26 juillet 2016

Historiette d'escargot - Monsieur Picotin et la buveur de bière

Historiette d'escargot. Jeune, à l'époque du CEGEP, à la suite d'un travail d'été, j'ai logé quelques mois dans une chambre et pension de la rue Young à Waterloo, tenue par madame Delorme, une veuve au grand coeur qui n'hésitait pas à vous avancer des sous si vous étiez à court. Quand on est jeune, sur la rue Young en plus, l'on risque toujours d'être à court. Mais tel n'est pas mon propos. Il y avait dans la ville un personnage que je croisais souvent, un homme qui arpentait les rues à longueur de journée; il n'avait rien d'un itinérant; je dirais que c'était plutôt un homme solitaire qui occupait son temps à marcher, à prendre l'air, et tant qu'à faire, il s'était donné comme tâche, hautement utile, mais sans doute dédaignée, sujette à moquerie, de ramasser chemin faisant papiers, débris de plastique, traîneries ici et là, bref tous ces débordements de la communauté, parfois commune et sans tête, gestes après-moi-le-déluge, on s’en tape, qui ne manquent jamais y compris dans une petite localité proprette. Cet homme tranquille, affairé, bénévole d'une grande liberté toujours à l’heure, je le respectais sans trop savoir pourquoi. Je le répète : il n'avait rien d'un survivant à la recherche de bouteilles consignées, rien d'un Pierre dompteur de vers récupérant les papiers chiffonnés dans les poubelles du coeur dans Léolo. Surtout, ce monsieur de petite taille n'était pas la Loulou de Waterloo. Je ne dis pas cela d'un point de vue moral. Seulement pour exclure du portrait tout arrière-goût de mépris. (Loulou? Un autre personnage marquant qui a hanté la rue Principale à Granby, la ville voisine, la Princesse des Cantons-de-l'Est. Une pauvre femme avec de grands yeux de biche au visage blanc lune, mi-cirque, mi-japonais, résolu, qu'on disait putain). Toujours est-il que l'exemple simple de ce ramasseur toutes voiles dehors, de loin en loin, a sans doute contribué à inhiber en moi toute honte de ramasser à mon tour, à bien petite échelle cependant, quand ça adonne (ne suis-je pas vieux à présent et à la retraite?) les cochonneries qui traînent dans la ville. Bref, c'est ainsi que lors de mon humble jogging de ce matin, j'ai récupéré sur le terre-plein du boulevard où j'habite une cannette écrapoutie, une bouteille de coke, un machin pour abouter une clé USB, puis aussi une bouteille de bière vide. Mais ce n’est pas vrai : la bouteille n'était pas vide! À ma grande surprise, alors que j'étais sur le point de ranger les corps morts avec mes propres bouteilles, j'aperçois un petit vertmont d'escargot réfugié dans l'orifice du goulot. En fait, il s'était littéralement englouti, comme fusionné au verre et j'ai eu du mal à le décoincer. Si bien que je le croyais séché là, mort raide. Mais non, heureusement! Je l'ai libéré dans la plate-bande. Et si Michel Garneau me demandait : « C'est t'y vrai c't'affaire là? », je dirais OUI! En Whistiti à part de cela... Tourlou.


Photo Jacques Desmarais.

19 juillet 2016

L'appel de la poésie à Saint-Venant

Le talentueux David Goudreault, poète, slameur, romancier est aimé partout où il passe. C'est lui qui animait comme un prince samedi soir dernier la soirée à La Maison de l'arbre sise au coeur du village vraiment joli de Saint-Venant dont la devise est « On renonce à renoncer »! David nous a refait avec verve son manifeste J'en appelle à la poésie, manifeste génial qui pave La grande nuit de la poésie à venir à Saint-Venant le 13 août prochain. En outre, David a aussi récité les paroles de La mort de l'ours de Félix Leclerc. Cela m'a beaucoup touché; je pouvais prononcer tout bas en même temps qu'il déclamait chacune des paroles, car il s'agit d'un texte fétiche pour moi. À la fin de la soirée, puisque nous étions dans son royaume, nous avons salué comme il se doit Richard Séguin. Puis, nous sommes revenus de nuit vers Béthanie, ma cambrousse adorée. Sur la route, en reprise à la radio, nous n'en croyions pas nos oreilles : Élisabeth Gagnon recevait à L'ascenseur pour les étoiles Richard Séguin! C'est fou les anges de la route qui nous tricotent du pur ravissement en orchestrant le destin parfait, inattendu. La surprenance heureuse qui nous dépasse. Au sortir d'un village, je ne sais plus lequel, autre signe émergeant dans les filets de la nuit, j'ai aperçu à temps de proche en proche une bête lumineuse au milieu du chemin : un petit faon ou un chevrillard tout beau, placide comme une lune égarée. J'ai ralenti, arrêté, on lui a transmis des signaux, clin d'œil avec mes hautes à cette majesté qui a rebroussé d'un trait vers le bois, et nous, Jo et moi, avons repris notre petit bonhomme de chemin avec comme une grâce sauvage des Cantons-de-l'Est s’infiltrant irrémédiablement en nous... À la radio, Séguin toujours à bord chantait Pierre Morency. Pierre Morency que je suis à lire intensément cet été! C'était incroyable! Magique!

