24 juin 2007

Quatre à quatre



À A.
Les quatre livres de mon enfance (et quelques autres pêle-mêle...)
Mes souvenirs de prime lecture sont à la fois vifs et flous.
Les livres avaient pour nom désert, mais nous ne le savions pas. C'était comme ça, je pense, dans la plupart des foyers ruraux et ouvriers du Québec de l'avant Révolution tranquille. (Qu'en est-il après la Révolution?) Un ou deux rayons d'une petite armoire, guère plus, dans les classes de l'école primaire Ste-Thérèse de l'Enfant-Jésus, aujourd'hui fermée.
J'avais d'abord mon missel que j'aimais bien. Malgré les bribes de bible, ça coure après sa jaquette, un missel, dans le sens que les pages suivent le calendrier liturgique, tout est précuit, prédit, mastiqué et ces histoires de paraboles ne partent jamais à l'aventure. C'était quand même un livre auquel il fallait faire attention.
C'est ma tante Simone qui m'a offert mon premier livre perso. Je ne savais pas encore lire. Ma tante était très croyante. Le livre mettait en images l'histoire d'un petit garçon et de son ange gardien. À mon grand étonnement, j'apprenais que nous avions tous un ange gardien collé à notre dos 24 heures sur 24! Même moi. Ça m'a éberlué. Premier creusement du ça. C'est avec une profonde émotion mais sans surprise que j'accueillerai bien des années plus tard Les ailes du désir de Wenders.
Mon père lisait La Presse ou La Tribune, ou encore Le Bulletin des Agriculteurs à tous les midi dans la chaise berceuse, après le repas, avant sa sieste. Cet exemple de lecture sera déterminant pour moi. J'aimais bien glaner une chronique qui s'appelait «Croyez-le ou non». Dans l'une d'elles, on racontait qu'on homme était rendu plus que centenaire. Cela m'apparaissait être incroyable. C'est parce qu'il mangeait de l'ail à tous les jours, lisait-on. À la maison, il n'y avait ni livres ni ail.
Un jour, à l'épicerie, on donna en prime le premier fascicule d'une encyclopédie quelconque dans un beau cartable rouge illustré. On y trouvait, entre autres, la figure tranquille de Bouddha qui m'intrigua au plus haut point. J'ai demandé à mon père : d'après vous, si j'arrive à lire tout ça, est-ce que je deviendrai savant? Mon père m'a assuré que oui.
Mon frère de quatre ans mon aîné est devenu un bon lecteur à l'adolescence. C'est beaucoup par ses mains que retomberont sur moi les livres dont quelques Bob Morane.
Un titre en particulier m'a eu : Voyageurs dans la nuit. Ce n'était pas un Morane. J'ai oublié le nom de l'auteur. Un jeune garçon fait une fugue (motivée!) et ça se passe en train! La nuit!
Traînait aussi un livre appartenant à ma belle-sœur. Elle avait fait l'école et cela conférait à mes yeux beaucoup d'importance à ce livre même si la jaquette était détachée. Je crois que c'était édité par Fides, relié avec des petites ficelles au centre. Je ne me rappelle ni du titre ni de l'auteur. C'était terriblement misérabiliste et tout catholique. Tout devait porté le sceau de l'imprimatur à l'époque. La jeune héroïne en bavait un coup sous la pluie froide. Sa famille était si pauvre que l'hiver, on devait chauffer avec de vieux journaux mis en boules mouillées. Le bois ne manquait surtout pas en campagne. Se chauffer avec du papier m'apparaissait être le comble de la pauvreté. Cette histoire m'a attristée pendant des mois.
À ma première année au secondaire, il y avait une activité de lecture «obligatoire» les vendredi après-midi. Cela ne m'enthousiasmait guère. Nous devions prendre des notes en lisant! Je ne savais pas comment m'y prendre, quel livre choisir à la bibliothèque... Je suis tout de même tombé sur Vol de nuit de St-Ex, car l'ange des livres existe aussi. Ce qui m'a amené à lire Le Petit Prince. À 13 ans, je peux dire que Le Petit Prince a été comme un grand coup de cymbale dans mon imaginaire. J'ai aussi eu une période Jules Vernes avec Le Tour du monde en quatre-vingts jours et Vingts mille lieux sous la mer. Mais Vernes, c'était abracadabrant et si chargé de détails!
C'est l'année d'ensuite que j'ai vraiment eu un coup de foudre pour les lettres! Un gros. Bien avant la dramatique célèbre de Radio-Canada, j'ai lu Des souris et des hommes de John Steinbeck. Ce récit m'a bouleversé. Comme une charrue. C'est lui le grand déclencheur, le carillonneur de tous les autres livres à venir. Je lirais dorénavant le plus souvent possible, de préférence la nuit pour la tranquillité et la profondeur. Crime et Châtiment de Dostoïevski a achevé de mettre le feu. À quinze ans,je rêvais de mettre en film cette histoire. Puis, confirmant l'éveil à la sensualité sans rien comprendre, surtout pas comprendre quoi que ce soit à la philo, je dois mentionner ce bouquin très chaud de Camus qui m'a titillé avec ses maisons si blanches, ses plages et ses filles : Noces, suivi de l'été... «Je suis jaloux de ceux qui vivront et pour qui fleurs et désirs de femme auront tout leur sens de chair et de sang.»
Les quatre écrivains (parmi d'autres) que je relirais encore et encore :
- Romain Gary.
- Réjean Ducharme.
- Pablo Nerruda
- Kafka
Les quatre écrivains que je ne relirais plus :
Je manque peut-être de goût, mais écrire est un métier si difficile et lire est toujours un vol plané sur le temps qui nous est donné. Il m'est impossible de répondre à cette question puisqu'il y a tant d'écrivains que j'ignore ou que je connais si mal, pourquoi m'efforcerais-je d'en mettre à la porte? Cela se fait naturellement selon les périodes. Je n'aime pas les écrivains qui gargouillent dans la machine littéraire pour la gloire du best seller et la vanité, ceux qui courent les prix, les télés, ceux qui sont de droite et qui n'ont pas une voix personnelle. Mais, encore une fois, je ne vivrai pas assez longtemps pour passer à travers ceux que j'aime et ceux que je découvrirai. Pourquoi perdrerai-je mon temps avec ceux-là que je n'aime pas?
Les quatre premiers livres de ma liste à lire ou à relire :
- James Joyce, L'Irlande, le Québec, les Mots, de Victor-Lévy Beaulieu
- Les anges n'ont rien dans les poches, de Dan Fante
- Maître Eckhart, de Jean Bédard
- Le vieux qui lisait des romans d'amour, de Luis Sulpeveda.
Les quatre livres que je suis en train de lire :
- Les nains de la mort, de Jonathan Coe
- Dits et délits, de Yvan Bienvenue
- La jeunesse de Clamoun, de Clément Harari et Max Biro
- Qu'est-ce donc ENFIN l'éthique appliquée? de Georges A. Legault.
Les quatres livres que j’emporterais sur une île déserte ;
- Oeuvres complètes (la Pléiade), Arthur Rimbaud
- Zen and the art of motocycle maintenance, de Robert M. Pirsig
- The self-sufficient life and how to live with it, de John Seymour
- Oeuvres complètes (la Pléiade), Spinoza (pour les jours de pluie et les nuits d'insomnie)
Pis en cachette, dans le fond de mes godasses, je camoufflerais L'homme rappaillé, de Gaston Miron...



