26 février 2013

Dérives!

Pauline Marois aujourd'hui à la clôture du Sommet : La crise sociale est derrière nous. Wow! L'électorat est médusé. Tout le monde à cabane à sucre!

Enterrée? On en parle plus? On a pourtant revu au téléjournal hier et ce soir le beau travail des policiers de Montréal. N'ont pas perdu la main. Il faut battre la jeunesse tandis qu'elle est tendre. 

Puisque tout est régulé de façon « raisonnable », et puisque le PQ prétend faire de la politique autrement, est-ce qu'à présent le ministre de la Sécurité publique va prendre les moyens qui sont à sa disposition pour enquêter sur la culture systémique de violence et de baveux qui prévaut chez les agents de la « paix » du service de police de Montréal? 

Dans le film Dérives qui suit, produit bénévolement par 99%media, il n'est pas facile de revoir en condensé les images de vargeux du printemps érable 2012. Au-delà des scènes de violence et des témoignages bouleversants, on retiendra les analyses percutantes et inquiètantes sur « les dérives des institutions ».  Le débat public en vue de résoudre les conflits et les tensions gagnera toujours en pratiquant le dialogue plutôt que les coups de bâton sur la tête!  Mais il s'agit là d'une nécessité qui est aussi une lutte comme le souligne avec à-propos le philosophe Christian Nadeau : « Nous ne luttons pas parce que nous aimons la lutte.  Nous luttons parce que c'est nécessaire! » 

En ce sens, ce que la crise de 2012 a révélé dramatiquement sur la société québécoise n'est pas derrière nous!  Au contraire, il y a un travail gigantesque à faire pour transformer la culture et les institutions, notamment la profession des policiers. Cela est criant : le niveau de formation de ces derniers n'est pas adéquat. Il leur faut un bagage beaucoup plus rigoureux en sciences humaines, pas juste en « techniques tactiques » d'écrasement des masses! 

Je suis en cela personnellement très triste de constater que les recherches et les actions menées en cette direction par des policiers en fonction que j'ai côtoyés à la Chaire d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke sont radicalement marginalisées à la lumière de la pratique réelle des « corps policiers » lorsque ces derniers se « déploient » comme de bons soldats-plombiers sur « la patinoire » de la joute sociale.  La pratique réelle est plus parlante que les beaux discours lénifiant du SPVM sur la police communautaire et le code de déontologie qui passe par une oreille et en sort par l'autre!    

Ce qui est notamment en jeu ici, c'est le vieux film des Ordres sur fond de «lutte des classes ».  La brutalité judiciaire, la brutalité médiatique, la brutalité policière, bref, la brutalité des rapports politiques ne passe plus comme lettre à la poste dans une société où les esprits sont allumés.  Comme le note Nadeau dans le film, et comme l'a sagement rappelé Françoise David au terme du Sommet, c'est précisément cet espace de lumière que la jeunesse québécoise a tracé pour nous tous lors du fameux printemps érable.



 En complément : commentaire en date du 27 fév. du député Amir Khadir sur son blogue.

Puis, autres images de media99% sur la manif. du 26 fév. au squatre Saint-Louis.  À 4:55, une manifestante est indignée et appelle à une vigie le 19 mars devant les bureaux de Pauline Marois pour protester contre la brutalité policière.



La crise sociale est derrière nous» - Pauline Marois. 

«Oui, mais attention... elle court vite.» -Les Zapartistes



Constat :il n'y aura pas de printemps c't'année?


Personne ne prétendra que la situation est simple comme bonjour, mais un an après le printemps érable québécois, un énième rendez-vous historique manqué s'annonce pour le PQ qui, de sa tranchée, préférera atteindre le Sommet de la déception en misant sur son avenir politique à court terme plutôt que réfléchir à l'avenir de l'éducation supérieure au Québec qui n'a de sens ultime que si nous progressons comme société vers l'idéal de la gratuité scolaire pour tous.    

Ici, l'analyse de Josée Legault sur son blogue à l'Actualité a le mérite de cerner l'état des acteurs principaux en cause dans un contexte véritablement postcontestataire où les morts sont comptés.

En fin de journée, cette vidéo de La Presse où l'on voit un caméraman frappé par un policier signale une fois de plus la dérive des agents de paix!





25 février 2013

Nouvel air d'Italie : Grillo


Volare oh oh, cantare... chantait avec coeur un touriste italien d'un âge vénérable alors qu'un petit cercle s'était formé autour des musiciens cubains ambulants de l'hôtel en ce début de soirée où il faisait si bon à Cayo Largo. Après, croyez-le ou non, j'ai seulement entamé la première strophe et ce fut le guitariste qui interpréta en espagnol Quand le soleil dit bonjour à la montagna. Beau en titi! (Je savais que ce dernier avait cette chanson dans sa gibecière). Auparavant, j'avais demandé au vieux monsieur s'il connaissait Bella ciao?  Il s'est comme illuminé d'un coup, s'est retourné vers moi, m'a arrosé de mots... Il a cru un moment que j'étais Italien...  Mais ce soir, pour comprendre l'effet Grillo aux élections italiennes, je m'en remettrai à l'ami Jean-Paul Damaggio qui signe dans le blogue des Éditions de la Brochure ce beau texte : De Coluche à Beppe Grillo.



