11 février 2010

Pierre Vadeboncoeur ou l'horizon de l'être

L'auteur des Deux Royaumes et de Indépendances, deux ouvrages qui m'ont profondément marqué, n'est plus. Camarade de classe de Jacques Ferron et Pierre Eliot Trudeau, cet écrivain majeur d'une extrême finesse nous laisse le goût des traces dans la neige, malgré l'éphémère, au pays des arts, et par-dessus tout, l'altitude du regard pour le cœur autant que pour l'esprit. Un sentier discret pour respirer en soi la réconciliation du pays réel, meurtri certes, néanmoins peuplé des fleurs de l'âme et du feu des bohémiens, des bohémiennes de ma rue. Pierre Vadeboncoeur, la ligne du risque, la liberté, la dignité même.


Prière Bohémienne

À tous les bohémiens, les bohémiennes de ma rue
Qui sont pas musiciens, ni comédiens, ni clowns
Ni danseurs, ni chanteurs, ni voyageurs, ni rien
Qui vont chaque matin, bravement, proprement
Dans leur petit manteau sous leur petit chapeau

Gagner en employés le pain quotidien
Qui sourient aux voisins sans en avoir envie
Qui ont pris le parti d'espérer
Sans jamais voir de l'or dans l'aube ou dans leur poche
Les braves
bohémiens, sans roulotte, ni chien
Silencieux fonctionnaires aux yeux fatigués

J'apporte les hommages émus
Les espoirs des villes inconnues
L'entrée au paradis perdu
Par des continents jamais vus
Ce sont eux qui sont les plus forts
Qui emportent tout dans la mort

Devant ces bohémiens, ces bohémiennes de ma rue
Qui n'ont plus que la nuit pour partir
Sur les navires bleus de leur jeunesse enfuie
Glorieux oubliés, talents abandonnés
Comme des sacs tombés au bord des grands chemins

Qui se lèvent le main cruellement heureux
D'avoir à traverser des journées
Ensoleillées, usées, où rien n'arrivera que d'autres embarras
Que d'autres déceptions tout au long des saisons

J'ai le chapeau bas à la main
Devant mes frères bohémiens
- Félix Leclerc

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