23 août 2008

Carnets pelés 23 - banquets




17 décembre 1990

C'est le souper de philo au Poulet Doré. J. Lumières s'est remoulée comme une pigeonne quand je lui ai fait la bise. Mais ni elle ni Bern n'ont fait vieux os en face de moi. Ils sont allés rejoindre Georges Leroux. Bern. portait à l'oreille gauche un pendentif gros comme une sauterelle.

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Georges, mon directeur de thèse, a téléphoné hier : il me pensait KO suite à mon séminaire so so devant jury il y a une semaine. Je le suis, mais chaos juste naïvement.

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Entendu cet après-midi à la radio Robert Lalonde. En cours d'interview - il s'agissait davantage d'un témoignage sous forme d'un soliloque assez libre teinté de l'esprit du Temps des Fêtes -, le comédien, l'auteur de Le fou du père cite une lecture qui fut marquante pour lui dans son affirmation en tant qu'artiste : The Courage to create.


J'ai noté sur un calepin cette piste qui me sembla digne d'intérêt et même beaucoup plus.

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Après le bureau, je me suis dirigé tout de go vers le Poulet Doré sur la Catherine. Je croyais que le rendez-vous était à 17 h. C'était une erreur. J'aurais dû plutôt noter 19 h. C'est Gilles Rhéaume, croisé par hasard sur mon chemin, qui m'en informa. J'avais donc deux heures à tuer.

Rhéaume se rendait au séminaire de Sylvain portant sur l'anarchisme. Je suis venu tout près de l'accompagner. Mais j'étais encore sonné suite à mon récent corps à corps avec l'institution où je me suis fait dire par un des membres du jury ne prisant pas la philosophie américaine «que je manquais de goût». Je travaille le concept de vérité chez Dewey et Rorty.

Que ma présentation fut criblée de fuites et de mièvreries, je veux bien. Qu'on ait pu se gausser de mon titre, La pensée comme navire, j'en mesure toute la naïveté. Quoique. Mais mon erreur la plus grande, je l'ai reconnue, fut de présenter un texte beaucoup trop collé sur Comment nous pensons, un essai de vulgarisation de l'auteur de Démocratie et éducation.

Je m'en suis tiré avec B.

C'est autre chose qui m'a blessé, une attitude, une atmosphère, très certainement cette petite vipèrerie de bas étage de cette doctoresse assise en face de moi, rien à voir avec mon travail, elle se délectant de la dénotation des signes à la sauce japonaise de Roland Barthes...

C'est ainsi qu'elle a pris la peine de faire remarquer au jury qu'elle s'était habillée pour la circonstance en prolétaire, exprès pour moi!

Comment réagir à une telle niaiserie? J'aurais pu penser en moi-même qu'elle faisait dur, avait l'air d'une soeur grise, d'une soeur grise à moustache. Or je ne pensais rien de tout cela, car j'étais sur la sellette, jugé, éprouvé pour mériter mon grade de philosophe!

«Pour philosopher apprenez
Qu'il faut d'abord la permission
Des signatures et des raisons
Un diplôme d'au moins un maison spécialisée...»
Félix Leclerc - Contumace

Même travaillant à temps plein, je me considère comme un étudiant à la maîtrise, point! Prolétaire?! Même étant un travailleur, je suis indécrotablement un paysan. M'ayant mieux «analysé», aurait-elle eu l'outrecuidance de porter un overall?

Plus tôt, ce boute-en-train du séminaire s'était interrogé sur la pertinence de l'une de mes références, soit l'Empire du moderne de Laurent Michel Vacher. «Qui est-il au juste? Il est professeur au CEGEP, n'est-ce pas? Il ne doit pas être dans des conditions propices pour penser...». Péteuse!

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Auparavant, le séminaire de Colette m'avait semblé être sous le mode de la noyade ininterrompue; celui de Bern. fut une affaire très intelligente, mais tournant autour de sa queue (de cheval, tressée). Non, je n'irais pas me payer un autre calvaire de banquet.

Je gagne plutôt la bibliothèque centrale. J'en profite pour lancer à l'écran The Courage to Create, puis je glane d'autres titres de Rollo May, l'auteur. J'ai imprimé ma recherche bibliographique. L'exemplaire de Courage est obscurément égaré!

