Dimanche dernier, après qu'il eut venté tout l'après-midi, un beau soir s'est dessiné où brillait l'espérance. Avec des gens. Certains connus. Gilles Carle. Pierre Nepveu. Louise Arel. Bruno Roy.
C'était «Les mots nous regardent», un hommage à Gaston Miron, le Magnifique.
Une pléiade d'artistes et quelques témoins comme la brillante Andrée Ferretti.
Au centre de la scène : le souffleur de mots qui mironne.
Miron a dit un jour que «le poème est transcendance».
C'était en fait le spectacle de clôture du FIL animé par José Acquelin à la salle La Tulipe.
Clôture et transcendance, comment marcher avec cela dans les pieds sur notre route boucanée de vieux moi et de «bouts de temps qui halètent»?
Je peux dire qu'il s'est bu au cours de cette soirée quelques pintes de mots de chevreuil roux. Personne n'était soûl. On a pris les sous-bois aux odeurs de saules dans les cheveux du vent calmé. Puis le sentier des rosiers et des oeillets.
Personne n'avait le goût de se défiler.
Assis en quelque sorte sur le perron de l'âme, nous étions comme les enfants de la liberté bercés par des airs d'harmonica parlés.
Car Miron, tireur d'ellipses, pour une part découragé, pour une autre part fougueux contestataire à bout portant de la poésie même, ce Miron de l'Archambault pose devant l'éternité l'exigence même de la poésie et de la politique, c'est-à-dire être, c'est-à-dire devenir ce que nous sommes, c'est-à-dire s'ouvrir à la transcendance. C'est-à-dire encore assumer la profondeur de notre liberté, cette manière différenciée d'être avec tous les autres hommes de la terre. Terre de surprises et de télépathie. Terre d'ignorance. Terre de soleils qui carillonnent...
Et nous voici à nouveau en pleine lumière crue de la poésie qui se fait jour et monstralise la prise au collet de l'oubli, l'oubli même «qu'il s'agit de la mort de quelqu'un».
Il faudrait se pardonner à soi-même d'avoir été comme des objets jonglés, complaisants, lièvres abandonnés, dans la lune, et pourris par Rome, Paris, Londres, Washington et la pauvre ma tante Berta d'Ottawa...
Outre les souliers vernis de Miron, ont défilé sur la scène Alain Lamontagne, Michel Faubert, Jean Derome, Lou Babin, Hélène Monette, Chloé «la rousse rouge» Ste-Marie, Marie-Jo Thério (une étoile), et beaucoup d'autres...
Je dirais que c'est le partage de ce dénouement de soleils à tête chercheuse qui est au coeur du joueur de ruine babines. Si bien que dix ans après sa mort, la mémoire de Miron, commis-voyageur en chef de la littérature d'ici, n'est pas du tout nostalgique. Miron est plus flamboyant, plus pertinent que jamais. Il pousse encore dans le cul. Son oeuvre accuse avec panache nos retards patibulaires. Ses éclats de mots, ses éclisses se mettent à notre place mais comme en travers de nos travers. Avons-nous bougé d'un iota? Ce n'est qu'un jour de plus, dirait-il, et pourtant, ça urge de faire un pas, un petit pas...
C'est l'urgence même du poème. C'est-à-dire aimer. Mon bel amour, navigateur... C'est-à-dire : vivre! C'est tenir à dire aux autres hommes que «nous savons».
Mais nous, les fabuleux créatifs du continent, où sommes-nous? Quelle place occupons-nous?
Les masques de soi-même hérités depuis la belle luette de nos gigues analphabètes ne sont donc pas des alibis pour motiver l'absence même sous la couette du sommeil faussement diamanté par les bouteilles cassées de nos remords le long de notre histoire en marche. En marche!
Miron le marcheur n'est pas un Dieu en feu, en pâture. Il est pire encore : il est ce ratoureux poète qui a touché notre visage avec nos propres mots.
Les mots aussi ont un visage, un paysage, à tout le moins ils ont des yeux d'oiseau puisqu'ils nous regardent et nous invitent à les suivre «jusqu'à perte de vue». Au-delà de la clôture existentielle.
«Le poème est transcendance». Je cite de mémoire. Il ne faut pas m'en vouloir.
Mais qu'est-ce à dire au juste?
«Le non-poème, c'est ma tristesse ontologique, la souffrance d'être un autre.. . Le non-poème, c'est mon historicité vécue par substitutions. Le non-poème, c'est ma langue que je ne sais plus reconnaître, des marécages de mon esprit brumeux à ceux des signes aliénés de ma réalité... Or le poème ne peut se faire que contre le non-poème car le poème est émergence, car le poème est transcendance dans l'homogénéité d'un peuple qui libère sa durée inerte tenue emmurée...» L'Homme Rapaillé, 1965.
Au fil des mots, quand il fait clair et beau comme l'autre soir, le simple sourire, ce dépassement, cette conviction, cette espérance, cette mémoire, ce pays qui émerge comme un poème est à portée de main.
Quand il fait clair et magnifiquement beau.
3 commentaires:
Je suis tout simplement ravie par ta poésie sur la poésie. "shame on me" je ne connais guère Miron comme il se doit d'être connu. Cela manque amèrement à ma culture. Mais sous ta plume, et après tous les éloges de Cloé Ste-Marie au poète, je me dis qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire et ainsi embellir ma vie de Miron.
wow! Merci Jack!
Merci Carolinade. Comme toujours, tes commentaires sont des fleurs. Tu sais, je ne vois pas Miron, fut-il le poète «national», comme un miroir devant lequel «il faut» passer. L'obligation, le devoir, laissons cela en dehors de la poésie. Mais je suis par contre persuadé qu'on se transforme en passant, à son rythme, dans les parages de Miron. Il y a aussi un CD live du spectacle La marche à l'amour. C'est peut-être difficile à trouver. C'est assez impressionnant d'être au contact de la voix si percutante de Miron. Je l'ai vu en récital une fois avec d'autres poètes. En 1990, il m'a accordé une entrevue pour Train de nuit (radio Centre-ville). Il m'a parlé pendant un bon vingt minutes. Il avait toutefois refusé que j'enregistre notre entretient. Je peux te dire que je me sentais bien petit mais très fier de mon coup. J'ai bien aimé qu'il développe l'idée selon laquelle la parole a joué un rôle libérateur pour les «Canadiens-français» un peu comme le jazz a pu le faire chez les Noirs des États-Unis.
Merci Jacques pour ce compte-rendu de l’hommage à Gaston Miron
Il ne manque pas grand chose (poèmes, biographie, commentaires) pour avoir enfin un texte sur ce grand carillonneur des consciences
Alors Jacques j’attends avec impatience ce texte dont le corps est déjà ici présent
Courage, on y va!
Amitiés
gil
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