18 juillet 2016

Projet de loi 106 sur la Politique énergétique ou l'emblème d'un gouvernement hypocrite!

Madame Denise Campillo, l'auteure de la lettre ci-jointe publiée le 16 juillet dernier dans Le Soleil est de Roxton Falls. C'est mon pays véritable ça. Il faut savoir que tout ce territoire des Cantons-de-l'Est (administrativement foutu en Montérégie...) est comme on dit « climbé ». On trouve encore plantées ici et là, au village, le long du rang Sainte-Geneviève des pancartes « Non au gaz de schiste »! Il faut aussi savoir qu'un cercle d'amis libéraux (et péquistes!) rongent leurs freins depuis 2011 parmi les valeureux lobbyistes assoiffés de l'Association pétrolière et gazière du ' Québec (lAPGQ). Sur son site internet en date du 7 juin dernier, il est bien certain que l'APGQ par la voix de son président Michael Binnion « salue la présentation de la loi sur les hydrocarbures ». David Heurtel, ministre mou du développement durable, connaît fort bien la musique! En décembre 2014, un rapport du BAPE a tranché : l'exploitation du gaz de schiste n'est pas avantageuse pour le Québec (Martin Bilodeau, La Presse+, 16.12.2014). Pensez-vous? Le gouvernement Couillard a accueilli « avec prudence » le rapport du BAPE! Néanmoins et quoi qu'il en soit de la réalité environnementale, depuis deux ans, les amis du « bon sens économique » de l'exploitation du gaz de schiste taillent avec patience le crayon législatif de « notre » gouvernement actuel que je qualifierais de parfaitement hypocrite!


***


Denise Campillo, Et nos vacances?, Le Soleil, 16 juillet 2016.
« Pas de vacances pour les écolos cet été. Et comme les citoyens ordinaires sont de plus en plus nombreux à rejoindre leurs rangs et à se mobiliser pour défendre l'avenir de leurs enfants, ça fait beaucoup de Québécois qui voient leurs vacances gâchées!




Par quoi? Pourquoi? Parce que le gouvernement Couillard a planté une bombe, le 7 juin dernier, en déposant son projet de loi 106 (Loi concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives) juste avant la fin de la session parlementaire. Et il a chargé une commission d'examiner ce projet de loi dès le 16 août 2016.
Pourquoi cette hâte? Le gouvernement veut mettre en oeuvre rapidement sa Politique énergétique 2030. C'est fort louable, d'autant que cette politique, rendue publique en avril, comporte de nombreux aspects pertinents et axés sur le développement durable et la lutte contre les changements climatiques. Mais elle comporte aussi des «petits caractères»: c'est la partie qui concerne «l'exploitation responsable des hydrocarbures au Québec». Énoncé étonnant pour un gouvernement qui met de l'avant la transition énergétique!
Dans le contexte planétaire actuel, les scientifiques s'entendent sur le fait qu'il ne doit pas y avoir de nouvelle exploitation de ressources fossiles, et surtout pas de ressources non conventionnelles comme le pétrole et le gaz de schiste. L'exploitation de ces hydrocarbures serait donc irresponsable, et viendrait réduire à néant toutes les belles intentions de la Politique énergétique. 
Mais le projet de loi 106 inclut une nouvelle Loi sur les hydrocarbures qui donne carte blanche aux pétrolières et aux gazières, qui retire aux municipalités leurs pouvoirs en matière de gestion de leur territoire et de leurs ressources en eau, et qui menace d'expropriation les propriétaires qui refuseraient des forages sur leur terrain.
On croit rêver - ou plutôt cauchemarder. Comment nos élus peuvent-ils élaborer des lois aussi rétrogrades, qui briment nos libertés et qui vont à l'encontre de tous les engagements pris en matière de lutte contre les changements climatiques et d'économie verte? Ils veulent faire du Québec une pétroéconomie? L'exemple de l'Alberta ne leur donne pas à réfléchir, avec son chapelet de problèmes environnementaux, économiques, sociaux? Ou bien le gouvernement actuel est-il une annexe des conseils d'administration des pétrolières et des gazières?
Dans ce contexte, pas de vacances pour les citoyens engagés, conscients du danger qui les menace et de leur devoir d'entraver l'action irresponsable et toxique du gouvernement. Partout au Québec, ils se renseignent, se rassemblent, se mobilisent. Bon été à nos élus! »

