12 novembre 2016

Cohen & Garneau


À la radio ce soir, hommage. La voix magnifique et ricaneuse de Michel Garneau au travers... Il y a des lunes. Ça vous recrache sur la table pourquoi l'on s'ennuie de celui qu'on suivait pour se «revendredire». Je paierais cher, en effet, réserverais tous mes vendredis soir pour imaginer à nouveau dans la subtile traversée des ondes comment on brasse ça au juste, quasiment pour rien, des étoiles. Récitant son ami Cohen, un pan de ciel à lui tout seul, il y a bien plus que la voix de Garneau. Il y a la connaissance fine du dedans des poèmes traduits, la mesure précise de la mélopée qui traîne jusqu'au Livre de l'Ecclésiaste. Il y aussi l'explication dans la poussière relaxée de l'ego de ce « focus » importé simplement par le nez que certains appellent zen :
on est souffle
on est dans le vent
Et passe la rumeur du trafic
En cet instant couvert de revanches, j'ajouterais :
on n'est pas des anges,
mais je peux enfin citer Garneau,
ce qui revient au même :
« la mort est inévitable
la grandeur prend bien du courage »

Titres
« J'ai porté le titre de Poète
et peut-être l'ai-je été
un certain temps
Le titre de Chanteur aussi
m'a été généreusement accordé
même si je pouvais à peine
chanter juste
Pendant plusieurs années
j'ai passé pour Moine
je me rasais la tête et portais
   le costume
et me levais très tôt
Je détestais tout le monde
mais savais jouer la générosité
et je ne me suis jamais fait
   prendre
Ma réputation
d'Homme à Femmes était une
   farce
Elle m'a fait amèrement rire
par ces dix mille nuits
que l'ai passées seul
De la fenêtre du troisième étage
devant le parc du Portugal
j'ai regardé la neige
tomber toute la journée
Comme d'habitude
il y a personne ici
il n'y a jamais personne
Miséricordieusement
la conversation intérieure
est annulée
par le bruit blanc de l'hiver
" Je ne suis ni pensée, Intellect,
ni voix silencieuse du dedans..."
est annulée aussi
et maintenant Bon lecteur Bonne
   Lectrice
au nom de quoi
au nom de qui
viens-tu
perdre ton temps avec moi
dans ce royaume luxueux
et dépérissant
de l'intimité qui n'a pas de but ? »
— Leonard Cohen, Livre du constant désir, traduction de Michel Garneau, L'Hexagone, 2007, p. 167.

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