25 février 2013

Nouvel air d'Italie : Grillo


Volare oh oh, cantare... chantait avec coeur un touriste italien d'un âge vénérable alors qu'un petit cercle s'était formé autour des musiciens cubains ambulants de l'hôtel en ce début de soirée où il faisait si bon à Cayo Largo. Après, croyez-le ou non, j'ai seulement entamé la première strophe et ce fut le guitariste qui interpréta en espagnol Quand le soleil dit bonjour à la montagna. Beau en titi! (Je savais que ce dernier avait cette chanson dans sa gibecière). Auparavant, j'avais demandé au vieux monsieur s'il connaissait Bella ciao?  Il s'est comme illuminé d'un coup, s'est retourné vers moi, m'a arrosé de mots... Il a cru un moment que j'étais Italien...  Mais ce soir, pour comprendre l'effet Grillo aux élections italiennes, je m'en remettrai à l'ami Jean-Paul Damaggio qui signe dans le blogue des Éditions de la Brochure ce beau texte : De Coluche à Beppe Grillo.



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 Quand on prétend analyser les phénomènes sociaux sous l’angle de la lutte des classes, à quoi bon s’intéresser à des comiques qui réduisent la politique à un spectacle ? Comme de simples révélateurs ? Non, vu que je me propose d’aller, par ce biais, au fondement de quelques réalités universelles !
 Les pays existent toujours
L’Italie et la France sont deux sœurs si proches que les comparaisons ne manquent pas et le lien entre Coluche et Grillo vient spontanément par le fait qu’ils utilisent le comique pour parler au peuple. Mais le parallèle s’arrête là : malgré l’existence de l’Union européenne, le phénomène Grillo démontre que l’Italie reste l’Italie et que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de Coluche point qui me servira de conclusion. Coluche tenta d’être candidat à la présidence de la république, Grillo conduit un mouvement pour des élections législatives car là-bas le président est élu au second degré… si bien qu’en fait Grillo… n’est même pas candidat ! Aucun Italien ne pourra voter pour lui ! Ils vont voter sur un bulletin doté de 27 partis en faisant une croix sur le sigle M5S (Mouvement 5 étoiles) donc pour des candidats totalement inconnus à l’exception de quelques uns. Le lecteur pense qu’il s’agit là d’un point de détail or il se souvient peut-être qu’en France pour voter Mélenchon le Front de Gauche trouva presque 12% alors qu’un mois après pour les législatives le score de ce parti est tombé de moitié ! Mais bon allons à l’essentiel.
 Grillo l’anti-Berlusconi ?
Avec le début des années 90, toute la classe au pouvoir a été balayée sans que l’opposition puisse briller car un phénomène est arrivé, celui du géant des médias, Berlusconi, qui a promis en 2013, ne plus revendiquer le titre de futur premier ministre, mais qui cependant est toujours là, et avec un appui populaire conséquent malgré les multiples échecs de sa politique. Cette télévision, qu’elle soit de gauche, de droite ou du centre, a décidé depuis plusieurs années d’effacer Beppe Grillo des écrans : c’est la première observation que me fait le chauffeur de taxi que j’interroge sur le phénomène Grillo. En réponse le parti M5S a décidé qu’une des conditions pour en être candidat, c’était de refuser toute présence sur les plateaux télé ! Lui-même refusa toute invitation ! Ainsi, à des journalistes qui se sont précipités pour interroger les rares distributeurs de tacts de ce parti, les militants ont simplement répondu : on n’a rien à vous dire ! Sur ce point Grillo est bien l’anti-Berlusconi et en choisissant de fuir la télé il a encaissé la critique classique : « c’est qu’il a peur de répondre aux questions ». J’ai connu les succès télé de Georges Marchais, puis ceux d’Olivier Besancenot et enfin le cas Mélenchon et dans les trois cas j’ai considéré que de tels succès ne pouvaient que conduire à l’échec, à défaut d’une claire analyse du rôle de la télé. La réponse de Besancenot est connue : « Il faut utiliser les failles de l’adversaire de classe quand on le peut… ». Mélenchon a joué une autre partition : je veux passer à la télé mais en me montrant agressif vis-à-vis des journalistes. Grillo réplique qu’il parle au peuple dans des meetings immenses : 40 000 à Milan (chiffre de la police 35 000) soit 10 000 présents de plus que pour la coalition de gauche, deux jours avant ! Et Milan c’est un emblème ! Et il n’est pas allé que dans les grandes villes… Même si tout le monde sait que les présents sont souvent des curieux et que Grillo sera victime du vote utile car l’écart devenant plus serré entre le centre-gauche et la droite, pour battre la droite certains vont voter Parti démocratique.
 Grillo le démolisseur ?