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 Quand on prétend analyser les phénomènes sociaux sous l’angle de la lutte des classes, à quoi bon s’intéresser à des comiques qui réduisent la politique à un spectacle ? Comme de simples révélateurs ? Non, vu que je me propose d’aller, par ce biais, au fondement de quelques réalités universelles !
 Les pays existent toujours
L’Italie et la France sont deux sœurs si proches que les comparaisons ne manquent pas et le lien entre Coluche et Grillo vient spontanément par le fait qu’ils utilisent le comique pour parler au peuple. Mais le parallèle s’arrête là : malgré l’existence de l’Union européenne, le phénomène Grillo démontre que l’Italie reste l’Italie et que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de Coluche point qui me servira de conclusion. Coluche tenta d’être candidat à la présidence de la république, Grillo conduit un mouvement pour des élections législatives car là-bas le président est élu au second degré… si bien qu’en fait Grillo… n’est même pas candidat ! Aucun Italien ne pourra voter pour lui ! Ils vont voter sur un bulletin doté de 27 partis en faisant une croix sur le sigle M5S (Mouvement 5 étoiles) donc pour des candidats totalement inconnus à l’exception de quelques uns. Le lecteur pense qu’il s’agit là d’un point de détail or il se souvient peut-être qu’en France pour voter Mélenchon le Front de Gauche trouva presque 12% alors qu’un mois après pour les législatives le score de ce parti est tombé de moitié ! Mais bon allons à l’essentiel.
 Grillo l’anti-Berlusconi ?
Avec le début des années 90, toute la classe au pouvoir a été balayée sans que l’opposition puisse briller car un phénomène est arrivé, celui du géant des médias, Berlusconi, qui a promis en 2013, ne plus revendiquer le titre de futur premier ministre, mais qui cependant est toujours là, et avec un appui populaire conséquent malgré les multiples échecs de sa politique. Cette télévision, qu’elle soit de gauche, de droite ou du centre, a décidé depuis plusieurs années d’effacer Beppe Grillo des écrans : c’est la première observation que me fait le chauffeur de taxi que j’interroge sur le phénomène Grillo. En réponse le parti M5S a décidé qu’une des conditions pour en être candidat, c’était de refuser toute présence sur les plateaux télé ! Lui-même refusa toute invitation ! Ainsi, à des journalistes qui se sont précipités pour interroger les rares distributeurs de tacts de ce parti, les militants ont simplement répondu : on n’a rien à vous dire ! Sur ce point Grillo est bien l’anti-Berlusconi et en choisissant de fuir la télé il a encaissé la critique classique : « c’est qu’il a peur de répondre aux questions ». J’ai connu les succès télé de Georges Marchais, puis ceux d’Olivier Besancenot et enfin le cas Mélenchon et dans les trois cas j’ai considéré que de tels succès ne pouvaient que conduire à l’échec, à défaut d’une claire analyse du rôle de la télé. La réponse de Besancenot est connue : « Il faut utiliser les failles de l’adversaire de classe quand on le peut… ». Mélenchon a joué une autre partition : je veux passer à la télé mais en me montrant agressif vis-à-vis des journalistes. Grillo réplique qu’il parle au peuple dans des meetings immenses : 40 000 à Milan (chiffre de la police 35 000) soit 10 000 présents de plus que pour la coalition de gauche, deux jours avant ! Et Milan c’est un emblème ! Et il n’est pas allé que dans les grandes villes… Même si tout le monde sait que les présents sont souvent des curieux et que Grillo sera victime du vote utile car l’écart devenant plus serré entre le centre-gauche et la droite, pour battre la droite certains vont voter Parti démocratique.
 Grillo le démolisseur ?
Grillo dit non à la télé, non aux partis, non aux syndicats et un reproche classique pointe son nez dans le rang des maîtres du monde : « il a un rôle facile car il détruit alors qu’il faut reconstruire l’Italie ». Il ne suffirait pas de dire NON, il faudrait aussi proposer des ALTERNATIVES. N’oublions pas que ce mode de pensée a été concocté aux USA par des savants en communication qui, pour contrôler les opposants, veulent d’abord les tirer sur le terrain qui est le leur. Or, il suffit d’écouter Grillo et de lire son programme : dire NON c’est proposer ! Ce fut la deuxième remarque du chauffeur de taxi qui visiblement ne votait pas Grillo mais qui m’indiqua : « Ce que dit Grillo, il le dit depuis vingt ans et depuis vingt ans tout le monde sait qu’il a raison. » Je savais que le mouvement avait commencé à naître autour de 2005, puis a été formalisé en 2009 mais je n’imaginais pas un antécédent aussi lointain et là aussi les médias jouent un rôle majeur en tuant « l’histoire » au profit de la « génération spontanée » que Pasteur, pour d’autres raisons, mis à mal. Si Grillo peut rassembler 15% des suffrages c’est que le mouvement vient de loin ! Avec Marx, c’est comme avec Pasteur, tout point de vue de classe détruit le phénomène « génération spontanée » en politique ! Grillo est l’effet de courants puissants et ce n’est pas seulement l’effet d’une farce d’un jour ! Et Grillo lui-même aime le rappeler : « il y a vingt ans, je suis allé devant les usines Fiat pour dire aux ouvriers qu’il était possible de produire une voiture qui consomme 1 litre au 100 et les syndicats m’ont ri au nez. » Parce que ce n’est là que le problème des patrons ? Et le plus gros NON de Grillo concerne l’Europe actuelle ! N’oublions pas que l’Italie a été, dans toute ses composantes, fortement favorable d’où le premier traité signé à Rome ! En proposant un référendum afin de savoir si les populations veulent sortir de l’Europe et retrouver leur propre monnaie, Grillo va à contre sens même si à présent Berlusconi reprend ce discours. Fondamentalement Grillo n’est pas un démolisseur et la présence sur la tribune de Milan de Dario Fo invoquant l’histoire : « Je me retrouve en 1945, nous retrouvons l’aspiration à une révolution », nous confirme dans ce constat. Le fils de Dario Fo, Jacopo Fo indiquera de son côté que s’il a des amis sincères dans le M5S comme dans le regroupement Rivoluzione Civile, il appelle à voter SEL de Vendola (la gauche du centre-gauche).
 Mais qu’en pensent les révolutionnaires ?
Tous les partis sans exception ont d’abord ridiculisé le M5S mais devant son succès populaire les positions ont évolué à gauche. Que dit par exemple Ingroia qui avec « l’extrême-gauche » (terme impropre) conduit Rivoluzione civile qui replace l’échec de 2007 avec Gauche arc-en-ciel ? Dans Il manifesto du 22 février il répond à cette question : « Grillo fait » peur » a titré Il corriere. Il vole des votes à tout le monde. Il vous fait peur à vous aussi ? »
Antonio Ingroia : « Non. Je participe pour gagner et l’objectif est de changer la politique. De ce fait le phénomène Grillo me préoccupe plus qu’il ne me fait peur : d’un côté il intercepte des poussées de rénovation mais de l’autre il n’a pas une proposition pour la transformation positive de ces poussées. Il ne fait que protester, sauf quelques arguments avec lesquels nous sommes d’accord : moralisation de la politique et de l’environnement. De plus, et c’est la faute de la politique, il représente l’échec de la démocratie : avec une série de spectacles sur les places auxquels les Italiens vont comme spectateurs et non comme acteurs, il attire les soutiens de quelques-uns qui voteront pour lui car il les représente hors il ne les représentera pas car il n’est pas candidat. Ses candidats sont personne (signori nessuno), je le dis avec respect, que les électeurs ne connaissent même pas. » Par un tel propos, qui reprend le discours de la classe dominante sur Grillo, Ingroia est décevant : il n’a rien compris !
 L’heure du marketing politique
La différence entre Coluche et Grillo s’appelle internet. Je ne vais pas ressortir le discours tant entendu sur les révolutions arabes produites par facebook, qui sert à masquer les enjeux sociaux réels, mais en Italie plus qu’en Tunisie l’outil internet joue un vrai rôle et particulièrement dans la façon dont il a été manœuvré par l’équipe de Grillo. Il m’est arrivé de produire une brochure sur l’histoire du marketing politique conçu aux USA pour valider le marketing en général, et j’ai pu observer que la question ne passionne pas les chercheurs en sciences sociales. Le marketing n’est pas réductible à la manipulation (son but est pratique : organiser la rencontre entre un produit et son client potentiel) mais, en son fond, il fait de la politique une marchandise. Il n’existe pas pour tromper l’électeur mais pour le changer en client ! Pour bien comprendre il faut lire le livre de Federico Mello sur « la face obscure des étoiles ». Pas traduit en français, je tenterais de donner quelques éléments dans de futurs articles. Pour le moment vous pouvez vous reporter à cet article de l’Espresso. Grillo est né à la politique par son blog car sa façon d'écrire et ce qu'il écrivait allait à la rencontre de réalités précises et largement partagées. Face au monde d'aujourd'hui le retour au politique sera un parcours très difficile. Jean-Paul Damaggio

13 février 2013

Tomas Jensen lance Plus personne


Pleins feux sur Tomas Jensen qui lançait ce soir au Lion D'Or l'album Plus personne (L'Abe).
(Photos Jacques Desmarais)

12 février 2013

La bataille de l'abolition des droits de scolarité continue!

