29 avril 2008

Carnets pelés 20 - Printemps labourés


Paris, le 24 avril 1986

C’est un peu pêle-mêle le nom des rues, des places, le nord, le sud.
J’ai amené mon «guide touristique »... Rue Pigalle, les alentours, tours tours, dans Les nouvelles d’Édouard de Michel Tremblay, page 216 : devanture chez Maune (ou Maurice); Moulin Rouge; place Blanche, boulevard Barbe, Sacré-Coeur, rue du Poulet...

Dans les minuscules rues noires qui montent, c’est leur Main avec un essaim de putes écourtichées.

Autour de la Place de l’Opéra, je vois dans la vitrine d’un libraire un livre ouvert avec une dédicace de Paul Éluard. Plus loin, le bar Ernest Hemingway qui semble être un club select plutôt rébarbatif à l'idée que Paris est une fête.


Montréal, début juin 1986

C’est la canicule. Dans le métro, on peine. Sur le banc voisin se trouve Michel Tremblay. J’ose engager la conversation parce je tiens absolument à lui dire que j’ai exploré Paris à partir de ses Nouvelles d’Édouard. Nous échangeons facilement comme si nous nous connaissions depuis toujours. Puis il descend à Cadillac avec moi. Il m’explique qu’il est en tournage pour Radio-Can dans une église des environs. Une oeuvre de jeunesse inédite. Histoire d’une noce qui vire tout croche.


Train Paris-Montauban, 26 avril 1986

Coût du voyage : 239 francs.
Café : 10 francs.

J’ai traversé une kyrielle de villes depuis Châteauroux.

Les pommiers sont en fleurs.
Les jardins sont levés.
Les prairies sont verdoyantes. Un beau vert.

À ce point-ci, toutefois, les terres se font plus rocailleuses; la forêt devient maigrichonne. J’ai vu paître ici et là des moutons en grappes.

J’ai la tête un peu vide.


Montréal, 29 mars 2000

Marchant ce matin sur la rue Sherbrooke en direction du métro Honoré-Beaugrand, mes pieds me conduisaient comme ceux d’un vagabond. J’ai trop bu de Ronsard et de Villon, hier soir. J’ai des couleuvres foncées encore plein la tête. Comment aller honnêtement travailler dans un état pareil?


Trois-Rivières, 13 mai 2000

Hôtel Delta, minuit passé.

Je prends un drambuie au bar et je suis super gentil avec la serveuse. Puis je sors. De la rue Georges, je gagne le boul. des Forges. Il y a plusieurs spots pour boire, danser. Ça ne m’intéresse pas. Je tombe de fatigue. Je serai en service tôt demain matin. Je voulais seulement voir déambuler le monde ici, un vendredi soir. Malgré le froid humide, j’en claque des dents, je croise des gars en manches courtes, des filles en cuisses. Téméraire jeunesse.


Montréal, 9 mai 2003

Direction l’Alizé. C’est le FIL. Je m’en vais y lire mes textes. Je suis nerveux, mais comme figé.

Pierre St-Jak accompagne les lecteurs. C’est crissement le fun.

Ça s’est bien passé. J’avais la tremblotte, mais je n’ai pas fait d’erreur. Mon intervention à l’harmonica a été pertinente.

Après, on s’est ramassé chez So. J’ai mal bouffé. Je n’étais pas là. J’étais encore accroché aux fils d’or de mon petit tapis magique. Je ne suis pas très habitué au public.

Je pensais aux bons mots de Michel Garneau à l’égard de ses invités (Cynthia Girard, Hélène Boissé et moi). Il a parlé d’écriture frère, de poètes ayant leur propre voix et qui travaillent dans le réel, non pas à partir de l’expérience poétique des autres.

Bruno Roy m’a dit avoir vu du Miron à cause de la présence des bêtes dans mes textes.

Gaétan Dostie m’a dit avoir été très touché.

Un inconnu assez jeune est venu me remercier pour ma lecture.

La belle Violaine Forest note mon adresse courriel : elle dit vouloir m'inviter à son émission Le bal des oiseaux.


Montréal, le 27 mai 1997

Première vraie journée de soleil printanier.


Le 1er avril 1997

Jacques Brault reprenant Proust : « Tous les grands écrivains se ressemblent; ils font se rencontrer le passé, le présent, l’avenir ».


Le 4 juin 1991

Le P’tit Bar. Sylvain joue du sax avec Richard Gendreau.

Ce matin, à bicyclette, je hurlais une chanson de mon cru, pour l’air du temps. « La boucane vous fera mal. Mais c’est normal. » Référence sans doute à l’article de Serge Truffaut sur Hawkins, dans Le Devoir de samedi dernier. En substance, il écrivait : le jazz, c’est comme la boucane; ça sent!

Cet après-midi, Michaël La Chance m’a cité un extrait de son Forger l’effroi. Il y avait, entre autres, cette phrase que je ne juge pas et cite de mémoire : « Et je n’ai pas su rester digne dans le malheur ».


12 juin 1994

J’écoute en ce moment Portraits, the last day, de Randy Weston, le subtil gaillard. Il décoche des ambiances tantôt de pluie averse, tantôt de soleil dardant. On est à fleur de notes. Tout le temps.


10 mars 2007

Par un samedi gris, Au Quai des Brumes avec Nina qui me parle de Mike Graig et de sa vie de chanteuse. Pendant qu’elle va aux toilettes, je commande d’autres bières, j’écris à la va-vite des phrases pour un aveugle. Un intense voisin de table est en feu, on dirait; il lit un livre dont je ne me rappelle plus le titre. Il nous refile comme une urgence définitive cette autre référence : Guide de Mongolie de Svetislav Basara.



***

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Je me souviens du 9 mai 2003. Je me souviens d'avoir vu tes mains trembler en jouant de l'harmonica. Je me souviens que j'avais eu les larmes de voir les mains de mon pere trembler.
J'aime beaucoup ce que tu ecris, j'espere que le slam s'est bien passe !

Noe xxxx

Jack a dit...

Oh! Chère Noémie! Je ne savais pas ça. Fallait pas t'en faire. L'émotion prend des drôles de chemin à notre insu. L'autre soir, à la Nuit Blanche, ma gorge est devenue tellement sèche à mesure que je «déclamais» que je me suis posé la question : vais-je me rendre au bout de mon texte? Merci pour tes bons mots. Capte le soleil australien pour moi.