Gaston Miron, le grand carillonneur
Miron a dit un jour que « le poème est transcendance »Clôture et transcendance, comment marcher avec cela dans les pieds sur notre route boucanée de vieux moi et de « bouts de temps qui halètent » ?
Je peux dire qu'il s'est bu au cours de cette soirée quelques pintes de mots de chevreuil roux.
Personne n'était soûl.
On a pris les sous-bois aux odeurs de saules dans les cheveux du vent calmé. Puis le sentier des rosiers et des œillets.
Personne n'avait le goût de se défiler.
Assis en quelque sorte sur le perron de l'âme, nous étions comme les enfants de la liberté bercés par des airs d'harmonica parlés.
Car Miron, tireur d'ellipses, pour une part découragé, pour une autre part fougueux contestataire à bout portant de la poésie même, ce Miron de l'Archambault pose devant l'éternité l'exigence même de la poésie et de la politique, c'est-à-dire être, c'est-à-dire devenir ce que nous sommes, c'est-à-dire s'ouvrir à la transcendance. C'est-à-dire encore assumer la profondeur de notre liberté, cette manière différenciée d'être avec tous les autres hommes de la terre. Terre de surprises et de télépathie. Terre de soleils qui carillonnent...
Et nous voici à nouveau en pleine lumière crue de la poésie qui se fait jour.
Elle nous monstralise la prise au collet de l'oubli, l'oubli même « qu'il s'agit de la mort de quelqu'un ».
Il faudrait se pardonner à soi-même d'avoir été comme des objets jonglés, complaisants, lièvres abandonnés, dans la lune et pourris par Rome, Paris, Londres, Washington et la pauvre ma tante Berta d'Ottawa...
C'est le partage de ce dénouement de soleils à tête chercheuse qui est au cœur du joueur de ruine-babines. Si bien que dix ans après sa mort, la mémoire de Miron, commis voyageur en chef de la littérature d'ici, n'est pas du tout nostalgique. Miron est plus flamboyant, plus pertinent que jamais. Il pousse encore dans le cul. Son œuvre accuse avec panache nos retards patibulaires. Ses éclats de mots, ses éclisses se mettent à notre place, mais comme en travers de nos travers. Avons-nous bougé d'un iota ? Ce n'est qu'un jour de plus, dirait-il, et pourtant, ça urge de faire un pas, un petit pas...
C'est l'urgence même du poème. C'est-à-dire aimer. Mon bel amour, navigateur... C'est-à-dire : vivre !
C'est dire aux autres hommes que « nous savons ».
Mais nous, les fabuleux créatifs du continent, où sommes-nous ? Quelle place occupons-nous ?
Les masques de soi-même hérités depuis la belle luette de nos gigues analphabètes ne sont donc pas des alibis pour motiver l'absence même sous la couette du sommeil faussement diamanté par les bouteilles cassées de nos remords le long de notre histoire en marche. En marche !
Miron n'est pas un Dieu en feu, en pâture. Mais pire encore, il est ce ratoureux poète qui a touché notre visage avec nos propres mots.
Les mots aussi ont un visage, un paysage, à tout le moins ils ont des yeux d'oiseau puisqu'ils nous regardent et nous invitent à les suivre « jusqu'à perte de vue ». Au-delà de la clôture existentielle.
« Le poème est transcendance ». Je cite de mémoire. Il ne faut pas m'en vouloir. Mais qu'est-ce à dire au juste ?
« Le non-poème, c'est ma tristesse ontologique, la souffrance d'être un autre.. Le non-poème, c'est mon historicité vécue par substitutions. Le non-poème, c'est ma langue que je ne sais plus reconnaître, des marécages de mon esprit brumeux à ceux des signes aliénés de ma réalité... Or le poème ne peut se faire que contre le non-poème car le poème est émergence, car le poème est transcendance dans l'homogénéité d'un peuple qui libère sa durée inerte tenue emmurée...» L'Homme Rapaillé, 1965.
Au fil des mots, quand il fait clair et beau comme l'autre soir, le simple sourire, ce dépassement, cette conviction, cette espérance, cette mémoire, ce pays qui émerge comme un poème est à portée de main.
Quand il fait clair et magnifiquement beau.
- Jacques Desmarais, oct. 2006.
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