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Après, j'ai marché vers l'est sur la Catherine avec une attaque massive de neige lourde sur la tuque, une neige presque pluie. C'est bordeline sur l'Île. Mes yeux fixent le trottoir tellement on est transcrit en regardant droit devant. Mais l'ange des livres se tient au chaud. Sur ma poitrine d'enfant sage. Il me fait signe de lever la tête juste au bon moment. On ne me croira pas, mais c'est pourtant lui qui me fait rencontrer, devant la Place Dupuis, Robert Lalonde lui-même!

C'est trop cocasse. Je l'aborde en lui disant l'avoir entendu à la radio tout à l'heure. J'aime le personnage depuis plusieurs années et j'ai souvent pensé lui écrire. Quel hasard!

Nous nous entretenons un bon 15 minutes, entre autres de la crise d'Oka (Lalonde y est né), de la pièce de Gauvreau, La charge de L'orignal épormyable, dans laquelle il tient le premier rôle à la suite de Godin que j'ai vu au Quat'-Sous. Il semble ravi que je lui donne l'imprimé de ma recherche à la bibliothèque autour de May faite directement sous son impulsion. Je lui refile aussi La fumée d'un trait. Lalonde griffonne mon adresse et me promet un commentaire. Je ne compte pas là-dessus.

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Au Poulet Doré, je revois Colette avec plaisir. Luc Faucher, un étudiant que j'aime bien, vient s'asseoir en face de moi. Il me raconte une histoire drôle ayant pour sujet son amour pour les poules. Il en a vu des superbes en Provence. Sachant qu'il vient de Drummondville, je le relance avec une histoire sur Oscar Thiffaut (cf. Le rapide blanc). Décidément, j'aime les prolétaires! D'ailleurs, Luc a l'habitude de transporter son barda d'étudiant dans une boîte à lunch «de shop» en fer blanc...

Une fois, lors d'une pose au milieu d'un cours, il est venu me voir, attiré par un livre qui était sur ma table. Il s'agissait de À l'Ombre de l'Orford d'Alfred DesRochers. Il semblait touché. Il a lu le poème que j'ai écrit à la plume sur la première page du recueil, une version préliminaire de La fumée, le tout à l'intention de Michael Thomas Gurrie. Luc m'a alors révélé être le petit-fils d'Alfred. Cela a fait ma soirée. En tout cas, c'est ce que j'ai compris.

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23 août 2008

J'ai fini de travailler à minuit passé. J'ai loupé le vernissage des frères Dunn. J'entame la nuit comme un oiseau insolvable. Je n'ai pas mangé depuis des heures. L'auto est revenue au bercail et est à ma disposition. J'ai le goût de m'asseoir et de manger dret là. Pas la moindre envie de cuisiner. Même pas une toast. Il n'y a pas grand-chose d'ouvert 24 heures dans mon coin. Il y a McDo. À cette heure-là, les trois quarts des allées sont fermés. On est donc tous concentrés près du comptoir. C'est fou comme il y a beaucoup de jeunes. Certains sont très bruyants, rient, bavent, laissent derrière eux sur les tables un mélange de frites, de salade, de cartons... Je me fais un coin. Rien ne m'énerve ni ne me surprend. Pas même cette fille en mini-jupe qui sacre fort. Mais je préfère les gens, tous âges confondus, qui sont soucieux des autres.

Je remonte dans l'auto. La radio du Canada s'apprête à dire les nouvelles. «Il est quatre heures», dit l'annonceur. L'oiseau insolvable ne peut pas s'empêcher de trouver que ça sonne très bien : quatre heures.
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Il est à présent quatre heures de l'après-midi. N. vient de retentir en larmes. Dans une bretelle menant au tunnel, il y a eu un ralentissement soudain et le conducteur qui la suivait n'a pas pigé le mouvement : il lui est rentré dedans avec son truck. N. n'a rien. Le coffre ne ferme plus, les lumières pendouillent de chaque côté. Par mesure de prudence, on se dirige à l'urgence de Maisonneuve-Rosemont.

N. est sur le point d'interrompre la radio en insérant dans le lecteur le CD d'Arcade Fire. Je dis : non! non! C'est Pauline! En fait, à la radio, c'est... Robert Lalonde qui présente un spécial sur Pauline Julien.

Au fait, ceux qui pensent que Lalonde est toujours à la radio se trompent : c'est une rareté. Un apéro qui ouvre la voie.

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Photo : jd

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