Gratuité! Il est certain que le coup de pouce rhétorique de Monsieur dans Le Devoir  du 12 février 2013  (avec son envers pour les officines politiques et l'économisme ambiant, soit un jouissif pied de nez) fait en sorte que la journée a été flambant neuve, comme dirait l'autre. Jacques Parizeau a la mémoire aussi longue que le sociologue Guy Rocher qui rappelait lui aussi avec force pendant le conflit étudiant de l’an dernier que l’objectif de l’accès libre et gratuit aux études était au cœur du Rapport Parent et de la Révolution tranquille. Faute de moyens, on a d’abord appliqué la gratuité au réseau collégial dès 1967-68, ce qui a permis à des milliers de jeunes québécois de première génération (c’est mon histoire) d’accéder plus facilement à des études techniques ou universitaires. Pourquoi dans une société cent fois plus développée ce progrès social serait-il devenu irréaliste, voire une « injustice intergénérationnelle » comme certains esprits tordus le répètent sur la place publique? Concernant le Sommet à venir, M. Parizeau partage également un argument avancé par plusieurs d’horizons divers, par exemple Guy Breton, recteur de l'Univ. de Montréal, à savoir qu’en toute logique il faut souhaiter avant tout réfléchir et tenter de coconstruire ce que l’on veut en éducation dans le Québec et le monde d’aujourd’hui. Après, on parlera de fric pour voir comment on s’y prendra pour réaliser le chantier. Mais puisqu’il faudra certainement et adroitement et collectivement parler $, il est à mon avis des plus significatif de voir l’ancien grand argentier, entre autres moyens « réalistes », corroborer une idée présente dans le programme de Québec solidaire, soit annuler la politique des Libéraux qui auront tant fait pour « soulager » les taxes sur les profits des banques, politique improductive sur le plan économique à hauteur de 600 millions de $ bon an mal an. M’est avis que ça va chialer tout à l’heure dans les Chambres de commerce et les Clubs Select quand le Québec progressif va aller de l’avant, PQ ou pas! Perso, je l’espère pour les enfants de mes enfants, pour tous les enfants de ce pays indistinctement!

08 février 2013

Tomas Jensen : comme du bon vin!

Le nouvel opus de Tomás Jensen est arrivé.  On peut l'écouter en ce moment sur Voir.

Plus personne. C'est le titre. J'aime beaucoup! Et parmi : « [...] la brise légère me rend léger aussi »; Pélican, valse de brûlures avec une pincée de Brel dans le déboulement, puis l'insistance de la trompette; À qui, pour la poésie; Plus personne pour la mélodie jolie et la touche de Leloup; Ma littérature pour le bijou. Grand merci Tomas Jensen!

Magnifico! Tout le monde devrait sauter sur cette invention!

06 février 2013

Borgès, France, 1964

Jorge Luis Borgès, la nécessaire mélancolie, dit-il.

J'aime bien quand il dit  - avec une toute petite pincée de prétention - écrire pour se distraire.

L'entrevue placée en référence date de 1964, au temps de Obra poética. Donc avant la junte et le silence de couteau.


05 février 2013

Gabriel Nadeau-Dubois et Éric Martin à Contretemps

Je reprends plus loin le texte intégral d'une interview de Éric Martin et Gabrel-Nadeau Dubois publiée le 18 janvier 2013 dans la revue (web) française Contretemps. L'échange a été repris et mis en ligne le même jour dans Nouveaux cahiers du socialisme

 À la lecture des échanges, on appréciera l'effort qui est fait afin d'évaluer l'impact politique de la grève étudiante et du mouvement social plus élargi qui ont pris la rue au printemps 2012, mouvement original et intense qui n'a pas tiré pour autant à gauche « l'ambiance politique », du moins dans le contexte présent. J'ai tendance aussi à être assez d'accord avec le constat de Gabriel Nadeau Dubois en ce qui concerne les reculs et la timidité du gouvernement minoritaire de Pauline Marois. Si la tendance se maintient, le PQ risque de creuser l'écart dans les sommets de la déception au point d'être défait à la première occasion par les forces de droite en train de se refaire une beauté postcorruption à la CAQ et au PLQ.

Par ailleurs, quelques énoncés plus pointus mériteraient nuances et discussion. Par exemple, dire que l'UFP (l'Union des forces progressistes) « [...] a été la pre­mière ex­pé­rience (d'un parti de gauche au Québec) dans les an­nées 1990! » me semble passer sous silence d'autres sources du militantisme politique qui ont contribué, fut-ce de façon marginale, au projet ambitieux d'unifier la gauche. Cela est advenu de façon plus tangible, en effet, d'abord sous l'impulsion du Rassemblement de l'alternative progessiste (RAP), puis avec l'UFP en 2002, puis encore avec Québec solidaire en 2006. je mentionnerais notamment quelques ponts venus du NPD-Québec et ses variantes (Parti socialiste du Québec de Michel Chartrand (1963), Parti de la démocratie socialiste (PDS) de Paul Rose en 1995),  et du  Mouvement socialiste du Québec de Marcel Pépin (1982).

Maintenant, question d'en savoir plus sur la revue française Contretemps qui publie en ligne l'interview avec les deux leaders québécois, j'ai demandé à l'ami Jean-Paul Damaggio s'il connaissait cette revue. Voici sa réponse à laquelle j'ajoute quelques précisions en renvoi pour naviguer un peu mieux dans les informations partagées.

« Ta question sur Contretemps renvoie à mille questions, écrit d'abord Jean-Paul. À partir des années 80, sans le savoir, le PCF entre dans une crise profonde. Il pense que c'est une crise de plus, mais non c'est LA crise. Cette crise se révèle — et c'est la première grande question — par son lien avec les intellectuels. Il existait une maison d'édition du PCF, Les Éditions Sociales, mais elle s'effondre et alors vont naître plusieurs maisons d'édition dont Le Temps des Cerises et SyllepseSyllepse semble destinée à mourir, car si la grosse maison PCF n'a pas été capable de tenir les Éditions sociales, comment quelques individus pourraient-ils tenir seuls? Syllepse est née en 1989, en partie dans la mouvance philosophique d'Henri Lefebvre.

Dans la conception trotskyste, la crise du communisme devait permettre l'envolée de leur courant, la bureaucratie communiste faisant ombre au lien entre peuple et communisme authentique. En fait, ce fut le contraire qui arriva : la crise de l'un entraîna avec un peu de retard la crise de l'autre. Et là aussi, cette crise en est d'abord une du lien avec les intellectuels.

La LCR (Ligue communiste révolutionnaire) avait sa maison d'édition, La Brèche, et ses revues. Mais en 2001, Daniel Bensaï avec Syllepse décide de créer Contretemps.

Voilà donc comment est née cette revue qui est essentiellement sur le net, je n'ai jamais vu un seul exemplaire en vente quelque part. »



***


Où vont la gauche et le mouvement étudiant québécois après le « printemps érable » ?

Par  • Mis en ligne le 18 janvier 2013
Pour ré­pondre à cette ques­tion, nos ca­ma­rades fran­çais de la revue fran­çaise Contre­temps, se sont en­tre­tenus avec Ga­briel Nadeau-Dubois, ex-porte pa­role de la CLASSE (prin­ci­pale or­ga­ni­sa­tion étu­diante du « prin­temps érable »), et Eric Martin, co-auteur de Uni­ver­sité inc. (Edi­tions Lux, 2011), cher­cheur à l’IRIS et membre du CAP/NCS. L’entretien a été réa­lisé par Hugo Harari-Kermadec le 15 dé­cembre 2012.

