plus proche de Berthol Brecht dans la mise en scène des graffitis et des encarts de citations, plus proche par moments des Bouffons de Falardeau pour les « tits culs de l'Est », comme il se plaisait à se légitimer, que de Bertolucci ou de Garel tel que j'ai pu l'imaginer avant de voir le film. La surimposition anonyme qui insère des extraits d'archives (la fête de Jacqueline Desmarais, le discours blédinde de Justin Trudeau, le chanoine Lionel Groulx devant sa propre pierre tombale, et surtout Hubert Aquin si fatigué culturellement, valorisant la violence...), tout cet inattendu est génial même s'il n'explique rien. Il en est de même des nombreuses scènes stylisées de répression policière sauvage qui m'ont tant inquièté lors de la grève étudiante. Plusieurs segments de jeu m'ont apparu être du théâtre so so. Mais le jeu des quatre « terroristes », détestables et déshumanisés, est époustouflant. Il faut du talent et de l'audace pour avoir tenu ces rôles au grand écran. La caméra, la trame musicale, les effets spéciaux, les images de Montréal, là aussi, c'est génial, c'est même effrayant. Mais je pourrais écrire vingt autres lignes pour descendre en flammes comme Cuba qui coule sur le lac Léman le manque de perspective sur l’exploitation, la richesse, la colère, la faute, l’ici maintenant, les popas et les momans qu'on tue, le peuple, la libido, la faim qui tenaille malgré tout, et surtout les mots qui enserrent notre rapport au monde! Sur le mot peur, toutefois, je donne sang pour sang!






***
Le long métrage à Berlin.

Jason Bilodeau, Bègues blancs d'Amériques, Spirale

Extrait :

 

08 février 2017

La haine

En ces derniers jours de tristesse sans nom, j'ai complété avec un sentiment de reconnaissance la lecture d'un petit livre d'entretiens qu'avait donnés Erich Fromm à la radio allemande et qui s'intitule Aimer la vie. Les propos qu'on y trouve relatifs aux motivations diverses et circonstanciées qui alimentent la haine m'ont beaucoup éclairé. Comme nous le rappelle par ailleurs avec humilité Durkheim, nous sommes beaucoup plus agis que nous n'agissons, sensibles aux leurres, sans trop savoir. Or, malgré ce trait humain, il nous faut sans relâche apprendre à distinguer la violence symbolique (apaisée par le politique, le vivre-ensemble) de la violence diabolique, « dialectique mortifère » injustifiable, qui brise la vie et la culture. Il me semble que c'est cet effort que nous invite à faire l'importante contribution de Jocelyn Maclure et de Charles Taylor offerte ce matin à notre réflexion dans La Presse +.


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DÉSAMORÇONS LA HAINE

Espérons que l'attentat de Québec marquera une nouvelle ère de notre débat sur l’identité, l’immigration et la laïcité 
JOCELYN MACLURE ET CHARLES TAYLORPROFESSEUR DE PHILOSOPHIE À L’UNIVERSITÉ LAVAL, ET PROFESSEUR ÉMÉRITE DE PHILOSOPHIE À L’UNIVERSITÉ MCGILL


Le 29 janvier, une attaque contre une mosquée a fait six morts. Le retour du religieux suscite de vives controverses dans la province tandis que se propagent dans le monde le djihadisme et le néofascisme

 Le Québec peine à se remettre de l’attentat qui a fait six morts et plusieurs blessés le 29 janvier. L’auteur présumé est un homme connu pour son hostilité envers l’islam et l’immigration. Il s’agit du pire attentat sur le sol québécois depuis la tuerie antiféministe de l’École polytechnique en 1989, où 14 femmes avaient perdu la vie. 

 Le Québec et le Canada étaient, jusqu’à récemment, largement épargnés par la montée de l’extrême droite. 

