10 septembre 2012

Élections québécoises vues par l'ami J.-P. (France)



Brève analyse des élections du 4 septembre de Jean-Paul Damaggio sur le blogue de la Brochure. L'auteur nuance notamment un texte de Michel Lambert paru le 6 septembre dans les Nouveau cahiers du socialisme que je lui avais fait lire à propos du lien entre la mobilisation étudiante et la défaite du PLQ.


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Mi-figues, mi-raisins

Résultats comparés
L’originalité de l’élection québécoise 2012 tenait à la traduction « politique » qu’allait produire l’imposante lutte des étudiants du pays (surtout ceux de Montréal), lutte largement soutenue par une partie de la population. Pour Jean Charest, qui décida de dissoudre l’Assemblée pour se sortir cette épine du pied, sa campagne menée contre les étudiants-enfants gâtés devait l’aider à l’emporter, avant que ne lui tombe sur la tête une autre tuile : les révélations de corruption.

La "droite"
Pour Jean Charest, ce fut une bataille de trop. Non seulement son parti a perdu (Le Parti Libéral (PLQ) passe de 42,08% en 2008 à 31,2% et de 66 à 50 sièges) mais lui-même n’a pas pu se faire élire député. Car en effet, si le système électoral anglo-saxon du pays a des inconvénients quant à la juste représentation de l’électorat, il a l’avantage de ne pas être une l’élection présidentielle : un leader politique peut se trouver à terre.

Ceci étant, son calcul n’était pas totalement erroné car, dans son camp, le bénéficiaire majeur de l’élection c’est un nouveau parti de droite (une droite ordinaire mais une coalition nouvelle) dont personne ne peut savoir s’il s’agit d’un phénomène éphémère ou stable.

La Coalition Avenir Québec (CAQ) fondée par les rescapés de la défunte ADQ (droite) et des transfuges du PQ fait donc une percée spectaculaire passant de 16,37% et 7 sièges pour l'ADQ à 27,1% mais n'a que 19 sièges. Ce sont eux qui enregistrent la plus grande progression en captant l’essentiel du vote PLQ perdu.

Dans la tradition québécoise on peut aisément imaginer demain une alliance entre les vestiges du Parti libéral de Charest, et ce nouveau parti si un nouveau leader capable d’unifier l’ensemble émerge. Ensemble ils peuvent au moment où ils le choisiront faire chuter le nouveau pouvoir. [Note JD : François Legault déclare haut et fort qu'il n'est pas question de s'associer à un «parti corrompu».  Mais par ailleurs, les anciens du PLQ qui ont suivi Sirois sont en effet déjà 
« coalisés ».  Reste à surveiller les effets de la Commission Charbonneau sur la faction affairiste du PLQ et d'autres part le « renouveau » qu'insufllera peut-être une course au leadership. Le Docteur Couillard a aujourd'hui fait sentir son à propos. Déjà bien la coqueluche de la privatisation du système de santé, il devrait être, plus que Legault, l'homme de la situation pour Québec inc.] 

La «gauche »
En effet, le Parti québécois ne peut prétendre être le grand gagnant de cette élection même s’il obtient à nouveau le poste de premier ministre. Il passe de 35,17% à 31,9% et de 51 à 54 sièges. Paradoxe : il perd des points de pourcentages mais gagne 3 sièges. Il n’aura pas de gouvernement majoritaire stable puisqu’il lui manque 9 députés.

Dans son « camp », malgré l’appel au vote « utile » du PQ, le gagnant est le petit parti Québec solidaire qui, non seulement a la joie d’obtenir la réélection de son député sortant (preuve qu’il a donné satisfaction), mais double le nombre de ses voix et fait élire une deuxième députée Françoise David, co-porte parole du parti qui s’était distinguée au moment du débat des chefs à la télé. Concrètement ce parti passe de 3,78% à 6% et de 1 à 2 sièges.

Sans entrer ici plus loin dans les comparaisons, les avancées de la gauche aux dernières élections fédérales avec le vote NPD ne se retrouve pas dans l’élection du 4 septembre.

Résultats commentés
Concrètement, la lutte des étudiants qui a relancé l’enthousiasme politique (au sens large du mot), si elle a réussi à déstabiliser le système n’a pas suscité une avance large de la gauche. Le gain de QS compense juste la perte en pourcentage du PQ.

Pour moi c’est la confirmation qu’il n’y a pas de lien direct entre une lutte sociale et le résultat électoral immédiat. Parce que sans doute la bataille des idées met des années avant de se traduire en votes. Si on réduit Mai 68 en France aux résultats des élections législatives très à droite de juin 68, on rate totalement la vague de fond produite dans les consciences de tous bords, pendant toute la décennie 70. La victoire de Mitterrand en 81 a été une façon de conclure cette vague. Jean Charest a essayé de faire peur. Avec le temps cette peur va reculer et la nature des enjeux globaux de la lutte vont mieux apparaître. Il n’est pas impossible cependant que les élections servent parfois à imposer des reculs aux luttes sociales.

J’entends bien le propos suivant : « Mais quoi que la propagande de Québécor et Gesca inventera, personne ne pourra nier que pour la toute première fois dans l’histoire du Québec, les mouvements sociaux ont largement contribué à « faire tomber » un gouvernement parce qu’il refusait d’écouter sa population. Point ! Il faut le crier très fort. Il faut le célébrer ! » Michel Lambert http://www.cahiersdusocialisme.org/2012/09/06/on-avance-on-recule-pas/
Mais Québec solidaire n’a cessé de le répéter, faire tomber le gouvernement ne suffisait pas et si l’avancée de ce parti est réjouissante, elle est nettement inférieure à celle du CAQ qui apparaît davantage comme une alternative possible, si le PQ en situation fragile s’effondre. Je pense bien sûr que comme le PQ l’a promis il va annuler la hausse des frais de scolarité et à ce titre la lutte devient victorieuse. Ce qui permet de dire que les grèves étudiantes ne sont pas de même nature qu’Occupy Wall Street par exemple. D’un côté il y avait une lutte syndicale précise et de l’autre un mouvement vague qui s’est réduit à un moment de fièvre. Pour revenir sur ce rapport entre luttes et votes, je repense à la Révolution tranquille au Québec, qui des années après a donné naissance justement au Parti Québécois.

Voilà pourquoi je continue de penser que dans le monde, c’est la radicalisation à droite qui avance plus vite que la montée des gauches. Il appartient à la jeunesse de bien mesurer cette situation, pour s’engager plus fermement encore dans le combat politique organisé. Je pense à la jeunesse, car c’est elle qui va être contrainte d’inventer un autre avenir et ce combat politique, je n’en connais pas la meilleure forme tout en le sachant indispensable.
Jean-Paul Damaggio

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