25 octobre 2011

Mes souliers percés au cœur de Montréal


Montréal a un cœur. Un centre. J'y travaille. C'est banal. Tout vaque. 

J'ai bossé toute l'heure du midi hier et vers les 13 heures, j'ai eu envie de prendre l'air. J'avais une lettre déjà plutôt chiffonnée à poster; elle traînait dans mon sac à dos depuis plusieurs jours. Je me suis dit : c't'aujourd'hui que ça part! 

Je suis allé à la rencontre de la boîte aux lettres sur la Gauchetière, celle qui est jouxtée à la Place Bonaventure, juste vis-à-vis de la Gare Centrale, en bas des marches où se tiennent les grilleurs de nico. C'est mon territoire familier, journalier. Tout vaque tout seul.  

Sauf que là, je suis arrivé nez à nez avec une vache, une grosse Holstein en plastique dans un simili chariot, une espèce de waguine! Devant, un camion de TVA était garé. Plus loin, face à la rue, un gars jouait de la grosse caisse pendant qu'une madame blonde scandait au milieu d'un petit attroupement : Bou-Clair!  Bou-Clair! On n'en veut pas!  

J'avais entendu plus tôt au bulletin de nouvelles de radio-canne que des Madelinots s’étaient rendus au centre-ville pour manifester leur opposition aux visées de l'industrie pétrolière. Mais j'ignorais où cela pouvait bien être. Je me suis ramassé tout de go parmi eux! C'était en fait les derniers milles de la manif. J'ai compris que Lucien Bouchard, peut-être aussi Boisclair, même combat ces deux frères, se trouvait tout juste derrière nous dans une salle de l'hôtel de la place Bonaventure, au milieu de ses nouveaux potes de l'industrie gazière réunis en colloque, en train de soliloquer. Ces valeureux qui savent, eux, prendre « des risques songés ». Le Québec n'est pas si peureux que cela, martèlera plus tard Lulu le Toupet avec sa mine habituelle de tragédien devant les caméras du téléjournal du soir! « Il faut prendre des risques! Songés! »


La présence d'une vache? C'était peut-être un rappel métaphorique d'une déclaration hautement scientifique de la très regrettée ex-ministre Normandeau, une perte certaine pour le bras politique de l'industrie avec sa flopée de libéraux notoires qui y grenouillent.

Quelques journalistes étaient en train de remballer leur attirail. Jean-René Dufort devisait dans un coin et il était bien entendu accoutré d'une cravate flamboyante. Ça allait bien avec la vache.  

Sur le trottoir, Françoise David était en train de donner une entrevue à je ne sais quel média. C'est drôle, parce que la lettre que je venais de déposer dans la boîte a pour destinataire QS! 

Cette ville a un cœur. Tout vaque tout seul. Sans penser.  Cette ville a parfois effectivement un cœur qui bat plus fort certains jours.

Mais voici ce qui a fait ma journée : de vive voix j'ai pu dire bravo à Dominic Champagne qui se trouvait au cœur de ce rassemblement. Je désirais lui dire bravo, merci pour Tout ça m’assassine… Cela s'est fait en un clin d'oeil.

Après, j'ai eu dans la tête cette déclaration récente d'Hubert Reeves selon qui l'exploitation des gaz de schiste est « un très mauvais choix ».  On pourrait-tu souffler, câlice! 

La suite de ce lundi s'est déroulée normalement avec sa part de nœuds à dénouer.  

Vers les 18 heures, après la job, je suis retourné humer l'air à « la Place du peuple ». Tout était bien calme au campement, Monsieur le Président. On devinait dans la pénombre agissante que les occupants s'occupaient penauds dans la chaleur relative de leurs abris alors que tombait une petite pluie froide de fin de journée d'octobre. Plus loin, dépassé la statue, dans un corridor assez étroit bordé de tables et de pancartes, on se croirait dans un souk, c'était aussi l'heure du souper et ça grouillait un peu autour des chaudrons populaires protégés par des toiles.

Perso, sous mon petit makinaw, n'ayant pas de parapluie avec moi, je n'ai pas  insisté. J'ai repris l'escalier du métro tout près. À cause surtout des pieds mouillés. Car mes souliers de semaine sont percés — ce n'est pas encore apparent! — au niveau des talons. Pas grave.

Voilà. Je le redis. Montréal a un cœur. Avec des humains dedans qui cherchent la lumière.  

3 commentaires:

Le Seuil a dit...

Un fort beau texte. Merci.
Jean-RENÉ Dufort.;-)

Jack a dit...

Oui! Jean-René. Merci.
D'ailleurs, son reportage à l'Infoman a été diffusé ce soir. Très instructif. Champagne y est excellent.

Jack a dit...

Cf. un puits sans fond

http://www.radio-canada.ca/emissions/lapres-midi_porte_conseil/2011-2012/chronique.asp?idChronique=182099