13 juillet 2016

Exploration pétrolière à l'Île d'Anticosti

L'exploration pétrolière à l'Île d'Anticosti ou quand les grandes pompes du PQ étaient toutes voiles dehors... C'était, au point A, le 14 février 2014, jour de la Saint-Valentin, et le PQ est encore en selle pour même pas deux mois francs. Misérable opportunisme politique!

Alexandre Shields, Le Devoir, 14/02/2014

Pour connaître la suite de ce grand amour du pays, et au fait, pour sauter tout de gogo dans l'actualité brûlante de MON pays où c'est à couteaux tirés entre notables et futurs barons, on se reportera avec grand intérêt au papier de Caroline Montpetit dans le Devoir du 13 juillet 2016

En complément s'ajoute le meilleur résumé, celui de Gérard Bérubé, Leçon pétrolière, Le Devoir, 14 juillet 2016.


11 juillet 2016

Homa Hoodfar emprisonnée en Iran

La professeure Homa Hoodfar emprisonnée en Iran a besoin d'un urgent coup de main. Le moins qui peut être fait est de signer la pétition d'Amnistie Internationale Canada Francophone  (pétition). En complément il faut lire l'appel touchant de Geneviève Rail, une collègue de madame Hoodfar à l'Université Concordia, publié dans La Presse du 7 juillet 2016. 

Des accusations nébuleuses ont été formulées hier par le procureur de l'Iran.  C'est hallucinant! Voir le compte rendu de Radio-Canada.


06 juillet 2016

Surplus budgétaire à Québec : l'hypocrisie politique à plein rendement


Le journal Le Devoir signale dans son édition d'aujourd'hui la seule réaction politique à s'être manifestée à la suite de l'annonce en catimini d'un surplus budgétaire record, alors que pas plus tard que la semaine dernière une énième coupe de 242 millions de $ était claironnée par le ministre de la Santé.

L'unique réaction est venue du député Amir Khadir de Québec Solidaire.

Ça m'a donné l'idée de partager un petit humoir de mon cru dans la section des  commentaires de l’article sur le site internet du journal :

QS veille au grain comme un seul homme
À ce que je sache, les épluchettes de blé d'Inde n'ont pas encore commencé faute de carburant. Alors, où sont donc les ministres et députés du PLQ pour commenter, expliquer et célébrer à tout rompre l'historique résultat budgétaire de notre valeureux gouvernement? Où sont les ténors de l'opposition officielle, M. Marceau en tête, pour, à tout le moins, faire semblant de critiquer? Et les matamores de la CAQ d’habitude si primes à vanter le courage politique qu'il faut pour couper encore plus et mieux que les libéraux, eux-mêmes métissés caquistes jusqu'au trognon? Suis-je trop impatient? Est-ce parce qu'il fait trop chaud de l'Île d'Anticosti à Port-Daniel?
Québec solidaire dénonce le surplus budgétaire

Le Devoir, 6 juillet 2016 |Gérard Bérubé | Actualités économiques
Québec solidaire a repris l’argumentaire d’économistes qui ont dénoncé l’empressement du gouvernement Couillard à emprunter la voie de l’austérité pour retrouver l’équilibre budgétaire. D’autant que l’équilibre attendu a plutôt pris la forme d’un surplus de 1,8 milliard.

