13 juillet 2007

Carnets pelés 12 - Dispute de goélands




« Ce petit qu'il faut qu'on fusille
on le mena devant la croix.
Cigarettes, blancheurs de fille,
il tira de sa poche, trois.
Une, il la mit à son esgourde,
l'autre à sa lèvre, puis en l'air,
il jette son chapeau qui tourne comme le soleil du désert. La troisième, soit une sainte, sur le calvaire il la perdit. C'est elle qui poussa la plainte puisque les hommes n'ont rien dit. »

Jacques Audiberti, Vera Cruz, Des Tonnes de semence (1941), rééd. Poésie/Gallimard, 1981, p. 110


9 mars 2003

Lecture de quelques passages de Précis de décomposition de Cioran, coll. Tel, Gallimard (1949), éd. de 1984. Une belle gibelotte. L’auteur parle de la généalogie du fanatisme. Il écrit :
«L'envie de devenir source d'événements agit sur chacun de nous comme un désordre mental. » (p. 12).

La folie de « prêcher » serait liée à l'instinct de conservation, « ... soif mortelle de fictions... ». La source de tout cela serait notre propension à se voir comme le centre du temps : « Nos réflexes (...) transforment en planète la parcelle de chair et de conscience que nous sommes. » (p. 14).





1997

Aux Herbes Rouges, François Charron publie La passion d’autonomie (...)
suivi de Une décomposition tranquille.


25 février 1996

Dans Les cinq sens de Michel Serres, on relève ceci : la vérité est vue comme l’ultime décision du «je» en état de survie. Il s’agirait d’un passage dont l’issue est déterminante, et non pas l’implication figurative de la métaphysique « naturelle » du logos tournée vers l’adéquation des énoncées avec le réel. Par exemple, sortir par le hublot d’un navire en perdition. Expérience vécue par l’auteur. Nous ne sommes pas dans la dentelle.

En cette même année de 1996 paraît en français chez Métailié Le neveu d'Amérique de Luis Sepulveda. Nous ne sommes pas dans la dentelle. Le « je » souillé, attristé, torturé, par quel hublot béni sortira-t-il vivant de toute cette folie politique? Et les salopards, quelles sont leurs chances de survie? En quelle année le Kanasuta de Richard Desjardins qui nous scande-t-il la « légitime défense? »

Sepulveda gagne trois belles semaines au « cube » pour avoir dit la vérité à un officier aimant se faire licher le cul et qui était animé de fantasmes littéraires avec pour seul talent celui de plagier les vers d'un poète sirupeux. L'officier avait demandé à l'écrivain son avis sur « ses poésies ». Au cube! Au trou! Au hublot de merde!

«On ne pouvait s'allonger qu'en diagonale, mais les basses températures du sud, les pluies et l'urine des soldats incitaient à se recroqueviller et à désirer devenir minuscule afin de pouvoir débarquer sur une des îles de merde flottante qui jonchaient le sol, et suggéraient des vacances de rêve. Je restai là-dedans trois semaines, me racontant des films de Laurel et Hardy, me récitant les romans de Salgari, de Stevenson, de London, jouant de longues parties d'échecs et me léchant les doigts de pied pour les protéger des infections. Dans ce cube, je me suis juré et rejuré de ne jamais me consacrer à la critique littéraire. » (Le neveu..., p. 32),


Printemps 1990

Lors d’un entretien donné à Jean Larose sur les ondes de Radio-Canada, à l’ex-Chaîne culturelle (bravo! M. Lafrance pour votre médaille de la Légion du Déshonneur!), entendu le carillonneur Gaston Miron proférer une sentence qui m’a marqué, très souvent aidé le long du long de mes petites pérégrinations noctambules. Le poète se moquait, en effet, de la sempiternelle madame La Muse qui s’amuse à tricoter du silence, à nouer l’angoisse, à paqueter l’angine de poitrine avec son visage tanné de beau grand soleil intérieur reflétant l’invisible, néanmoins clignotante boule de cristal, synonyme abâtardi de la chère Inspiration qui peut cependant, passant par le nez, sentir la transpiration si l’on consent le moindrement ce clin d'oeil du côté de Vanier, le gros plein d’encre... Ce n’est pas avec de l’inspiration qu’on fait des poèmes, martelait Miron, mais avec des mots!

Savait-il alors (sans doute) qu’il faisait sienne une idée de Mallarmé disant à Degas : « ce n’est pas avec des idées mais avec des mots qu’on écrit de la poésie »?

En terre de Mironnie, on dit que «les mots nous regardent ».


Quelque part en 2006

Dans le documentaire François Charron, poète (Au fil des mots, Productions téridan), on peut entendre l'auteur de Le monde comme obstacle lire quelques-uns de ses vers :

« La perte est à peine concevable. »

« Ce qui manque est infini »

Et dire encore ceci :
« Parfois les mots en savent plus que nous »


26 août 1994

À Haute voix (Radio-Can), François Charron, toujours, disait : « Les mots écoutent eux-mêmes les mots. ». Et plus loin, au bout du quai qui se décomposera sous nos pieds : « Mourir passe par ma bouche »

Saudit! Ô minuit bleu dièse, vite, crache-nous une réplique!

« Plage à marée basse. Les bruits du langage se sont retirés. Fonds de vase avec ses trous, ses amas de solitude. Nous sommes avant ou après l’écriture. Là où personne n’écoute. Dispute de goélands. Leurs dos de cendres claires font filer les mailles d’un ciel bas.»

— Georges Perros, Lettres à Michel Butor, tome 2, 1968-1978, p. 8.

Mais, mon cher Georges, bûcheur d'éternité saline, cette fois, je ne te laisserai pas le dernier mot, car citer sans explorer, c'est comme lire sans trépasser.

Charron cite lui-même un chercheur français qu'il ne nomme pas.

C'est qu'à travers tout ce fatras, la poésie, en effet, qu'est-ce?

« La poésie, disait le chercheur inconnu, ce n'est jamais ça ».













2 commentaires:

Anonyme a dit...

Emu de voir cité mon oncle, non, mon grand-oncle, outratlantique. Sais-tu queles Cahiers du Cinéma ont réédité de lui, en 1996, ses textes sur le Cinéma, sous le titre "Le mur du fond". Truffaut a dit de lui : "Chaque fois que, tournant, un film, l'occasion m'est donnée de montrer plusieurs comportements masculins à l'égard de femmes, je demande à l'un de mes acteurs de s'imprégnier d'Audiberti pour qui les femmes étaient magiques."
Et c'est Truffaut qui conseilla à une jeune actrice encore inconnue de prendre le nom d'un titre de roman d'Audiberti : Marie Dubois.

Anonyme a dit...

Théo, vous faites ma journée!