La mémoire, elle nous vient parfois de nos amis qui en recollent des morceaux. J'avais complètement oublié cet échange que le snoro de Damaggio, l'ami de mai, reprend sur le blogue de La Brochure. Je retouche ici à peine quelques passages pour corriger quelques fautes. À la question de Jean-Paul, je réponds bien imparfaitement. Il aurait fallu parler davantage des frontières artificielles imposées par « l˙Histoire », parler de poésie et de tambours qui traversent les montagnes et s'animent encore sous les braises comme les ombres d'Orford du père DesRochers, ce fils déchu... J'aime tout de même à me souvenir avoir au moins évoqué le fond de résistance de, ou plutôt, des Amériques.
« J'entends pleurer en moi les grands espaces blancs,
Qu'ils parcouraient, nimbés de souffles d'ouragans,
Et j'abhorre comme eux la contrainte des maîtres. »
- Alfred DesRochers
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Le 2 septembre 2004 je pose cette question bateau à Jacques Desmarais :
Qu'est-ce que l'Amérique?
Réponse :
D'abord une immensité comme une autre planète.
D'ailleurs, le 12 octobre 1492, on ne sait pas l'heure, Christophe Colomb se fait chercheur d'épices et d'Asie et devient par méprise «découvreur» du Nouveau monde.
L'Amérique est d'abord un accident de parcours, une méprise, une vue de l'esprit, un rêve de passage vers l'Asie avec ses promesses de richesse, d'or et d'épices, de jolies filles de Chine, rêve qui se frappe la coque aux rochers escarpés, se transforme en cauchemar de glace, en scorbut, en flèches ennemies... Mais la religion aidant, on finira par s'installer dans les grands espaces, par siphonner les ressources naturelles, par exterminer les sauvages et les bisons qu'on remplacera massivement par l'importation d'esclaves. Le rêve est devenu en peu de temps un rêve américain, C'est dire que beaucoup d'habitants des Amériques se font voler tout rond.
Mais cela est dit rapidement, les Amériques étant aussi un réservoir de résistance. C'est dire que malgré les spécificités des continents Nord et Sud, le refus de la violence est le signe de la dignité des hommes. En ce sens, il y a résistance, comme en ce moment au Venezuela, comme je l'ai vu au Massachusetts le mois dernier pendant la convention Démocrate.
Mais je reviens au début «officiel» de l'Amérique pour rappeler quelques dates épiques:
1497, John Cabot, un Italien, débarque à Terre-Neuve. 100 ans plus tard, les Anglais se serviront de ce voyage et essaimeront tout le continent.
1515, François 1er, dit le roi chevalier, dit le «père» de la Nouvelle-France; une nouvelle mode fait rage dans les mondanités parisiennes : tâter du Sauvage qu'on a ramené en France pour passer les vacances; 1534, Jacques Cartier, en bon chrétien, décide de faire le tour de la Gaspésie ; comme c'est un marin et qu'il n'a pas de tente, et qu'il ne peut pas rester là à rien faire, il décide de planter une croix à Gaspé et déclame dans la langue de Villon, mais sans blasphémer :
« Et icelle croix plantâmes sur ladite pointe devant eux [les Indiens], lesquels la regardaient faire et planter. Et après qu'elle fut élevée en l'air, nous mîmes tous à genoux, les mains jointes, en adorant celle devant eux, et leur fîmes signe, regardant et leur montrant le ciel, que par icelle était notre rédemption, de quoi ils firent plusieurs admirations, en tournant et regardant icelle croix.»
Plus tard, Cartier descendit en ville, à Montréal, qui s'appelait alors Hochelaga. Hochelaga la bourgade. La sauvage.
1603, Samuel de Champlain, un Acadien entreprenant, commence à crinquer la mémoire de Zachary Richard. En tous cas, en août 1604, les premières graines de l'Acadie américaine sont semées. C'est un peu tard pour semer en août car l'automne vient vite malgré les bontés de la mer. Je le sais parce pas plus tard qu'en août 2004, les Acadiens de partout, car ils sont de nulle part, incluant Zachary, ont fêté leur 400e anniversaire. C'est vieux pour un jeune peuple américain. On ne peut pas tous être vieux comme la Terre. En tout cas, les Acadiens sont plus vieux que les Québécois, Québec n'ayant été fondé qu'en 1608, par Champlain, toujours.
Ce cher Champlain, il me faisait tripper à l'école à cause de la grande maison qu'il érigea sur le Cap Diamant, dite l'Habitation, un fort qui avait l'air d'une grande auberge.
En fait, soyons clair, sans Champlain et ses énormes qualités d'administrateur, de navigateur, de dessinateur, de diplomate (entre les Hurons et les Iroquois), je ne crois pas que l'Amérique française aurait pu persister. Le premier hiver fut désastreux : huit survivants sur 28 hommes. Vingt ans plus tard il n'y avait toujours que cinq familles installées entre les sapins et les crève la-faim!
Champlain partage avec Diderot le sort suivant : on n’a aucune idée de l’endroit où l'on a déposé sa sépulture. Un grand lac qui coule aussi au Vermont porte son nom. C'est peut-être plus voyageur, plus évocateur qu'une pierre fixe portant l'inscription de la fin de notre permis de séjour ici bas.
Je dirais enfin que l'entonnoir d'un continent va jusque-là où vous êtes né. C'est bien mon cas. Malgré la crise d'identité de ma nation, je suis bien né en Amérique du Nord. Je peux même reconduire une prise de vue de la vieille maison où je suis né et qui n'est pas l'Habitation. Et aussi le petit cimetière baptiste oublié sous un grand pin, perdu entre ma terre et celle du voisin. Si jamais on voulait m'enterrer là, je pourrais peut-être pour quelques voyageurs éventuels faire inscrire sur ma pierre tombale ces mots :
«Mon âme aussi repose sur cette terre que j'ai aimée et mes amours me survivront».
Note Jean-Paul Damaggio : J’ai repris ce texte, car le vieux français de Champlain me permet de comprendre pourquoi en cette langue, Richard Desjardins a écrit une ode à Aliénor d'Aquitaine, un très beau texte
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