Le député Amir Khadir a repris mardi les données de l’exercice clos le 31 mars dernier faisant apparaître un surplus de 1,8 milliard au lien de l’équilibre budgétisé. « Il est clair que le gouvernement a délibérément caché l’état réel des finances publiques à la population. Les surplus annoncés confirment ce que Québec solidaire a toujours avancé : l’austérité n’était pas nécessaire du point de vue des finances publiques. »

Dans son rapport mensuel déposé le 30 juin dernier, le ministre des Finances affiche des résultats préliminaires pour l’exercice faisant ressortir un solde positif de 1,65 milliard, selon la Loi sur l’équilibre budgétaire. Ce surplus tient compte d’un versement de 1,45 milliard au Fonds des générations et d’une provision pour éventualités de 150 millions. Au final, en y greffant ces deux derniers postes, le surplus atteint les 3,25 milliards pour l’exercice 2015-2016, selon ces données non vérifiées, alors que dans le Plan économique du Québec il devait être de 1,73 milliard.

Les revenus de l’exercice ont progressé de 2,6 milliards ou de 3,6 %, contre 3,3 % comptabilisés dans le Plan économique. Les revenus autonomes étaient supérieurs de 2,4 milliards par rapport à l’exercice clos le 31 mars 2015, et les transferts fédéraux, de 205 millions. Au chapitre des dépenses de programmes, l’augmentation n’était que de 0,4 %, ou de 267 millions (contre +1,7 % prévu dans le budget), avec une progression « dans les missions prioritaires que sont la santé et les services sociaux (+1,6 %) ainsi que l’éducation et la culture (+0,9 %) ». Le service de la dette a, quant à lui, reculé de 184 millions, ou de 2,4 %.

Dans le segment « Entités consolidées », le gouvernement a affiché un excédent de 2,7 milliards, dont 1,3 milliard venant des organismes autres que budgétaires, à quoi s’ajoute le 1,5 milliard dédié au Fonds des générations. Un déficit de 32 millions a été comptabilisé pour les entités des réseaux de la santé, des services sociaux et de l’éducation.

Ces résultats viennent confirmer les analyses dénonçant l’empressement du gouvernement Couillard à retrouver l’équilibre budgétaire et à réduire sa dette au prix d’une austérité nuisible à une activité économique toujours fragile. En février 2015, lors d’une présentation devant les étudiants de HEC Montréal, Pierre Fortin situait alors le « degré d’austérité » du gouvernement Couillard parmi les plus élevés des pays industrialisés et chiffrait son impact sur le PIB québécois à 1 % dans la prochaine année budgétaire, soit 3,3 milliards de dollars.

L’économiste François Delorme présentait, en janvier dernier, une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Il y était projeté que la politique de « rigueur » du gouvernement Couillard amènerait une réduction presque trois fois plus importante que prévu de la dette du Québec sur l’horizon 2019-2020.« La bonne nouvelle est que les finances publiques sont encore en meilleure santé qu’on le disait. La mauvaise est qu’on peut se demander si l’on n’est pas allé un peu trop loin, surtout en cette période où l’on est aux prises avec une faible croissance économique », disait-il.




04 juillet 2016

Le Canal du Midi à Montech

Photo Jacques Desmarais, Montech, France, juillet 2009.

Plein le casque

Bonne nouvelle! 
J'ai enfin reçu mon nouveau casque à vélo! 
Tombé du ciel comme dans Les ailes du désir
Comme une noix de coco
Mon vieux s'en venait pas mal
défuntisé.


Photo JD., musée Saint-Raymond, Toulouse, juin 2009.

03 juillet 2016

Serge Bouchard, l'anthropologue à la fière boussole


Comme à son habitude, dans ce court entretien au Soleil, Serge Bouchard en dit long. Il nous dépeint avec chaleur et sagesse. Tire sur plus d'une alerte. La dureté ne vient pas de lui, ni de la réalité des peuples tels qu'ils sont et se transforment dans le flux social et dans le monde. La dureté vient du silence, de l'égoïsme, des complicités de l'économisme mur-à-mur, de la domination qui marquent pour des siècles pays, paysages, faune et flore et habitants. Alouette! 

Il y a urgence, en effet! Merci Serge Bouchard!

***

Mylène Moisan, Chronique/ C'est quoi, quand on y pense, un hot-dog européen? Le Soleil, 2 et 3 juillet 2016. 

