28 juin 2016

Début de justice pour Victor Jara

Début de justice pour la famille de Victor Jara!

Radio-Canada rapportait hier sur sa page internet en deux courtes lignes : « Un jury fédéral de la Floride a condamné Pedro Pablo Barrientos Nunez à verser 28 millions de dollars américains en dommages et intérêts à la famille du défunt chanteur chilien. »

Dans son édition du 27 juin 2016, The Gardian publie pour sa part un article complet sur le procès de l'ex-militaire vivant en Floride depuis 1989 et devenu citoyen américain. Le jugement ouvre la porte à l'extradition de Nunez au Chili : « The verdict against Pedro Pablo Barrientos Nuñez after a two-week civil trial in Orlando’s federal court could now also pave the way for his extradition to face criminal murder charges in Chile related to his conduct during a CIA-backed coup that led to Augusto Pinochet’s 17-year military dictatorship and the deaths of almost 3,100 people. »

Jean-François Lessard pour le devoir de mémoire. Colère, tristesse à jamais demeurent!

 

27 juin 2016

Philippe Soupault vu par Bertrand Tavernier


Merci à Normand Baillargeon d'avoir partagé sur sa page FB ce document majeur qui date de 1982 avec Soupault. Dès les premières minutes de l'entretien, il est rappelé que l'impulsion des jeunes poètes de l'époque (Soupault, Breton, Aragon...) à créer le mouvement du surréalisme est liée au dégoût profond de la boucherie de 14-18. « Le surréalisme est né de la guerre », nous dit avec justesse le témoin Philippe Soupault. 

Le premier texte qui ouvre la fenêtre du surréalisme a été Les champs magnétiques dont les premières tranches ont paru dans la revue Littérature en 1919.

En passant, il s'adonne que la même année où été réalisée cette entrevue de fond avec Soupault, soit 1982, le manuscrit original des premières campagnes d'écriture des Champs magnétiques a été retrouvé. Tout comme le rouleau de On the road de Kerouac qui ne s'est pas terminé d'une seule flippe en 15 jours, il s'avère que ce texte fondateur du surréalisme a bénéficié de corrections, de reformulations et d'un travail scriptural. Comme le souligne Stéphanie Parent dans un article d'un cahier Figura (2001), ce paradoxe de l'écriture automatique n'enlève rien au labourage essentiel, au bardassage inouï de l'écriture («pépites d'inépuisable subversion» pour dire comme Paul Chamberland) provoqué par ces écrivains du début du XXe.




18 juin 2016

Oeillets de poète et papillon tigré du Canada

Photo Jacques Desmarais, Béthanie, 17 juin 2016.


Il y a le vivace en plein jour entrecroisé des mille et une petites langues de feu qui nous embrasent comme oeillets de poète sur ailes de papillon tigré.

10 juin 2016

Ce pays en manque d'infini

Eh oui chers, très chers payés libéraux pas de tête! Médiocrité jusqu'au trognon! Nous sommes en guerre depuis 40 ans, dirait l'économiste Ianik Marcil. Pourquoi pas quant à y être donner aux pétrolières le droit d'exproprier! (Le Devoir, 8 juin 2016). Précarité politique aveuglante : il y a urgence d'un « bonheur excessif », de « l'altitude du regard » (Vadeboncoeur). Façon comme une autre, un peu timide, d'inviter à lire ici la spontanéité engageante de l'écrivain Yvon Rivard qui écrit notamment ceci en conclusion de son texte À fonds perdus (Le Devoir, p. A9,10 juin 2016) : 

« Bien sûr, on peut toujours se dire que c’est la faute de ce gouvernement, mais c’est oublier que les gouvernements précédents n’ont pas fait mieux et que les libéraux sont aussi des Québécois, qu’ils sont issus de la même Révolution tranquille que les nationalistes et les sociaux-démocrates. La question que je me pose depuis des années et qui resurgit violemment ce matin est la suivante : comment se fait-il que le Québec des cinquante dernières années ait développé tant de compétences dans tous les domaines (artistiques, intellectuels, économiques, etc.), ait favorisé l’émergence d’une véritable conscience sociale, écologique, féministe, et que tout cela aboutisse à tant de médiocrité politique et morale ? Se peut-il que tout ce travail, tout ce dévouement ait été fait à fonds perdu ? Qu’est-ce qui manque au Québec pour qu’il puisse retenir et faire fructifier ce qui s’y fait de mieux, depuis le début de ce pays ? Quel est ce fonds qui lui fait défaut ? Vadeboncoeur disait, dans La ligne du risque, et dirait encore, je crois, qu’il manque d’infini. Je sais que ce mot fait peur ou fait rire, mais c’est celui qui accompagnait ma lecture du magnifique roman de Monique Proulx,Ce qu’il reste de moi. Pour que ce pays puisse croître, il faut qu’il s’enracine dans l’amour de tous ceux qui l’ont fait et qu’on le partage avec tous ceux qui l’habitent. Ne restera de ce pays que ce qu’il aura donné, sans trop savoir ce que ce sera. »

Magnifique!