Cet en­trevue est un pré­lude à un ar­ticle à pa­raître dans le pro­chain nu­méro des Nou­veaux Ca­hiers du so­cia­lisme, où Ga­briel Nadeau-Dubois y pré­sente un re­tour cri­tique sur la lutte étu­diante du prin­temps der­nier, sa dy­na­mique ori­gi­nale et son rap­port avec les mou­ve­ments so­ciaux et la politique

« Le mou­ve­ment a lancé des ondes sis­miques dont on ne me­sure pas en­core les effets »

Q : Quelle est la si­tua­tion au Québec de­puis la vic­toire du Parti qué­bé­cois le 4 sep­tembre 2012 ?
GND : De­puis l’élection, on vit un cer­tain re­tour à la réa­lité, dif­fi­cile pour une partie du mou­ve­ment étu­diant. Il existe une dé­cep­tion, puisque la mo­bi­li­sa­tion sans pré­cé­dent dans l’histoire du Québec ne s’est pas tra­duite en ré­sul­tats élec­to­raux, qui sont fi­na­le­ment assez tièdes, avec un élec­torat ultra-divisé, en trois tiers. Le parti qué­bé­cois [qui gagne avec une faible ma­jo­rité] avait promis des ré­formes pro­gres­sistes – ti­mides. La hausse des frais de sco­la­rité a été an­nulée (pour le mo­ment), la fer­me­ture d’une cen­trale nu­cléaire a été an­noncée, quelques belles me­sures dans les pre­mières se­maines. Et de­puis on va de recul en recul. En termes de po­li­tiques pu­bliques, il n’y a pas de chan­ge­ment, et le parti qué­bé­cois dé­montre une nou­velle fois son in­ca­pa­cité à être une vraie al­ter­na­tive po­li­tique au néo­li­bé­ra­lisme. C’est un peu un re­tour, non pas à la case dé­part, mais pas loin. Il y a un peu une dés­illu­sion due au fait que ce mou­ve­ment là ne semble pas avoir, dans l’immédiat, permis de cor­riger la di­rec­tion que pre­nait le Québec.
EM : Du point de vue de la conscience po­li­tique de la jeu­nesse, le mou­ve­ment a lancé des ondes sis­miques dont on ne me­sure pas en­core les ef­fets, qui vont se ré­véler à long terme. Mais c’est le parti qué­bé­cois (PQ) qui se montre in­ca­pable de re­cueillir la moisson de ce que le mou­ve­ment a semé dans les es­prits. Ce parti s’était pré­senté il y a 30 ans comme le por­teur des as­pi­ra­tions his­to­riques du peuple qué­bé­cois et de la jeu­nesse à l’émancipation, et se di­sait à l’époque proche des in­té­rêts des tra­vailleurs : « au pré­jugé fa­vo­rable en­vers les tra­vailleurs ». Il se ré­vèle fi­na­le­ment in­ca­pable de voir qu’une fe­nêtre his­to­rique s’est ou­verte avec le mou­ve­ment étu­diant, que la crise so­ciale est plus pro­fonde que l’éducation et pose la ques­tion de l’avenir du Québec, alors que le PQ n’a même pas pro­fité de ce qui lui était servi sur un pla­teau d’argent. Au contraire, ils ont re­fermé la fe­nêtre, fait des ré­formes tech­no­cra­tiques, sans au­cune dé­li­bé­ra­tion. Et en re­cu­lant à la moindre ré­ac­tion parce que ce gou­ver­ne­ment est très fri­leux mé­dia­ti­que­ment. Si bien que le gou­ver­ne­ment est déjà dé­cré­di­bi­lisé, il va tomber bientôt. Ce qui nous at­tend, c’est l’élection d’un parti de droite, soit le re­tour des li­bé­raux, soit en­core pire, la Coa­li­tion Avenir Québec.
GND : La grande pro­messe du PQ pour l’éducation, c’était d’enrayer la hausse et sur­tout d’ouvrir une sorte de grand sommet sur l’avenir de l’éducation su­pé­rieure au Québec, qui dis­cu­te­rait toutes les op­tions, y com­pris la gra­tuité sco­laire. Mais ce qui ap­pa­rait, c’est un en­ton­noir à consensus, dont on sait d’avance ce qui va sortir : l’indexation des frais de sco­la­rité sur le coût de la vie et, en­core pire, la pour­suite de la mar­chan­di­sa­tion du sys­tème d’éducation avec l’instauration de la cer­ti­fi­ca­tion qua­lité [qui ga­rantit les com­pé­tences trans­mises aux di­plômés]. On va donc faire un échange avec les mi­lieux d’affaires : on n’augmente pas les frais de sco­la­rité, mais on va ac­cé­lérer la mar­chan­di­sa­tion. Ce qui va être at­taqué, c’est la ques­tion du coût mais aussi celle du contenu.
EM : Le PQ a adhéré au concept d’économie du sa­voir dès les an­nées 1990, avec les contrats de per­for­mances dans les uni­ver­sités. Donc pour ce parti, il y a une sorte de conti­nuité : « peu im­porte ce qu’ont dit les jeunes dans la rue, on prend le pou­voir là, on re­vient aux af­faires sé­rieuses, les tech­no­crates pa­ter­na­listes savent quelle est la bonne chose ». C’est la bonne voix de l’OCDE. En quoi ce parti là est-il un parti de chan­ge­ment ? En rien !
GND : On était plu­sieurs à se dire qu’il y avait peut-être une pos­si­bi­lité avec la confé­rence sur l’éducation : la der­nière date de 1960, il était temps de se de­mander quel est le rôle de l’enseignement su­pé­rieur au Québec. Ce qui est en­core plus triste, ou frus­trant, c’est que l’un des ex-portes-paroles étu­diants a été co­opté par le parti qué­bé­cois et qu’il est en train de faire croire à bien des gens que ce sommet s’inscrit dans la conti­nuité du mou­ve­ment. Il vend le mou­ve­ment au parti québécois.
EM : Le plus frus­trant, c’est qu’il y a une dé­con­nexion entre la pa­role, le dis­cours et le fonc­tion­ne­ment du ré­gime. Il peut y avoir une grande concer­ta­tion, avoir plein d’études sur la table pour mon­trer qu’il ne faut pas faire ça, et ca va se passer quand même. Et fi­na­le­ment cet ex-porte-parole, il fait ça. Au Québec, on ne peut pas ex­primer une re­ven­di­ca­tion qui puisse s’objectiver, avoir une tra­duc­tion po­li­tique et ins­ti­tu­tion­nelle. C’est bloqué par un duo­pole, comme aux Etats-Unis.
Q : Com­ment expliquez-vous qu’un porte-parole étu­diant, Léo Bureau-Blouin, se re­trouve can­didat et même élu dé­puté, alors qu’il existe pour­tant une forte tra­di­tion de sé­pa­ra­tion entre partis et mou­ve­ments sociaux ?
GND : C’est la gauche étu­diante qui est in­tran­si­geante là-dessus. La CLASSE[1], au contraire de l’aile mo­dérée du mou­ve­ment étu­diant, est dans une pos­ture d’imperméabilité to­tale, et même d’intolérance face à tout ce qui est po­li­tique élec­to­rale, qu’on pour­rait d’ailleurs cri­ti­quer. Le porte-parole qui a été co­opté par le pou­voir ar­rive de la frange concer­ta­tion­niste du mou­ve­ment étu­diant, qui se dé­finit elle-même comme lobby étu­diant et non comme or­ga­ni­sa­tion so­ciale ou syndicale.
EM : Il y a donc un danger que les étu­diants ra­di­ca­lisés se braquent en­core plus, ce qui em­pêche toute forme de dia­lec­tique entre la rue et les urnes. Il est donc im­pos­sible de faire un lien entre le mou­ve­ment et le parti po­li­tique Québec So­li­daire, qui re­pré­sente une sorte de gauche sociale-démocrate, ce qu’on a de mieux : la force de gauche or­ga­nisée avec les écolos, les fé­mi­nistes, etc.
GND : A mon avis, il y a au Québec une fausse op­po­si­tion, une « op­po­si­tion d’entendement », entre or­ga­ni­sa­tions étu­diantes cor­po­ra­tistes, concer­ta­tion­nistes, qui sont dans le même lit que le Parti Qué­bé­cois et à l’inverse, une gauche étu­diante qui re­fuse tout dia­logue, tout lien avec les partis po­li­tiques. Au point que lorsque les élec­tions sont ar­ri­vées, la CLASSE a eu comme po­si­tion de ne pas avoir de po­si­tion : « nous ne tien­drons pas compte du contexte élec­toral ». Ce que je trouve pro­blé­ma­tique, parce que c’est nier la conjonc­ture dans la­quelle de toute façon les mou­ve­ments so­ciaux évoluent.
EM : C’est un vieux pro­blème au Québec. Par exemple, la ques­tion na­tio­nale et la ques­tion so­ciale sont sé­pa­rées. Les mou­ve­ments in­dé­pen­dan­tistes ne veulent pas parler de ques­tions so­ciales pour ne pas se di­viser, et le mou­ve­ment so­cial (les marxistes-léninistes dans les an­nées 1970, aujourd’hui les jeunes li­ber­taires) voit la ques­tion na­tio­nale comme un mo­no­pole de la bour­geoisie. Donc on ne par­vient pas à re­lier dia­lec­ti­que­ment ces questions.
Le mou­ve­ment étu­diant jus­te­ment a réussi à faire des syn­thèses, d’où il a tiré sa force, mais n’est pas par­venu à réussir la sui­vante. Sans aller condenser le mou­ve­ment dans l’Assemblée na­tio­nale, lui donner une tra­duc­tion po­li­tique et électorale.