Et puisqu'il faut donner la tag, j'appelle au parloir Innée de l'Arrière boutique.

6 commentaires:

Anonyme a dit...

J'aime le "À A." :)

Merci de t'etre prete au jeu. Rien de ce que je lis ici ne me surprend...La section "les 4 livres de l'enfance" est assez croustillante...

Anonyme a dit...

Je vais me prêter avec bonheur au jeu, mais pas avant le 3 juillet. Je suis quelque peu débordée et le temps qui me reste je l'offre à Milique et à moi, nous avons au phare un dialogue en construction :O)

Nancy

Anonyme a dit...

Onassis, le jeu en vaut la chandelle, chandelle pour éclairer ce qu'on a lu... Je suis un bien humble lecteur. Les grands lecteurs m'ont toujours fasciné. L'exercice m'a d'ailleurs rappelé que je veux lire depuis des lunes Alberto Manguel qui fut secrétaire de Borgès. «Une bibliothèque est un autoportrait», dit-il. Comme un jardin d'ailleurs. Dire que je n'ai pas encore fait mon jardin cette année!

Manguel à relu pour son Journal d'un lecteur tous les livres qui l'ont marqué jadis. Un livre par mois pendant deux ans. Pourquoi est-on touché par la lecture? À cette question, il répond : «Borges a répondu à cette question en disant que ce qui nous touche est l'imminence d'une révélation qui ne se fait pas (...)C'est ce qui place le lecteur aux aguets, dans cet état si excitant de tension. Ce qui est dit dans un livre est commenté par le livre lui-même et peut nous échapper.»

Il pense même que, surtout la nuit, ce sont les livres qui nous choisissent...

Et voilà que la lecture est vue dans un rapport (spirituel)à la surprenance...

Nancy, merci de prendre le flambeau. Comme ça, je ne passerai pas pour un «casseux de veillée».

Anonyme a dit...

Dernier arrivage à la boutique
Mon quatre à quatre
Bonne journée très cher voisin

Innée

Anonyme a dit...

Salut Jacques,

Merci pour le discours de De Gaulle. Dans un commentaire précédent, tu as fait une erreur sur le titre du roman de Sépulveda. Il s'agit du roman Le vieux qui lisait des romans d'amour. À plus.

Jean-LUc

Anonyme a dit...

Jean-Luc, c'est noté... Ça va à Granby?