01 septembre 2009

The answer my friend! (2)

J'ai signalé. Je l'ai vraiment fait ton numéro de téléphone.

Comme tu vois, je suis revenu bredouille.

Je le pressens : tu vas mourir sans me téléphoner, sous prétexte que tu n'es plus sur le même chiffre que moi... À l'heure des ivrognes.

Je me rappelle une conversation dans ma Renault 5 un jour où je t'aidais à déménager, sur la rue St-Urbain cette fois-là. Tu parlais à propos d'un de tes copains de Québec, ce n'était ni Zo, ni Boivin le cinéaste, mais ce pianiste du Petit Champlain, tu vois? J'ai oublié son nom. Il était un peu frêle, affecté. Il ne m'adressait jamais la parole. Christelle le détestait. Or, assis à l'arrière dans mon char, tu as dit à Christelle : « J'ai encore besoin de cet ami ».

Est-ce donc une question de « besoin » qui se régule comme une chantepleure, l'amitié?

Je te revois chez nous dans le canton d'Ely à l'automne de 19...
« Comme du bétail », as-tu lancé, l'air triste, survolant du regard les champs et les vals alors que nous roulions sur le chemin de terre dans ma vieille Mazda.

Tu étais en train d'écrire un scénario pour Boivin.

Je t'ai montré ma collection de 45 tours : Ruby Tuesday, My Happiness de Connie Francis...

Une autre fois, c'était un dimanche soir de nuit d'encre, tu es resté dans le char de mon beau-père à boire de la bière, alors que tous les autres voulaient m'expédier à l'asile... J'étais monstrueux. Tu m'as
dit : « Tu n'es pas obligé de t'énerver comme ça... Tu peux écrire, tranquille ».

Je n'avais jamais vu l'amitié sous cet angle-là.

Mon cher ami de grand chemin et de track de chemin de fer, sommes-nous condamnés à rester éternellement jumeaux de silence devant la tristesse et la malsonnante?

Il m'a fallu tout sortir de moi-même : les vieux matelas de plumes, les guenilles, les prélarts, les piles de journaux datant de la nationalisation de l'électricité...

Une montagne renversée dans ma tête.

J'ai fait des feux dans un vieux baril édenté pendant tout l'été.

Je suis le dernier des boucaniers. Je ne pouvais pas « écrire tranquille » avant de me brûler moi-même dans un rêve éveillé.

J'ai racheté mon feu. Ma solitude. Ma cédrière. Mon asile.

Ma riche pauvreté d'ailes de monarque frôlant les cordées de bois.

Je ne suis au fond pas plus d'ici que toi de là. Là, ton shack à St-Joseph-de-la-Rive, berceau des marins. Et tes loups de Jack London. Ta manière de réciter Victor Hugo...

Ce n'est que pour dire que je me suis toujours plu à faire le livreur de poèmes.

J'ai abattu sur-le-champ ton numéro de téléphone comme j'aurais sonné tout de go, cet après-midi, rue La Fontaine, s'il s'était bien agi de ton appartement.

C'est plus fort que moi et tu sais que je sais l'envers de la solitude égorgée sur place. J'ai prétentieusement la mémoire des folles avoines qui ensoleillent le bord des étangs et du bleu caché dans la neige rendue au mois de mars, des matins de noces en campagne avec des invités partout et ces mesdames toilettées comme des pivoines déambulant dans la cour; j'ai la mémoire de la langueur des dimanches qui s'incrustent en dessous des jeux de l'enfance pour toujours.

Je cognerai à ta porte d'une manière ou de l'autre.

Sinon, je penserai à toi.


2 commentaires:

Onassis a dit...

Touchant !

Jack a dit...

Merci Onassis.