« L’intransigeance gou­ver­ne­men­tale a fa­vo­risé le pôle plus combatif »

Q : D’un point de vue plus in­di­vi­duel, y a-t-il des adhé­sions à Québec Solidaire ?
GND : Oui, c’est ça la grande ironie : la sé­pa­ra­tion est for­melle, et dans les faits, il y a des mi­li­tants étu­diants qui s’investissent dans Québec so­li­daire. On l’a vue lors des élec­tions : la po­si­tion du congrès de la CLASSE, qui di­sait « on ignore les élec­tions et on ap­pelle à pour­suivre la grève », s’est trouvée re­jetée par les étu­diants mo­bi­lisés de­puis des mois, dès les pre­mières As­sem­blées Gé­né­rales à la ren­trée. Ils ont voté l’inverse : « il y a des élec­tions, on nous donne l’opportunité de ren­verser le gou­ver­ne­ment, ren­trons en classe ». Donc ça a été une forte dés­illu­sion mon­trant le dé­ca­lage entre une cer­taine extrême-gauche dans les struc­tures du mou­ve­ment étu­diant et la ma­jo­rité des mi­li­tants, même très mo­bi­lisés, pour qui il était temps de tra­duire po­li­ti­que­ment le mou­ve­ment. Il n’y a donc pas eu de tra­duc­tion or­ga­nisée de cette vo­lonté dans l’espace pu­blique, ce qui a été très ma­lai­sant pour la CLASSE.
EM : Le sys­tème uni-majoritaire à un tour rend très fort le vote stra­té­gique [vote utile]. Québec So­li­daire a fait 6%, très en des­sous des son­dages, parce que pour pousser de­hors les li­bé­raux, les gens ont voté pour l’alternance avec le PQ. Mais c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Comme le mou­ve­ment étu­diant s’est en quelque sorte coupé les jambes, et avec la ques­tion du vote stra­té­gique, l’élection du PQ est ar­rivée tout na­tu­rel­le­ment, à l’arrachée. Et comme ce parti a de­puis dé­pensé le der­nier ca­pital sym­bo­lique qui lui res­tait, on va vers une vic­toire de la droite pour le pro­chain coup.
Q : Le fait que la ASSE ait été ma­jo­ri­taire pour la pre­mière fois dans les élec­tions étu­diantes, est-ce lié aux mo­bi­li­sa­tions pré­cé­dentes ? Est-ce le signe d’une po­li­ti­sa­tion plus forte de cette gé­né­ra­tion étu­diante, avant même le prin­temps 2012, avec les mou­ve­ments éco­lo­gistes ou altermondialistes ?
GND : Je ne sais pas si on peut dire ça. Ca s’explique plus par des fac­teurs stra­té­giques, et par la grève étu­diante de 2005 contre le même gou­ver­ne­ment, contre une coupe des bourses aux étu­diants. C’était à l’époque la plus grande grève de l’histoire du Québec, avant d’être dé­passée par celle de cette année. Une grève de huit se­maines, dé­marrée par la frange com­ba­tive mais ré­cu­pérée par la frange concer­ta­tion­niste, au pré­texte de l’exclusion de la frange com­ba­tive de la table des né­go­cia­tions, à cause de son refus de condamner la vio­lence. Une en­tente est alors si­gnée avec les li­bé­raux pour mettre fin à la grève, en ne consul­tant pas les grévistes.
Cette fin en queue de poisson, en 2005, a eu un im­pact sur les or­ga­ni­sa­tions étu­diantes : l’organisation uni­ver­si­taire do­mi­nante a perdu la moitié de ses membres, en quelques an­nées. Ce fut un choc pour tout le mou­ve­ment étu­diant. Pen­dant ce temps-là, la frange com­ba­tive al­lait cher­cher des as­so­cia­tions étu­diantes, l’une après l’autre. Ce qui fait qu’en 2012le pôle com­batif était beau­coup plus so­lide, beau­coup plus or­ga­nisé, beau­coup plus massif qu’en 2005. Dès le début de la grève, la CLASSE a as­sumé son rôle de lea­der­ship dans l’espace pu­blic, sur les campus. Ce qui fait que même les fé­dé­ra­tions ont sauté dans la danse, à partir de fin fé­vrier, début mars, la CLASSE était déjà af­firmée, déjà ma­jo­ri­taire et l’est restée dans la re­pré­sen­ta­tion des grèves. C’est plutôt cette confi­gu­ra­tion qui ex­plique2012. Par contre, du­rant la grève le pôle com­batif a continué à grandir, et c’est là qu’on voit l’effet de la po­li­ti­sa­tion : du­rant le mou­ve­ment les gens quit­taient les fé­dé­ra­tions étu­diantes et re­joi­gnaient la coa­li­tion com­ba­tive, vrai­ment as­so­cia­tion par as­so­cia­tion, parce que laCLASSE était pré­sente dans l’espace pu­blique, sur les campus, fai­sait va­loir ses idées, son ana­lyse po­li­tique gé­né­rale, qui sor­taient de la ques­tion de blo­quer la hausse, ce qui a at­tiré beau­coup de nou­veaux membres.
EM : Une autre chose qui est liée à ça, c’est la preuve par l’absurde que la concer­ta­tion ne fonc­tionne pas. Sa force est basée sur leur lien avec l’Etat, ses membres font des choses molles, des pé­ti­tions. Quand l’Etat lui-même dé­cide du refus de né­go­cier, c’est comme le conseiller du prince qu’on écoute plus. A ce moment-là, ce qui ar­rive c’est qu’ils de­viennent de facto im­per­ti­nents, ils sautent. Ils sont obligés d’avouer leur im­per­ti­nence, de se ranger du côté de la CLASSE, de dire : « faites quelque chose ». L’intransigeance gou­ver­ne­men­tale a fa­vo­risé le pôle plus com­batif, ce que le gou­ver­ne­ment vou­lait du reste : un af­fron­te­ment, qui n’aurait pas lieu avec des gens qui ne le dé­si­rent pas, qui sont au fond des laquais.
GND : Les fé­dé­ra­tions étu­diantes n’ont pas di­rigé d’actions du­rant la grève, ni de ma­ni­fes­ta­tion : il y en avait des di­zaines par jour, dont peut-être 20% étaient re­ven­di­quées ou or­ga­ni­sées par la CLASSE. On avait au moins une grande mo­bi­li­sa­tion na­tio­nale par se­maine, il y en avait plu­sieurs par jour dans les ré­gions. Et pen­dant ce temps-là, les fé­dé­ra­tions di­saient : « on veut né­go­cier » ; ça les a faits ap­pa­raître dé­pourvus d’effet.
EM : Ce qui fait qu’il y a une cam­pagne de désaf­fi­lia­tion de la FEUQ ac­tuel­le­ment. Ils ont perdu tous leurs membres.