 S’il n’y a pas de parti politique de cette mouvance sur l’échiquier politique québécois, un petit nombre des groupuscules s’inspirant de Pegida ou séduits par les discours de la droite populiste en Europe et aux États-Unis ont vu jour. Si c’est au Québec que la panique morale à l’égard de l’islam s’exprime le plus vivement au Canada, le reste du pays n’est pas mieux. Le Parti conservateur n’a pas toujours su résister à la tentation d’instrumentaliser l’islamophobie qui anime une partie de la population à des fins partisanes. 

 Des raisons internes et externes permettent de commencer à comprendre comment une société réputée pour la qualité de son vivre-ensemble a pu en arriver là. La société québécoise a un parcours singulier. Son rapport au religieux est plus trouble qu’en Amérique du Nord. La mémoire collective demeure marquée par le récit, en bonne partie fondé, d’une modernisation sociale ayant exigé une lutte acharnée contre l’Église catholique. 

 Le retour du religieux dans l’espace public, par l’entremise de l’islam cette fois, est vu par plusieurs comme une régression sociale

L’Église catholique a, en outre, été condamnée en raison du rôle assigné à la femme. Certains condamnent aujourd’hui l’islam en bloc pour la même raison. 

Plus encore, les échos des tensions et des conflits vécus dans d’autres pays se font entendre jusqu’au Québec, bien inséré dans le marché transnational des idées. Lorsque Marine Le Pen nie l’existence de l’islamophobie en France, lorsque Geert Wilders, chef du Parti pour la liberté, affirme qu’il interdira les mosquées aux Pays-Bas s’il est élu ou lorsque l’administration Trump interdit les visas aux ressortissants de certains pays en majorité musulmans, des Québécois se sentent concernés et relaient ces informations sur les réseaux sociaux. 

On ne peut tenter de comprendre le passage à l’acte de l’accusé sans se référer à l’état du discours au Québec et dans les autres sociétés démocratiques. Le centre de gravité du débat politique québécois s’est déplacé vers la droite sur le plan des questions identitaires dans la dernière décennie. Le cliché veut que l’originalité du Québec vienne en partie du fait qu’il se trouve au carrefour de l’Europe et des États-Unis. C’est vrai, mais cela nous donne aussi une combinaison explosive de radio-poubelle et de l’extrême droite aux tendances fascisantes présentes en Europe.

MULTICULTURALISME 

L’islam est au cœur du débat public québécois depuis au moins la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables de 2007-2008, à laquelle nous avons contribué. Il est peu à peu devenu acceptable, pour certains acteurs politiques québécois et canadiens, de cibler constamment l’islam et ses symboles à des fins stratégiques. De façon grotesque et disproportionnée face au très faible nombre de problèmes sur le terrain, le hijab, le tchador, le niqab, la burqa et le burkini se sont trouvés au cœur de multiples débats de société. 

Ceux qui voient une incompatibilité entre les « valeurs québécoises » et la religion musulmane sont alimentés par un flot continu de points de vue voulant que « certaines cultures ne sont pas faites pour cohabiter », que le multiculturalisme permet aux minorités d’« imposer leur mode de vie » à la majorité, que le concept même d’« islamophobie » ne désigne aucune réalité sociologique observable.

Des femmes musulmanes se font agresser et arracher leur voile, des mosquées et des commerces tenus par des musulmans sont vandalisés, des slogans haineux apparaissent sur des murs, mais on continue d’affirmer que le concept d’islamophobie est une invention de la gauche multiculturelle pour censurer ceux qui osent critiquer l’islam. C’est un autre symptôme de l’ère post-vérité.

Perdant de vue que des dizaines de milliers de Québécois de confession musulmane vaquent paisiblement à leurs occupations jour après jour en nouant des liens avec des non-musulmans dans des villes comme Montréal et Québec, une frange de l’électorat associe systématiquement et exclusivement l’islam au 11 septembre 2001, à l’organisation État islamique et aux terribles attentats de Paris.

La représentation médiatique de l’islam éclipse la singularité des personnes musulmanes en chair et en os. L’essentialisme déshumanise

Il faut faire preuve de prudence lorsque l’on réfléchit au lien entre l’ordre du discours et l’ordre de la violence physique. L’idée n’est pas que les discours de stigmatisation de l’islam ont poussé le tueur à passer à l’acte. Les États de droit démocratiques voient, en l’absence de circonstances atténuantes, les citoyens comme des agents moraux responsables de leurs actes. Ceux qui ont influencé l’auteur de l’attentat du 29 janvier ne sont pas ses « complices ».