« C'est Serge Bouchard qui pose la question, nous sommes au Café au Temps perdu, rue Myrand. L'anthropologue a faim, il consulte le menu.
La veille de notre rencontre, les Anglais ont choisi de sortir de l'Europe. 
Il en va du hot-dog européen comme de l'Union européenne, un amalgame indistinct. “Ça vient d'où, le rêve européen? De considérations économiques d'abord et de l'idée de créer un troisième bloc. On a travaillé beaucoup sur l'aspect juridique, sur les frontières, sur les structures, mais on a oublié de considérer les identités. Le Brexit, ça dit tout. C'est un coup de poing sur la table qui nous dit ‘nous sommes des Anglais et nous avons le droit de le dire’.”
Même pour les mauvaises raisons.
Il se passe la même chose aux États-Unis. “Tout en étant une caricature dégueulasse et dangereuse, Trump a touché à ça, à cette corde-là, en disant un Américain, c'est blanc et c'est religieux, on attaque ceux qui nous écoeurent. Il a battu le tambour de quelque chose qui existe vraiment : c'est quoi un ‘vrai’ Américain?”
C'est quoi un “vrai” Canadien?
La question se pose depuis que Trudeau, le père, “a refusé le nationalisme québécois pour imposer un nationalisme canadien”. Les identités sont passées au hachoir à viande, comme de la chair à saucisses. “Le Canada a un rendez-vous avec l'histoire. Ça va coincer, ça va nous péter dans la face.”
L'homme fait ce constat sur un ton posé, comme s'il voyait un train arriver en gare. “Il va nous falloir beaucoup d'intelligence collective. Où elle est? On se le demande. Il y a actuellement une décadence, une fragilisation culturelle.” Comme un glissement de terrain. “Mes grands-parents ont grandi dans un monde stable, ils ont élevé leurs enfants dans un monde qu'ils connaissaient...”
On ne sait plus où on va ni d'où on vient. “J'appartiens à un monde qui n'existe plus. L'humain est une créature de sociétés et chaque société porte une marque. On l'a oublié.”
J'aime écouter Serge Bouchard, il y a une constance dans son propos, une sagesse dans sa réflexion. L'homme pèse ses mots, il rappelle le poids de l'histoire. Il a ses thèmes sur lesquels il revient, s'il n'en parlait pas, personne d'autre n'en parlerait.
La nordicité, la société qui avance sans regarder derrière et les peuples qui étaient là quand nous sommes arrivés. Pas des autochtones, Bouchard abhorre ce mot fourre-tout, l'anthropologue préfère parler d'Innus, de Cris de l'Ouest, de la Baie James, d'Algonquins Anishnabes, de Montagnais.
À 68 ans, Serge Bouchard reste optimiste. Malgré tout. 
“J'ai le nez là-dedans depuis 1969, je garde espoir. Qu'ont-ils à régler dans leurs communautés? Ils sont au point de reconstruction. Il y a des femmes qui disent à leurs enfants qu'ils se lèvent, qu'ils travaillent. Il y a une violence interne aussi et, un moment donné, il y a un seuil critique.”
On y est.
Il y a aussi toute une identité à cerner. “La pire façon d'être Indien c'est par la ‘carte’, tu es un enfant du gouvernement fédéral. Il n'y a rien de plus humiliant. L'autre façon, aussi épouvantable, c'est de se regarder historiquement et de vouloir enfermer l'identité en posant la question : es-tu un ‘vrai’ Indien?” 
On ne définit pas un peuple par élimination.
Ça s'applique au Québec aussi. “Le nationalisme, ce n'est pas la célébration de la race, c'est une intégration organique dans la politique, des partenariats, des ententes, des projets. J'aime mieux parler d'un projet de société que de la souveraineté, il faut qu'on entretienne notre style pour donner le goût aux immigrants d'y participer.”
Pour ça, il faut d'abord retrouver — ou trouver — la fierté d'être Québécois. “Les Canadiens français ont longtemps été perçus comme une drôle de race vivant en Amérique, des gens qui ne sont pas instruits, qui résistent au froid, avec des femmes robustes, et qui portent les marques de leur infériorité dans leur visage.”
Ces marques sont toujours là, en dedans. 
Serge Bouchard était de passage à Québec pour une cérémonie de l'Ordre national du Québec, il a été nommé officier. Ce même jour, le 22 juin, Boucar Diouf a été fait chevalier. “Je regardais Boucar, il a pleuré en recevant l'Ordre national. C'est ça le projet de société, c'est un modèle. On n'est pas une société coloniale. On est presque une société africaine, mais en blanc!”
Sur ce, Serge Bouchard a terminé son assiette. “Le jour où la Grande-Bretagne sort de l'Europe, je mange un Fish and chips.” »