17 janvier 2008

Harmonie d'un soir d'hiver
















À 18 ans j'ai lu un récit qui m'a rentré dedans. Il s'agit de André Breton a-t-il dit passe, de Charles Duits.

Appelons cela un livre culte, si vous voulez, bien que je ne l'aie lu qu'une fois. J'ai donné ce livre à un ami cher qui n'est plus de ce monde. Un jour, je me procurerai un nouvel exemplaire. Peut-être que je n'y retrouverai plus rien de spécial.

C'est un récit très simple qui m'a pourtant ouvert à la littérature. Ouvert n'est pas le mot : c'est un livre qui m'a allumé. Cela se passe à New York en 1942, pendant la guerre. La famille du jeune Duits, en partie juive, a fui le nazisme. Breton aussi est en exil. Ils se rencontrent et resteront liés, non sans bourrasques, jusqu'à la mort de Breton.

Breton a vu chez Duits, alors âgé de 17 ans, l'incarnation d'un messager porteur d'un flambeau essentiel qu'il cherchait à exprimer lui-même depuis longtemps. Illumination. De son côté, Duits qui fréquente les librairies et a l'oreille dressée ne s'explique pas la magie qui l'a porté jusque chez Breton suite à une lettre qu'il a osé lui faire suivre.

Depuis cette lecture, je sais que l'Ange des livres existe. C'est lui qui veille en sourdine à nous mettre sur la route de ce que nous cherchions sans toujours le savoir, sans réaliser que c'est cela même que nous désirions au plus haut point. C'est par la grâce de l'Ange que se mélangent souffle, braises et masques, tout ce qu'il faut pour que les ailes du désir effleurent la vie dans les livres.

C'est-à-dire aussi que nous sommes des boîtes à surprise pour nous-mêmes et pour les autres, et les autres pour tous, comme le suggère si finement Jean-François Malherbe dont je veux dire un mot.

Je m'endors ordinairement comme un loir, peut-être même comme la Loire dans son lit... Bref, j'ai rarement des lectures de chevet. Par contre, à tous les jours, je lis dans le métro.

Or, voici qu'un bouquin pour un travail en éthique - cela ne vous intéresserait pas -, me tombe enfin dans les mains, en soirée, par les bons soins du philosophe André Duhamel. Au retour, à la station Longueuil-Université de Sherbrooke, je commence à glaner quelques articles (c'est un collectif) et m'arrête sur celui qui est, en apparence, le plus éloigné de mon travail. C'est celui de Malherbe, justement, que j'ai eu comme professeur à l'automne 2006. Ça traite d'éthique clinique. Peu importe.

Je me replonge volontiers dans la notion de surprenance (la boîte à surprise) que développe cet auteur comme fondement du devenir soi. D'emblée, ce n'est pas seulement un plaisir de lecture. C'est comme une récollection malgré l'environnement du métro. Non pas un fuseau de mémoire qui rince d'un coup sec l'inconscient jusqu'au prochain trou, prochaine station, mais plutôt une lumière rieuse qui donne à boire et à lire, non sans transgresser, je dirais, les dimensions «normales» de notre stage sur la terre...



C'est qu'il y a de la buée dans notre vitre entre le Soi et le pseudo-Soi; Malherbe rappelle que plusieurs philosophes de la tradition occidentale, de Socrate à Hanna Arendt, en passant par Spinoza, Marx, Kierkegaard, et j'en passe, ont documenté cette question.

En guise de petite trace dans la neige des mots, une seule citation qui ne dira pas beaucoup de la pensée de Malherbe, mais elle nous renvoie à nos moutons essentiels :

«(...) le sens d'une vie humaine est de devenir aussi authentique que possible. J'entends (...) le mot «authentique» dans son sens étymologique : est authentique tout être qui 'travaille à engendrer sa propre harmonie'»

- Jean-François Malherbe, Élément de méthode en éthique clinique, in L'intervention en éthique organisationnelle : théorie et pratique, sous la direction de Yves Boisvert, Liber, 2007, p. 79.

Pour un Duits plus peyotl, voir ici.

Photo du haut : partie de la murale de Robert LaPalme, métro Berri-Uquam, jd
L'ange dans les galeries du métro : coll. Steve Beauséjour.

7 commentaires:

Karo Lego a dit...

merci Jack. je commente peu ces jours-ci mais je te lis toujours avec bonheur. en particulier cette réflexion... essentielle.

Anonyme a dit...

merci Caro! J'ai souligné dimanche à Leroy K. May, qui opinait du chef, que je n'écrirais plus désormais de longs textes qui découragent les lecteurs de blogue. J'comprends donc. Je récidive ici parce que c'est un billet et parce qu'il y a au moins toi qui vient lire. De temps en temps aussi, un Carnet pelé...

Anonyme a dit...

C'est vrai que l'écran d'ordinateur n'est pas le meilleur média pour les textes un peu longs. Ceci dit, lorsqu'une petite musique est présente (et elle est bougrement présente), les bribes nous emportent déjà. Même dans la littérature imprimée, il y a certains auteurs comme Bouvier que je n'ai jamais lu en entier et dont je me contente de lire des passages (comme certains lisent la bible)et cela rien que pour la musique qui en émane. C'est le cas aussi de François Mauriac que j'ai jadis dévoré mais dont je me contente maintenant de lire et relire certaines descriptions. Et c'est le cas également pour ce blog, donc ne t'inquiète pas trop de la longueur.

Christian Roy, aka Leroy a dit...

i'm a man on a mission: gracq et duits. enduisons la grâce fantôme des douilles du dôme mou de la science conne des maux scients

Anonyme a dit...

Merci Rimo! Je ne me gênerai pas de faire un commentaire de moyenne longueur... Il est rare que l'on cite à présent le nom de Mauriac, mort en 1970. Lorsque j'étais adolescent, cet auteur bordelais nobelisé (1952) circulait abondamment. Sans doute plus librement que Gide dans le Québec catholique et conservateur de l'époque. J'ai conservé une vive impression des premières pages de Thérèse Desqueyroux,la presque meurtrière meurtrie qui, après le non-lieu de son procès, traverse la ville en taxi aux côtés de sa victime-bourreau, son mari, qui la ramène dans sa cage dorée...
Je connais peu le reste, me perds dans ses combats journalistiques et politiques, mais c'est vrai qu'il joue sur son enclume de l'antanaclase et autres figures bruissantes, le tout ponctué avec grand art. "Le vent d'équinoxe, arrêté par l'immense forêt odorante et chaude, ne se décèle qu'au glissement des nuages, qu'au balancement des cimes, à ce bruit de mer qu'elles font dans le ciel." (Le baiser au lépreux)

Anonyme a dit...

HARMONIA MUNDI

Personne n'engendre l'harmonie
Elle préexiste dès la rencontre
De la puissance brute
Et de la beauté
Dans un certain sens
Elle réadvient
Chez les formes oublieuses
Autocouronnées impératrices du vent
Elle est en fait derrière le paravent
Des vanités

Karo Lego a dit...

Ah jack !!! après moi... le déluge d'éloges qui ne déroge.. tu vois, tu n'es pas seul dans ton beau délire dithyrambique long et bon pour le diaphragme de mon âme à vide, avide de philofolie nourrissante. Non grand Jack, je ne suis pas solo à aller jusqu'au bout de tes looooooongues et belles envolées et carnets que j'appelle essentiels ;)