« Québec So­li­daire n’a pas su tirer son épingle du jeu »

Q : Le temps de répit ac­tuel est-il mis à profit pour ou­vrir un débat dans la CLASSE, sur le bilan à tirer de la mo­bi­li­sa­tion et de la sé­quence électorale ?
GND : C’est l’un des pro­blèmes avec la fin de la grève : étant donné que la CLASSE a dit « on continue » et les gens sont ren­trés en classe, il n’y a pas eu d’appel à ter­miner la grève. Ça s’est comme échoué len­te­ment, sur deux ou trois se­maines. Il n’y a pas eu vrai­ment de fin de grève, et tout de suite après il y a eu les élec­tions. Puis le tra­vail pré­pa­ra­toire au sommet a com­mencé, on fait les mé­moires… les gens se sont dit « c’est pas fini, il y a le sommet, il y aura peut-être l’indexation… ». Il y a une es­pèce de flou, ce qui fait que pour le mo­ment il n’y a pas vrai­ment de bilan de fait. Cette in­ca­pa­cité à prendre une pause, à faire un re­tour est peut-être un pro­blème. Un congrès de l’ASSE était prévu en jan­vier, mais à cause de la conjonc­ture ça a été re­porté à l’été. Il y au­rait donc en théorie l’opportunité de faire un bilan cet été, mais je ne sais pas si on va en être capable.
Q : L’ASSE re­vient à sa forme usuelle ?
GND : Oui, la CLASSE a été dis­soute en oc­tobre. C’était une coa­li­tion tem­po­raire, pour le temps de la grève. Ça avait été fondé comme ça en jan­vier 2011, avec ex­pli­ci­te­ment dans ses sta­tuts qu’elle se dis­sou­drait dès la fin de la grève.
EM : Mais c’est un pro­blème ! En 2005, on a vécu le même pro­blème : on avait créé la CASSE[pro­noncez cassée] qu’on a dis­soute après la grève, et donc il a fallu des an­nées pour re­bâtir un mou­ve­ment comme celui-là, qui vient à nou­veau de se sa­border. J’en suis très cri­tique. Je pense qu’il de­vrait y avoir une struc­ture per­ma­nente comme celle-là. Et l’autre pro­blème, c’est qu’une fois que les gens sortent du mou­ve­ment étu­diant, on tombe dans le vide. Il y a le parti po­li­tique Québec So­li­daire, on va mi­liter là-bas si on veut faire de la po­li­tique élec­to­rale. Mais si on veut par­ti­ciper à un mou­ve­ment po­li­tique ra­dical, il n’y a rien en de­hors du mou­ve­ment étu­diant. Pour les adultes, les tra­vailleurs, il n’y a pas d’entre deux, à part quelques grou­pus­cules com­mu­nistes ou anarcho-communistes, mais ce n’est pas là que va aller tout le monde pour s’engager. Et pour les étu­diants, à chaque fois il faut re­coa­liser. Ca ar­rive quand un ad­ver­saire se dresse, et quand il tombe, ça se redécompose.
Q : Québec So­li­daire ne prend pas du tout en compte les évé­ne­ments pour re­nou­veler ses formes de militantisme ?
EM : C’est un autre pro­blème. Il y avait dans Québec So­li­daire, une ten­dance dans la­quelle moi j’étais, l’une des deux prin­ci­pales, qui ve­nait de l’Union des Forces Pro­gres­sistes (UFP). Cette ten­dance mar­xiste di­sait : « il faut or­ga­niser le mou­ve­ment so­cial ». Par contre, il y avait beau­coup de gens dans l’autre ten­dance qui ve­naient du mou­ve­ment com­mu­nau­taire, di­sons la frange plutôt ci­toyenne, qui di­saient : « il faut res­pecter l’autonomie du mou­ve­ment com­mu­nau­taire, donc on ne doit pas s’ingérer dans les mou­ve­ments so­ciaux ». Cette position-là était do­mi­nante pen­dant long­temps, ce qui fait que Québec So­li­daire re­fu­sait de jouer un rôle d’organisateur du mou­ve­ment so­cial, de coa­li­sa­teur. Il res­tait une sorte d’outil élec­toral, mais pas une force d’unification ac­tive des forces de gauche. Alors que l’UFP était elle-même le ré­sultat d’une idée de parti-processus, qui vi­sait jus­te­ment à fu­sionner le PC, lePS et des grou­pus­cules. Cette idée de parti-processus, pensée par Fran­çois Cyr, Pierre Dostie et Gordon Le­febvre, n’a mal­heu­reu­se­ment pas trouvé de tra­duc­tion dans la façon dont Québec So­li­daire fonc­tionne ac­tuel­le­ment. Il y a une lo­gique électoraliste.
Et sur d’autres ques­tions ac­tuelles, comme les im­pôts des plus nantis, Québec So­li­daire n’a pas su tirer son épingle du jeu : les in­ter­ven­tions n’étaient pas très fermes, ou à peine pré­sentes. Ils sont mar­gi­na­lisés mé­dia­ti­que­ment mais ils ne cherchent pas non plus à or­ga­niser la classe ou­vrière ou les masses. Le parti n’est pas assez vo­lon­ta­riste, dans le but d’organiser les gens. C’est un bon parti, un pro­grès im­mense par rap­port aux an­nées 1980 et 1990 où on n’avait pas de parti de gauche, rien d’autre que le PQ.
Q : C’est un parti pu­re­ment électoraliste ?
GND : Non, il ne fau­drait pas dire ça. C’est un parti qui est quand même dans l’engagement so­cial, mais ti­mide dans sa vo­lonté de se pré­senter comme le pôle or­ga­ni­sa­teur. D’ailleurs, il y a une dif­fi­culté à aller dans la rue. L’idée de parti de la rue et des urnes n’est pas en­core réa­lisée par­fai­te­ment. Bon je suis trop dur. Il a des dif­fi­cultés à or­ga­niser la rue, et la rue a des dif­fi­cultés à se joindre au parti. Il faut com­prendre qu’au Québec il y a un trau­ma­tisme dans les mou­ve­ments so­ciaux, qui est l’expérience du parti Qué­bé­cois. Il a émergé dans les an­nées 1960 et 1970 comme le pre­mier vé­hi­cule po­li­tique pour la classe ou­vrière fran­co­phone qui était la ma­jo­rité au Québec. Ca a été un im­mense es­poir ce parti-là. Beau­coup de mou­ve­ments so­ciaux ont tout misé sur ce parti. Ce qui ex­plique que beau­coup de gens aujourd’hui ont de la mi­sère à s’en dé­ta­cher. Même des gens d’extrême-gauche.
Il y a eu un pre­mier mandat dont on dit que ca a été un bon mandat, mais très ra­pi­de­ment, dès le début des an­nées 1980, le gou­ver­ne­ment du PQ s’est re­tourné contre les syn­di­cats : loi spé­ciale dans la fonc­tion pu­blique pour casser le pou­voir syn­dical… Ca a été une dé­cep­tion, une es­pèce de trau­ma­tisme, qui ex­plique la ré­ti­cence des mou­ve­ments so­ciaux à in­vestir un parti po­li­tique. Ce qui ex­plique aujourd’hui les dif­fi­cultés pour Québec So­li­daire. Et à la dif­fé­rence de la France, il n’y a pas au Québec de tra­di­tion forte de parti de gauche. L’UFP a été la pre­mière ex­pé­rience, dans les an­nées 1990 !
EM : Et la raison est que dans les an­nées 1970 – 1980, il y a eu une ex­pé­rience d’un parti com­mu­niste très dog­ma­tique, maoïste, qui s’est très mal fini pour tout le monde, et s’est li­quidé de lui-même. Au mo­ment du re­fe­rendum en 1980. Et donc l’indépendance et le mar­xisme sont morts en même temps au Québec.
Quand au mou­ve­ment ou­vrier, il est collé au PQ parce qu’il a des dif­fi­cultés à voir concrè­te­ment d’autre force réelle. Pas au ni­veau des prin­cipes : Québec So­li­daire au ni­veau des prin­cipes, des va­leurs, ça va. Mais d’un point de vue prag­ma­tique, le mou­ve­ment ou­vrier ne peut ap­puyer un parti qui n’a pas de chance d’être élu. C’est une impasse.