Carmen G. Quintana

J'ai partagé un courriel en début de semaine avec quelques proches pour dire la joie inespérée, le grand honneur que j'ai eu d'échanger avec Mme Carmen G. Quintana à propos d'un de mes poèmes qui lui est dédié. L'ami René Merle de Toulon a repris mon envoi sur son blogue. La belle mise en forme de mon courriel me facilite le partage ici à quiconque serait intéressé. Bienvenue.


Maître Jean Bédard, paysan converti


Faisant suite au bel hommage vibrant à l'humble pomme de terre, voici aujourd'hui un texte inspirant et lumineux de Jean Bédard sur son blogue pour s'accorder avec les atomes crochus du fond de l’air, de la terre, de l’eau, le feu de la vie, surtout quand on a passé la journée d'hier à tâter la magie des semences de radis, de laitue, d'épinard, de kale vert, de trèfle rouge... Jean Bédard est l'auteur, entre autres, de Maître Eckhart (Stock, 1998).

La multiplication des pains

01 juin 2016

887 ou l'effort de mémoire

887, ou l'effort de mémoire. Sans partisanerie eu égard à l'identité. Ou quand le je polyglotte nomade résonne précairement en nous. D'où l'émotion qui a lieu. Tour de force. Le lieu, qu'est-ce à dire? Lepage = Québec. La ville de Québec. « C'est parce que je viens d'une place précise », dit-il simplement. Il s'adonne que je suis en train de lire, bien bien tranquillement, La mémoire, l'histoire, l'oubli (Paul Ricoeur, Seuil, 2000). Et là, à la page 49, ceci qui est pour moi révélateur : « La transition de la mémoire corporelle à la mémoire des lieux est assurée par des actes aussi importants que s'orienter, se déplacer, et plus que tout habiter. C'est sur la surface de la terre habitable que nous nous souvenons avoir voyagé et visité des sites mémorables. Ainsi les "choses" souvenues sont-elles intrinsèquement associées à des lieux. Et ce n'est pas par mégarde que nous disons de ce qui est advenu qu'il a eu lieu. [...] Les lieux “demeurent” comme des inscriptions, des monuments, potentiellement des documents. » Que dire alors d'un poème monumental comme Speak White dans la mémoire d'un peuple? Dans les premières strophes du poème, il est dit : « Nous sommes un peuple... //////», Et voici que là-dessus l'acteur Lepage hésite, bute, mime le silence, se reprend, ça bloque, c'est abyssal... Nous n'avons plus que ses yeux inquiets. Et c'est tout le drame d'un trou de mémoire qui se joue là, sur les planches. J'ai la mémoire qui flanche. Mais ça ne finira pas là! C'est aussi le génie d'une langue en mouvement.

887, le chez soi, chez nous de Robert Lepage

Ou bien les chaînes, chez nous autres...

Photo JD. Billet précieux de la représentation de 887 au TNM, le 31 mai 2016.
C'est rare, Gérard, car j'ai quand même au théâtre la couenne dure. Mais là, le 887 du génial Lepage, humble fils (à sa manière) d'un humble chauffeur de taxi de Québec, c'est bouleversant. Quoi? Quoi? Quoi? Le colonialisme en ses couches de millefeuille enfouies sous les bancs de neige de la mémoire. La lutte des classes et ses égouts, icitte itou, grossière, subtile jusque dans la diction des étudiants actuels en art dramatique désormais bien nés... (au temps de Lepage, les cours au Conservatoire étaient gratuits, à présent il faut payer!) 

Ben oui, on peut pleurer! 

Mais la poésie! 

Mais la grande Michèle Lalonde, point d'exclamation! 

Et les ombres venues des grottes lointaines... Le feu. Et la dignité. 

À voir! 



En complément : Autour de 887, conférence de Robert Lepage au TNM, le 9 mai 2016, dans le cadre des Belles Rencontres de l'Université de Montréal.

Pierre Morency, l'oiseau lumière


« REGARDE-LE, C'EST UN HOMME BIEN ORDINAIRE »




« Je dois dire tout de suite que je ne suis pas venu au monde comme quiconque. Non. Je ne suis pas venu par le passage d'une femme. Non. Je crois que tout a commencé le jour où je reposais dans le ventre d'un avion. Je n'étais pas un enfant, j'étais une bombe.

Maintenant je me souviens du jour où j'étais une bombe. Ce n'est pas facile d'être une bombe, vous me comprenez. Une bombe n'a pas beaucoup d'avenir.