Grillo dit non à la télé, non aux partis, non aux syndicats et un reproche classique pointe son nez dans le rang des maîtres du monde : « il a un rôle facile car il détruit alors qu’il faut reconstruire l’Italie ». Il ne suffirait pas de dire NON, il faudrait aussi proposer des ALTERNATIVES. N’oublions pas que ce mode de pensée a été concocté aux USA par des savants en communication qui, pour contrôler les opposants, veulent d’abord les tirer sur le terrain qui est le leur. Or, il suffit d’écouter Grillo et de lire son programme : dire NON c’est proposer ! Ce fut la deuxième remarque du chauffeur de taxi qui visiblement ne votait pas Grillo mais qui m’indiqua : « Ce que dit Grillo, il le dit depuis vingt ans et depuis vingt ans tout le monde sait qu’il a raison. » Je savais que le mouvement avait commencé à naître autour de 2005, puis a été formalisé en 2009 mais je n’imaginais pas un antécédent aussi lointain et là aussi les médias jouent un rôle majeur en tuant « l’histoire » au profit de la « génération spontanée » que Pasteur, pour d’autres raisons, mis à mal. Si Grillo peut rassembler 15% des suffrages c’est que le mouvement vient de loin ! Avec Marx, c’est comme avec Pasteur, tout point de vue de classe détruit le phénomène « génération spontanée » en politique ! Grillo est l’effet de courants puissants et ce n’est pas seulement l’effet d’une farce d’un jour ! Et Grillo lui-même aime le rappeler : « il y a vingt ans, je suis allé devant les usines Fiat pour dire aux ouvriers qu’il était possible de produire une voiture qui consomme 1 litre au 100 et les syndicats m’ont ri au nez. » Parce que ce n’est là que le problème des patrons ? Et le plus gros NON de Grillo concerne l’Europe actuelle ! N’oublions pas que l’Italie a été, dans toute ses composantes, fortement favorable d’où le premier traité signé à Rome ! En proposant un référendum afin de savoir si les populations veulent sortir de l’Europe et retrouver leur propre monnaie, Grillo va à contre sens même si à présent Berlusconi reprend ce discours. Fondamentalement Grillo n’est pas un démolisseur et la présence sur la tribune de Milan de Dario Fo invoquant l’histoire : « Je me retrouve en 1945, nous retrouvons l’aspiration à une révolution », nous confirme dans ce constat. Le fils de Dario Fo, Jacopo Fo indiquera de son côté que s’il a des amis sincères dans le M5S comme dans le regroupement Rivoluzione Civile, il appelle à voter SEL de Vendola (la gauche du centre-gauche).
 Mais qu’en pensent les révolutionnaires ?
Tous les partis sans exception ont d’abord ridiculisé le M5S mais devant son succès populaire les positions ont évolué à gauche. Que dit par exemple Ingroia qui avec « l’extrême-gauche » (terme impropre) conduit Rivoluzione civile qui replace l’échec de 2007 avec Gauche arc-en-ciel ? Dans Il manifesto du 22 février il répond à cette question : « Grillo fait » peur » a titré Il corriere. Il vole des votes à tout le monde. Il vous fait peur à vous aussi ? »
Antonio Ingroia : « Non. Je participe pour gagner et l’objectif est de changer la politique. De ce fait le phénomène Grillo me préoccupe plus qu’il ne me fait peur : d’un côté il intercepte des poussées de rénovation mais de l’autre il n’a pas une proposition pour la transformation positive de ces poussées. Il ne fait que protester, sauf quelques arguments avec lesquels nous sommes d’accord : moralisation de la politique et de l’environnement. De plus, et c’est la faute de la politique, il représente l’échec de la démocratie : avec une série de spectacles sur les places auxquels les Italiens vont comme spectateurs et non comme acteurs, il attire les soutiens de quelques-uns qui voteront pour lui car il les représente hors il ne les représentera pas car il n’est pas candidat. Ses candidats sont personne (signori nessuno), je le dis avec respect, que les électeurs ne connaissent même pas. » Par un tel propos, qui reprend le discours de la classe dominante sur Grillo, Ingroia est décevant : il n’a rien compris !
 L’heure du marketing politique
La différence entre Coluche et Grillo s’appelle internet. Je ne vais pas ressortir le discours tant entendu sur les révolutions arabes produites par facebook, qui sert à masquer les enjeux sociaux réels, mais en Italie plus qu’en Tunisie l’outil internet joue un vrai rôle et particulièrement dans la façon dont il a été manœuvré par l’équipe de Grillo. Il m’est arrivé de produire une brochure sur l’histoire du marketing politique conçu aux USA pour valider le marketing en général, et j’ai pu observer que la question ne passionne pas les chercheurs en sciences sociales. Le marketing n’est pas réductible à la manipulation (son but est pratique : organiser la rencontre entre un produit et son client potentiel) mais, en son fond, il fait de la politique une marchandise. Il n’existe pas pour tromper l’électeur mais pour le changer en client ! Pour bien comprendre il faut lire le livre de Federico Mello sur « la face obscure des étoiles ». Pas traduit en français, je tenterais de donner quelques éléments dans de futurs articles. Pour le moment vous pouvez vous reporter à cet article de l’Espresso. Grillo est né à la politique par son blog car sa façon d'écrire et ce qu'il écrivait allait à la rencontre de réalités précises et largement partagées. Face au monde d'aujourd'hui le retour au politique sera un parcours très difficile. Jean-Paul Damaggio

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