« La ra­di­ca­li­sa­tion est un pro­cessus qui s’opère dans la lutte »

Q : Est-ce que le climat in­ter­na­tional a pesé ? Le mou­ve­ment Oc­cupy Wall Street, les ré­vo­lu­tions arabes, etc.
EM : Oui, il y a eu Oc­cupy Mont­réal, juste avant la grève étu­diante, une oc­cu­pa­tion de la place de la bourse de Mont­réal. Il y a eu une sorte de pré­lude, avec ses li­mites : Oc­cupy Wall Street a été une sorte d’expression, un cri du cœur, qui a eu de la dif­fi­culté à se tra­duire par des actions.
GND : En­core plus que ça. Oui, le climat in­ter­na­tional de contes­ta­tion du néo­li­bé­ra­lisme a eu un im­pact, les gens au Québec se sont sentis partie d’une es­pèce de vague in­ter­na­tio­nale ; les gens le di­saient beau­coup. Une grande in­fluence dans les termes, mais pas une in­fluence or­ga­ni­sa­tion­nelle. La ques­tion des 99% / 1%, une nou­velle façon de parler des clases so­ciales… un ima­gi­naire qui a été re­pris par le mou­ve­ment étudiant.
Mais au ni­veau or­ga­ni­sa­tionnel, je ne pense pas qu’il faille voir une conti­nuité. Ces mou­ve­ments se sont or­ga­nisés à tra­vers les ré­seaux so­ciaux, de façon dé­cen­tra­lisée, sans struc­ture for­melle. Une or­ga­ni­sa­tion ho­ri­zon­tale qui a ses forces, mais qui n’est pas le mode d’organisation du mou­ve­ment qué­bé­cois, qui au contraire fonc­tionne sous un mode syndical…
EM : … de dé­mo­cratie di­recte mais avec une struc­ture d’action très organisée.
GND : Avec un pro­cessus ma­jo­ri­taire et non pas consen­suel. On a par­fois écrit que la CLASSEétait un ré­seau ho­ri­zontal sans exé­cutif. Oui, il y a un exé­cutif, qui est un or­gane d’exécution des man­dats, mais pas de re­pré­sen­ta­tion po­li­tique. Ce sont des dé­lé­gués, mais il y a bien une struc­ture or­ga­ni­sa­tion­nelle. Ce mouvement-là n’aurait pas eu cette force-là si on n’avait pas eu cette organisation.
Q : Mais alors com­ment expliquez-vous cette ra­di­ca­li­sa­tion au fil du mouvement ?
EM : C’est le mé­pris du gou­ver­ne­ment, 45 couches au dessus de ce qui est permis. Il te pisse au vi­sage, ce qui fait que tu finis par te dire « Ta­barnak, c’est pas permis » !
GND : Il y a aussi la durée du mou­ve­ment, les gens ont vécu dans leur chair ce sys­tème là. Une leçon que j’en tire c’est que la ra­di­ca­li­sa­tion est un pro­cessus qui s’opère dans la lutte, pas par de beaux dis­cours. On a raison. Mais ce n’est pas parce qu’on a raison, ce n’est pas suf­fi­sant pour convaincre les gens. Ce n’est pas en col­lant des idées sur le réel qu’on va convaincre que ça ne va pas bien dans le monde. Dans les as­sem­blées gé­né­rales, dans cer­tains en­droits, les votes de grève étaient de plus en plus forts ! Ce qui est contraire à la lo­gique : gé­né­ra­le­ment, le vote de grève part fort et des gens quittent ré­gu­liè­re­ment le na­vire. Alors que là, dans les Cé­géps [Col­lège d’enseignement gé­néral et pro­fes­sionnel, in­ter­mé­diaire entre le lycée et l’université], c’était l’inverse ! Il y avait des gens qui chan­geaient d’avis ! Je me rap­pelle de sor­ties d’AG où l’on trou­vait plein de carrés vers par terre. Les carrés verts, c’est le signe des gens qui étaient pour la hausse. Et là les gens l’enlevaient pen­dant l’assemblée. Et quand tout le monde se lève, il y avait, 50 carrés verts sur le sol parce que les gens avaient changé d’idée. Ça ré­vèle un pro­cessus de po­li­ti­sa­tion par la lutte. Des gens qui au dé­part ont com­mencé la lutte avec des prin­cipes di­sons sociaux-démocrates, voire judéo-chrétiens, de par­tage, etc. Des bonnes rai­sons, mais pas po­li­ti­que­ment ex­pli­ci­tées. Et bien, beau­coup de ces gens-là, ayant fait une grève pen­dant 6 mois, s’étant fait frapper par la po­lice tous les jours, mé­prisés par les mé­dias de masse, ayant vécu dans l’oppression, se sont beau­coup radicalisés.
Enfin, il y avait la perte de lé­gi­ti­mité du gou­ver­ne­ment, miné par des scan­dales de cor­rup­tion, qui avait re­culé sur la ques­tion des gaz de schiste… Et il y avait une sorte d’insatisfaction la­tente, sur la­quelle le mou­ve­ment étu­diant a été ca­pable de mettre des mots. On a donné une cause à plein de gens, pas sur les campus mais à tous ces gens qui étaient in­sa­tis­faits et qui ont joué des cas­se­roles. C’est tou­jours ça le défi de la gauche : mettre un mot sur une in­sa­tis­fac­tion déjà là. Les gens savent bien qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. La crise éco­lo­gique, la crise fi­nan­cière… Les gens voient dans leur ex­pé­rience de tous les jours qu’il y a des pro­blèmes, et le mou­ve­ment étu­diant a été ca­pable de dire en de­hors des campus : « une de ces in­jus­tices, qui fait partie de la lo­gique gé­né­rale, on peut la mettre en dé­route, venez avec nous dans la lutte ». C’est cette ca­pa­cité de coa­liser les frus­tra­tions, de ca­na­liser, qui nous a permis d’avoir tout d’un coup, sans qu’aucune or­ga­ni­sa­tion n’y ap­pelle, un mou­ve­ment des cas­se­roles. C’est vrai­ment né sur les ré­seaux so­ciaux et, tout d’un coup, il y avait des mil­liers de gens dans la rue tous les soirs par­tout au Québec. Sou­dain, des gens qui étaient là, qui d’accord avec nous, ont em­prunté la porte qu’on avait ouverte.