DIALECTIQUE MORTIFÈRE 

Il s’agit plutôt de prendre conscience, comme nous l’a enseigné la philosophie du langage, que les mots sont des actes dont les conséquences sont de différents ordres. Les actes de parole ne font pas que dénoter ; ils constituent, autorisent, valident, encouragent. Lorsqu’un élu propose de faire passer un test de valeurs aux immigrants ou d’interdire l’immigration en provenance de certains pays majoritairement musulmans, il dit implicitement à ceux qui étaient déjà méfiants qu’ils ont raison de l’être et que des mesures radicales s’imposent. 

Les intellectuels et les politiques français ne sont d’ailleurs pas étrangers au fait de refaçonner le discours politique québécois. Des figures médiatiques et politiques québécoises ne manquent jamais l’occasion de souligner que tel ou tel auteur français nie la validité du concept d’islamophobie ou établit un lien (malhonnête) entre le durcissement de la laïcité et la lutte contre l’islamisme radical. Le marché cognitif ne connaît pas de frontières. Les abjectes catégories de l’« islamo-gauchisme » et des « idiots utiles de l’islamisme » ont été allègrement importées dans le débat québécois.

En tant qu’intellectuels qui participent au débat public, nous devons tous prêter attention non seulement à ce que l’on dit, mais aussi à l’usage qui est fait de nos idées. 

Il serait irresponsable de ne pas se demander si nos positions risquent d’encourager des personnes fragiles ou radicalisées à aller plus loin, trop loin

Au Québec, le réveil a été dur pour certains, plus introspectifs, qui regrettent d’avoir contribué à la radicalisation du discours public et à la stigmatisation des Québécois musulmans. Fait trop rare, certains font amende honorable.

Il serait trop facile pour les intellectuels « pluralistes » ou « multiculturalistes » de montrer du doigt sans procéder à un examen de conscience. Nous devons rappeler, même si cela devrait être une évidence, que les vies qui ont été perdues à Québec ne valent ni plus ni moins que celles des victimes des attentats de Charlie Hebdo ou du Bataclan. Dans tous ces cas, des personnes ont été attaquées en raison de ce qu’elles sont ou de ce qu’elles pensent. L’intolérance radicale a volé des vies et laissé des proches, dont des enfants, dans le deuil. Le monde de l’après 11-Septembre est un monde dans lequel l’appel du djihadisme violent et la tentation du néofascisme s’embrassent dans une dialectique mortifère. Désamorcer cette dialectique est l’une des tâches les plus urgentes devant nous.

Les partisans d’une conception plurielle de l’identité québécoise et d’une laïcité réelle, mais apaisée n’ont pas su trouver les mots pour atténuer les craintes et les préoccupations d’une partie de la population.

Leurs interventions parviennent difficilement à neutraliser celles des démagogues. Plusieurs progressistes britanniques et américains ont fait le même constat dans la foulée du Brexit et de l’élection de Donald Trump. Les régimes démocratiques continueront de subir des électrochocs si les voix de la tolérance et de la reconnaissance mutuelles ne parviennent pas à résoudre cette difficulté. L’expression de solidarité de la société civile québécoise et la dignité de la réponse, dans l’ensemble, de la classe politique permettent d’espérer que le 29 janvier marquera, comme l’a souhaité Philippe Couillard, le début d’une nouvelle ère sur le plan de notre débat sur l’identité, l’immigration et la laïcité.

07 février 2017

Jacques à dit

Jacques a dit :
Au palais de la 
langue salive
et turlutante
lorsque ça patine
dans la mouillure
au courant d'air
régressif pulmonaire
avec à peine
un zeste de turbulence
qui vibre, qui chante
consonne spirante
palatale voisée,
ma chère chuintante,
c'est ci-j.