Je me souviens à peine du jour où l'avion est passé au-dessus de chez moi. La seule chose que j'arrive à me rappeler, c'est que je me suis senti libre tout à coup en plein milieu de l'air, je me suis senti virer le nez en bas, et juste au-dessus de chez moi, je suis devenu une grande lueur. J'ai dû faire beaucoup de morts quand je suis tombé. Je n'en sais rien. Personne n'en a parlé. Mais je sais très bien qu'un jour, éclat par éclat, un éclat dans la verdure, un éclat dans le sang d'une femme, un éclat dans la vie de la ville, un éclat dans le fleuve, un jour, éclat par éclat, je me suis refait.

Dans l'acier de mon cœur une sorte de vie va gronder. Et voici qu'une fois encore je vais m'ouvrir dans un grand fracas de lumière et de sang !

*

TIRER UN SI GRAND AMOUR AVEC UN BATEAU POURRI

C'est un enfant comme tous les autres
avec toutes ses oreilles avec tout son cœur
seulement il n'est pas bien là où il est
il n'en pleut plus d'être assis parmi les colonnes
il est tanné de pourrir parmi les os
il n'en peut plus de vivre au centre d'un grand squelette

voyez-le c'est un enfant bien ordinaire
on l'a mis en laisse au fond d'une cave
les rats petit à petit éteignent le chemin de ses yeux
dans les murs vierges de sa tête déjà
l'horrible sangsue d'être seul creuse son trou

voyez-le
il aurait voulu commencer comme tous les autres
il aurait voulu chevaucher le feu d'être beau
il aurait voulu voler dans chaque chant d'oiseau
il aurait voulu couler dans les ruisseaux comme une écorce
mais pour toute chaleur
seul le baiser rance de la mauvaise mère sur ses chaînes

voyez-le c'est un homme bien ordinaire
avec une grande fontaine de flammes dans chaque bras
avec une bête brisée qui sile dans son crâne
c'est un homme comme tous les autres
avec la charge de ses yeux contre tout ce qui sèche
avec l'arrachement de la paix dans ses membres
voyez-le

il se traîne comme un lièvre touché à travers son amour
il chigne comme un enfant dans le cerveau de celle qu'il aime
il glisse et se relève et court sans cesse vers son visage

voyez-le c'est un homme bien ordinaire
seulement il n'en peut plus de vivre assis dans la douleur commune
il n'en peut plus de foncer sur tous les fronts de la naissance
il n'en peut plus de garder sous sa peau cette enfance de vermine

mon amour regarde-le
c'est un homme bien ordinaire
au beau milieu de son dos
un couteau taillé dans un os de ton corps
est son plus vrai drapeau

mon amour nous n'aurons pas le miel facile
il y a trop de collets tendus sur la ligne des yeux
il y a trop d'ancres mortes dans les maisons
il y a trop de navires rompus dans les têtes
il y a trop de sang croûté aux portes de la lumière

*

AUTOUR DE NOTRE VIE JE GRAVITE NON ENCORE NÉ NON ENCORE FORMÉ

Un jour j'aurai des mains
le même jour je commencerai d'avoir un cœur

mon amour aura des mains pour te donner ce que je suis
mon amour aura des mains au bout de mes mains
je te prendrai au plus chaud de ta vie
je te ravirai pour battre la campagne au fond de nous

j'aurai des mains pour la chaleur et pour la nuit
j'aurai des mains pour que le jour éclaire dans ton sang
j'aurai des mains pour te construire
j'aurai des mains pour blesser la bête maudite
tapie sous le front de l'amour
j'aurai des mains pour me traîner dans ton corps
j'aurai des mains pour nager où tu es liquide
j'aurai des mains pour te cueillir où tu t'affales
j'aurai des mains pour l'appui quand tu cantes de peur

un jour j'aurai des mains
j'aurai des mains pour t'appeler quand je coule
j'aurai des mains pour te vouloir quand je pars de moi
j'aurai des mains pour défoncer quand tu cesses d'ouvrir
j'aurai des mains pour faire signe quand le paysage devient fou

mes mains seront des ponts pour que tu passes en moi

un jour j'aurai des mains
ce jour-là le monde s'affaissera dans les fêlures
ce jour-là des femmes et des enfants seront bus par la mort
ce jour-là des hommes moisiront sous la gale
un lit de boue noircie durcira la paix
mais ce jour-là j'aurai des mains
j'aurai des mains pour me relever dans la savane
j'aurai des mains pour cravacher ma bête de flammes
j'aurai des mains pour refaire la boussole
j'aurai des mains pour casser les murs qui te retiennent
j'aurai des mains pour gratter à chaque seuil comme un chien
j'aurai des mains pour arriver jusqu'à toi
puis j'aurai des mains enfin j'aurai des mains
pour que crèvent les eaux et que je crie »

- Pierre Morency, Au nord constamment de l'amour