« On a com­pris qu’on tou­chait à quelque chose, qu’ils ne sa­vaient plus com­ment réagir »

Q : C’est là que les ré­seaux so­ciaux jouent leur rôle ?
GND : Exac­te­ment. Une fois que le mou­ve­ment so­cial avait fait son tra­vail, les fon­da­tions, comme on dit au Québec : « partir la pa­tente », les ré­seaux so­ciaux ont permis de mettre du dy­na­misme, de l’auto-organisation. Ça a permis de faire émerger toutes sortes d’initiatives ci­toyennes, des as­sem­blées de quartier…
EM : Ça a li­béré la po­ten­tia­lité pour les gens d’être créatif. Et là il n’y avait plus de contrôle, ce n’est plus les syn­di­cats étu­diants qui dé­ci­daient. Un socle or­ga­ni­sa­tionnel sur le­quel s’est bâti la spon­ta­néité. Les gens croient que la spon­ta­néité est au début, mais c’est le résultat.
GND : Oui, les or­ga­ni­sa­tions étu­diantes étaient là pour mettre les bases de la pa­tente, mais à partir d’un cer­tain mo­ment, la CLASSE fai­sait une ac­tion na­tio­nale par se­maine, quelque mo­bi­li­sa­tions ré­gio­nales, co­or­don­nait les vote de grève, in­ter­ve­nait dans les mé­dias, était en rap­port de né­go­cia­tion avec le gou­ver­ne­ment… Mais tout le reste, 90% de ce qui se pas­sait était au­to­nome, dé­cen­tra­lisé et spon­tané. C’était une nou­veauté au Québec, en 2005 les ré­seaux so­ciaux com­men­çaient à peine. Ça a été une nou­veauté, pour nous mais aussi pour le pou­voir et les mé­dias. Ils étaient in­ca­pables de com­prendre ce qui se pas­sait. Ils ont une grille d’analyse selon la­quelle le po­li­tique c’est l’Etat, les partis, les syn­di­cats. Et tout ça, c’est des ma­chines, ça marche « top-down ». Et ça ne ren­trait pas du tout là-dedans. On nous l’a même re­proché ! « Mais vous ne contrôlez pas vos membres ! ». Une in­com­pré­hen­sion to­tale. Moi, je di­sais : « mais on a 100 000 membres, qu’est-ce que vous voulez… Mais de quoi vous me parlez ? » Le plus drôle, c’est les fé­dé­ra­tions étu­diantes qui di­saient « Nous, on contrôle nos membres ! » Non seule­ment il n’y en avait plus beau­coup, mais en plus ce n’était pas vrai, leurs membres ve­naient chez nous !
Ce mouvement-là était à côté de la grille ha­bi­tuelle. D’ailleurs, j’ai vu une en­trevue d’un jour­na­liste qué­bé­cois par une té­lé­vi­sion fran­çaise, qui lui de­man­dait de dé­crire Ga­briel Nadau-Dubois. Et ce jour­na­liste qué­bé­cois, d’un journal de gauche, qui a une maî­trise en phi­lo­so­phie, ré­pond : « C’est un jeune homme très ar­ti­culé, blabla, mais son dé­faut c’est qu’il a trouvé une nou­velle forme de langue de bois, pour éviter de ré­pondre aux ques­tions. Il pré­tend tou­jours qu’il a be­soin d’un mandat pour parler ! C’est une nou­velle stra­tégie dis­cur­sive : il dit tou­jours qu’il n’a pas de mandat. Il s’appuie là-dessus pour re­fuser ses responsabilités »
EM : C’est la langue Du­bois [rires].
GND : Et ce n’est pas de la mau­vaise foi, c’est de l’incompréhension. Pour lui, ça ne pou­vait pas exister. Ca ne pou­vait être qu’une mys­ti­fi­ca­tion dis­cur­sive. Autre exemple, la mi­nistre me de­mande, à moi, de dé­créter une trêve pour per­mettre des né­go­cia­tions dans le calme. Moi je ré­ponds : « Pre­miè­re­ment, je n’ai pas ce pouvoir-là. Deuxiè­me­ment, je ne veux pas le faire. Troi­siè­me­ment, je prends votre de­mande, on va se consulter dans nos 80 AG, donnez nous une se­maine et on vous ré­pond ». A ce moment-là, je me suis fait rac­cro­cher au nez, à la té­lé­vi­sion d’État. Au journal. Un des ani­ma­teurs ve­dettes me coupe parce que, dit-il, je re­fuse de ré­pondre à la ques­tion. Il me ré­pé­tait : « acceptez-vous la trêve ? ».
En­core un exemple. Quand les cas­se­roles ont com­mencé, pour les chaînes d’information en continue c’était du bonbon : elles avaient des hé­li­co­ptères au-dessus de la ville de Mont­réal, et il y avait par­tout, dans toutes les rues des gens qui jouaient des cas­se­roles. Et ils donnent la pa­role à l’un des com­men­ta­teurs po­li­tiques, un an­cien mi­nistre fé­déral. Il dit : « C’est très dif­fi­cile à dé­crire, les as­so­cia­tions étu­diantes n’ont pas ap­pelé à ces ac­tions, c’est dif­fi­cile de voir qui est der­rière. » Parce qu’évidement, il faut qu’il y ait quelqu’un der­rière. « On di­rait une forme nou­velle de souuu­lè­vemm­ment. » On voit qu’il a de la mi­sère à dire ces mots-là. « Sou­lè­ve­ment po­pu­laire ». Il était perdu, les yeux ronds. Il ne com­pre­nait pas. Et ils avaient peur. On a com­pris qu’on tou­chait à quelque chose, qu’ils ne sa­vaient plus com­ment réagir.
EM : Cette porte qui a été ou­verte, le PQ tra­vaille à la re­fermer. Mais ça va conti­nuer à gre­nouiller en des­sous, et la ques­tion c’est quand est-ce que cette énergie que le peuple ou la jeu­nesse s’est dé­cou­verte va servir à faire plus que trans­gresser le cadre.
Ga­briel Nadeau-Dubois, Eric Martin
18 jan­vier 2013

Notes

  1. Coa­li­tion large de l’ASSÉ, formée à l’occasion de la lutte contre la hausse des frais de sco­la­rité. L’ASSÉ dé­signe quant à elle l’Association de so­li­da­rité syn­di­cale étu­diante [3].

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