« Tel l’oiseau dans son nid, toute la vie se réfugie dans l’œil […] »,
écrit Edmond Jabès dans Le Soupçon Le Désert.
Il arriva qu’Émile Roberge, poète nonagénaire de Granby,
fraternise dans les années soixante-dix avec Miron
toute une nuit durant à l’ancien Belval, rue Principale,
où mon père nous emmenait prendre une liqueur
lorsqu’il venait régler ses affaires de cultivateur
à la coopérative agricole;
restaurant populaire de Clovis Belval,
le père de Wézo d’Offenbach,
avec banquettes, bar au centre, jolie salle à dîner,
ouvert 24 heures. Cela me fut de bon secours à quelques reprises
d’y trouver une table et douze cafés étirés
pour tuer les dernières heures de la nuit
lors de mes pérégrinations d’ado en ville.
Émile fut en 1973 notre professeur de poésie au CÉGEP
et c’est dans sa classe que j’aurai bu littéralement
les paroles jubilatoires de liberté libre
qui me feront grimper sur les bureaux,
celles captées live dans le documentaire
J’ai reçu dans l’esprit de Pâques
un courriel d’Émile
avec des extraits de ses poèmes et quelques photos
d’un voyage qu’il fit en Terre Sainte
illustrant le Jardin des Oliviers
où, comme vous le savez,
se tenaient Jésus et sa gagne de freaks.
C’est là, un jeudi soir, qu’il fut arrêté...
Les photographies m’ont téléporté tout de go
dans l’ambiance à la fois aérienne et profonde
de la lente marche, par les bons soins de mon ami Benoit,
à travers le magnifique bosquet d’oliviers
entourant le Sanctuaire Santa María de Dulcil
(lieu réputé pour guérir les ganglions enflés),
dans les parages de Buera, en Aragón,
à l’automne 2017.
Étudiant, j’ai connu en éthique un jeune camarade
Photos jd., bosquet des oliviers, Sanctuaire Santa María de Dulcil, Aragón, 16 octobre 2017. |
Étudiant, j’ai connu en éthique un jeune camarade
qui s’appelait Pierre-Olivier Lafleur;
son nom en lui-même est un poème;
il faisait des travaux d’apprenti plombier pour subsister
et gardait un serpent redoutable dans son appartement.
Olivier, cousin de la branche gauche du lilas,
grand sec aux fleurs blanches,
toujours vert sage
dans le bruissement feutré
de ses feuilles argentées,
il tresse le jadis
le long de son écorce noueuse
presque jusqu’à la dureté de la pierre;
ses rameaux fournis, signe de force et de paix,
sont légendaires depuis qu’une colombe
lâchée lousse hors du confinement de l’arche
rapporta dans son bec une gerbe à Noé
signifiant la fin du Déluge!
Oyez! La décrue est entamée...
La Terre ferme sera de nouveau habitable!
Signe de victoire où la fuite éperdue
décharge sur le côté nos grimoires
parmi le « […] tas des écrasés du cœur »,
mais, ravive de plus belle la soif insubordonnée
de la fraîche poésie
ondulant les heures de paix à venir,
songerait peut-être ici
le bon Gaston Bachelard
Imagine! All the people...
À défaut de l’eau courante de Pâques
qu’enfant j’allais puiser, avant le crépuscule du matin,
dans le large fossé de la prairie pentue menant à la sucrerie,
j’ai celle de mon humble bouleau
entaillé il y a trois jours.
Ça coule comme une Madeleine
qui éclate de rire!
C’est la vie qui tambourine
comme le jubile Picasso!
Je dis comme perdrix la magie de tout cela
Mes petits-cocos ont bricolé pour moi
un beau petit lapin tenant un panier de chocolats,
aussi une jolie carte accordéon
avec le dessin d’un œuf sourire,
des coeurs, des mini lapins...
Un pur cadeau de mains de soleil
Puis viendront d’autres dimanches
et je retournerai illico à New York
où flotte le drapeau de l’ONU
orné justement de rameaux d’olivier
et je sifflerai à tous vents
cet air précieux de Lévesque
- en le jazzant s’il le faut,
même que« je twisterais les mots s’il fallait les twister » -,
« quand les hommes vivront d’amour ».
Je le sais bien, Christ, que ça ne marche pas nécessairement de même...
Émile, pour l’étoffe :
« nos mains jointes dessineront une croix
dans les temples burinés de silence et de lumière
clochers et campaniles perceront l’oeil de l’aurore
et nos faims s’apaiseront
émus, les mots épars du poème
à haute voix clameront leur espérance
et de nos blessures nous ferons une prière
(Extraits, Goût de racines et d'étoiles).
Lapierre pour la suite :
« Mais nos souffrances
sont liées.
Je voudrais que nos joies
le soient aussi. »
- René Lapierre, Les adieux.
Merci Émile.
Merci Laurie, Théo,
vous tous mes braves enfants!«