Comme à son habitude, dans ce court entretien au Soleil, Serge Bouchard en dit long. Il nous dépeint avec chaleur et sagesse. Tire sur plus d'une alerte. La dureté ne vient pas de lui, ni de la réalité des peuples tels qu'ils sont et se transforment dans le flux social et dans le monde. La dureté vient du silence, de l'égoïsme, des complicités de l'économisme mur-à-mur, de la domination qui marquent pour des siècles pays, paysages, faune et flore et habitants. Alouette!
Il y a urgence, en effet! Merci Serge Bouchard!
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Mylène Moisan, Chronique/ C'est quoi, quand on y pense, un hot-dog européen? Le Soleil, 2 et 3 juillet 2016.
« C'est Serge Bouchard qui pose la question, nous sommes au Café au Temps perdu, rue Myrand. L'anthropologue a faim, il consulte le menu.
La veille de notre rencontre, les Anglais ont choisi de sortir de l'Europe.
Il en va du hot-dog européen comme de l'Union européenne, un amalgame indistinct. “Ça vient d'où, le rêve européen? De considérations économiques d'abord et de l'idée de créer un troisième bloc. On a travaillé beaucoup sur l'aspect juridique, sur les frontières, sur les structures, mais on a oublié de considérer les identités. Le Brexit, ça dit tout. C'est un coup de poing sur la table qui nous dit ‘nous sommes des Anglais et nous avons le droit de le dire’.”
Même pour les mauvaises raisons.
Il se passe la même chose aux États-Unis. “Tout en étant une caricature dégueulasse et dangereuse, Trump a touché à ça, à cette corde-là, en disant un Américain, c'est blanc et c'est religieux, on attaque ceux qui nous écoeurent. Il a battu le tambour de quelque chose qui existe vraiment : c'est quoi un ‘vrai’ Américain?”
C'est quoi un “vrai” Canadien?
La question se pose depuis que Trudeau, le père, “a refusé le nationalisme québécois pour imposer un nationalisme canadien”. Les identités sont passées au hachoir à viande, comme de la chair à saucisses. “Le Canada a un rendez-vous avec l'histoire. Ça va coincer, ça va nous péter dans la face.”
L'homme fait ce constat sur un ton posé, comme s'il voyait un train arriver en gare. “Il va nous falloir beaucoup d'intelligence collective. Où elle est? On se le demande. Il y a actuellement une décadence, une fragilisation culturelle.” Comme un glissement de terrain. “Mes grands-parents ont grandi dans un monde stable, ils ont élevé leurs enfants dans un monde qu'ils connaissaient...”
On ne sait plus où on va ni d'où on vient. “J'appartiens à un monde qui n'existe plus. L'humain est une créature de sociétés et chaque société porte une marque. On l'a oublié.”
J'aime écouter Serge Bouchard, il y a une constance dans son propos, une sagesse dans sa réflexion. L'homme pèse ses mots, il rappelle le poids de l'histoire. Il a ses thèmes sur lesquels il revient, s'il n'en parlait pas, personne d'autre n'en parlerait.
La nordicité, la société qui avance sans regarder derrière et les peuples qui étaient là quand nous sommes arrivés. Pas des autochtones, Bouchard abhorre ce mot fourre-tout, l'anthropologue préfère parler d'Innus, de Cris de l'Ouest, de la Baie James, d'Algonquins Anishnabes, de Montagnais.
À 68 ans, Serge Bouchard reste optimiste. Malgré tout.
“J'ai le nez là-dedans depuis 1969, je garde espoir. Qu'ont-ils à régler dans leurs communautés? Ils sont au point de reconstruction. Il y a des femmes qui disent à leurs enfants qu'ils se lèvent, qu'ils travaillent. Il y a une violence interne aussi et, un moment donné, il y a un seuil critique.”
On y est.
Il y a aussi toute une identité à cerner. “La pire façon d'être Indien c'est par la ‘carte’, tu es un enfant du gouvernement fédéral. Il n'y a rien de plus humiliant. L'autre façon, aussi épouvantable, c'est de se regarder historiquement et de vouloir enfermer l'identité en posant la question : es-tu un ‘vrai’ Indien?”
On ne définit pas un peuple par élimination.
Ça s'applique au Québec aussi. “Le nationalisme, ce n'est pas la célébration de la race, c'est une intégration organique dans la politique, des partenariats, des ententes, des projets. J'aime mieux parler d'un projet de société que de la souveraineté, il faut qu'on entretienne notre style pour donner le goût aux immigrants d'y participer.”
Pour ça, il faut d'abord retrouver — ou trouver — la fierté d'être Québécois. “Les Canadiens français ont longtemps été perçus comme une drôle de race vivant en Amérique, des gens qui ne sont pas instruits, qui résistent au froid, avec des femmes robustes, et qui portent les marques de leur infériorité dans leur visage.”
Ces marques sont toujours là, en dedans.
Serge Bouchard était de passage à Québec pour une cérémonie de l'Ordre national du Québec, il a été nommé officier. Ce même jour, le 22 juin, Boucar Diouf a été fait chevalier. “Je regardais Boucar, il a pleuré en recevant l'Ordre national. C'est ça le projet de société, c'est un modèle. On n'est pas une société coloniale. On est presque une société africaine, mais en blanc!”
Sur ce, Serge Bouchard a terminé son assiette. “Le jour où la Grande-Bretagne sort de l'Europe, je mange un Fish and chips.” »
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