01 mai 2010

Michel Garneau : «Le plus intense de nos poètes vivants»





« faisons du ravaut
même s'il pleut à sieau »


O
u quand Michel Garneau tient la forme.


Indices


Il m'arrive souvent de revenir à akhmatova de Michel paru dans son recueil Une corde de bran de scie (coll. J'aime la poésie, Lanctôt Éditeur, 2002, pp. 18-21). Juste après le Chant inuit, les passages dont je parle précèdent La femme de Loth, massifs qu'il faut lire, entre les craques, absolument l'un à la suite de l'autre. De là, on file à la page 109 où commence Le miracle de l'instant.


Passer à travers


Si jamais on ne me plaque en plein vol contre la bande, si on me condamne à l'abandon total, jamais plus ni femme, ni chien, ni café, ni sommeil heureux où l'on rêve de forêts retrouvées, que je pourrisse au cachot ou nu comme Job sur un tas d'immondices, l'esprit revisité de ces seuls morceaux-là, je le crois, pourrait me sauver en partie de la peine. Car dans les poèmes on apprend à devenir soi-même sans pour autant pouvoir enseigner quoi que ce soit, ni à Ti-Bi, ni aux autres. Il s'en trouve juste quelques-uns parfois dans le casseau qui jouent le rôle de baptême.

J’sais pas. Je le sens.

Moé itout.

Jolies pliures ésotériques dans « l'écho de l'écho de l'écho » de la conscience. Mais c'est dans la transformation que ça compte. Dans la langue. 


Reconstitution d'un feu follet (Photo Tiohirulla)

C'est très ce là.


Allume la liberté

Mais la lumière au bout du tunnel, vous le savez mes frères et soeurs, ne suffira pas à notre combat.

«Puissé-je n'avoir ni attaches ni limites
Ô vie aux mille visages débordants
Pour pouvoir répondre à tes invites
Suspendues au miracle des instants»
(ibidem, p. 112)

À y regarder de plus près, en effet, la question de l'esprit se travaille dans les formes, ou, pour dire mieux, se travaille à partir de la question des formes.

Pourquoi y a-t-il des formes plutôt que rien?

Fouillez-moi! Fouillez Kant si ça cela vous chante.

Pourquoi les passerelles, la pluie chantante qui passe du coq à l'âme?

Pourquoi verser du charme dans les vers quand il y a déjà pour le museau, comme il dit Michel, toutes les pages sportives et les financières, Marie-Claire, 24 heures, l'essentiel de la Cité libre, quoi!

Question nonoune : comment s'expliquer épistémologiquement que les règles convenues et arbitrées qui définissent la forme « hockey » ne donneront jamais sur la glace la même partie? Réponse simple : c'est parce qu' il y a des joueurs qui ont le désir de jouer.

Après le Chant inuit, Garneau écrit : « et pourtant ce n'est pas tellement les poètes que la poésie / que j'aime (...) »

Et plus loin encore, montant sur les épaules de William Carlos
William :

«on n'apprend pas les nouvelles à la poésie
mais des centaines de milliers de personnes
meurent misérablement
du manque
de ce qu'on y trouve»
(Ibid.)

C'est ce que chante Dylan aussi : il va y avoir de la misère de mauvaises hypothèses à soir même...


Et pis après?

L'esprit qu'on chaufferait suffisamment pour qu'il se matérialise, la matière que l'on bercerait dans ses bras comme un paysage suffisamment longtemps pour qu'elle se spiritualise, et les petits oiseaux sur les fils qui relient ou ne relient pas Hegel à Spinoza, l'annuaire complet de l'Union des artistes, tous les perroquets qui trouvent refuge en moi, ont-ils froid, ont-ils chaud quand la glotte met bas?

La poésie, feu follet, c'est très important de le noter, demeure quelque part dans le monde des idées : « (...) elle ne représente qu'une idée morte dès sa naissance, comme toutes les idées. » (1)

Alors que le poème, lui, est une chose tactile et rectile qui reste à demeure entre les manches de nos paletots réversibles. Astre qui luit par les trous de nos masques.

Mais encore faut-il être vivant parmi les vivants pour se parler! Et ne pas tomber dans le puits.

Je suis abonné par courriel à Poetry daily, une revue mensuelle américaine qui vient de Charlottesville en Virginie. En avril, mois de la poésie, on nous livre un poème par jour. Hier, c'était from Purgatorio, Canto XXVII, de Dante Alighieri (1265-1321).

C'est la première fois, je crois, que je lisais Dante. Mais, par un vieux vendredi soir, j'ai entendu déjà la lecture fleuve de Garneau aux Décrocheurs d'étoiles. C'était magnifique!

Hier, j'ai été piqué par l'orchestre qui retentit toujours en fond de scène dans ces vieux ostons de vers qu'on croirait à tort ratatinés. J'ai passé une bonne heure sur le ouèbe à grappiller, à faire tinter un peu l'inépuisable reflet des mots.

Dante : « ... je vis la tête et le cou d'un aigle distinctement représentés par ce feu. Celui qui peint cela n'a personne qui le guide, mais il guide lui-même; et de lui émane cette vertu qui produit la forme dans les nids. »

Et pis après? Après, bien, on fait un petit pas de côté, tap-tap tap, tap-tap tap... made in Québec
figure percussive
invention populaire
talon orteils
plain-pied
on peut s'assire sur une vieille chaise drette,
les violons, les violonneux,
Saint-Francois d'Assise...


Écoute les cigales chanter

Poète nu de diplômes : « et pourtant ce n'est pas tellement les poètes que la poésie / que j'aime mais quand même quand je me mets à dire / Gabriela Mistral Mina Loy Roland Giguère Dylan Thomas / Norge Stevie Smith Guillevic Francis Ponge Basho Edna / Saint-Vincent Millay Gottfried Benn Ungarett André Frénaud Essine Pavese tout à coup ça me vient / bourrasque dans la mémoire et dans la bouche / Withman Cendrars William Carlos William (...) /
n'ont qu'une chose en commun : la précision... » (Ibid., p.20).

Garneau précise aujourd'hui : « Je dis poèmes, non poésie, / dont l'ignorance me saisit... »

Gigue magique
dans ce pays à faire
lever

C'est un poème précis
qui précèdera le poème
à naître

L'accoucheur est un bon docteur
un jockey tout de bleu habillé.

Et puis, Bonne Fête des Travailleurs!

Que la soirée fomente de la surprenance en masse!

***


1- Michel Lapierre, Michel Garneau poète des choses, Le Devoir, 1er et 2 mai 2010, Cahier F, p.3.

Voir aussi :

Dominic Tardif, Contraintes étreintes, Voir Estrie, 29/04/2010

Les Éditions de l'Hexagone

Michel, le jockey en overall :
LES CHEVAUX APPROXIMATIFS
Michel Garneau
L'Hexagone
Montréal, 2010, 328 pages

Aucun commentaire: