Promenade d'écureuil solitaire, mon cher Jean-Jacques. Marche imprévue sur Saint-Laurent. Imprévue, parce que je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez. Il était pourtant écrit que je devrais exceptionnellement faire un bout à pied pour me rendre au bureau ce matin après un bref passage à l'Hôtel-Dieu.
Je fais le pont par la 55 jusqu'à l'angle Saint-Urbain et René-Lévesque. Il fait un beau soleil gorgé de miel de la fin Saint-Septembre. Rendu vis-à-vis le Complexe Desjardins, je descends du trottoir et j'étire le cou pour contourner les travaux qu'on est en train de faire plus bas sur le boulevard. Car au loin, depuis l'Est, une rumeur nous parvient. Comme un brouhaha de manif. Pourtant, on ne voit rien de manifeste. Au même moment, j'aperçois un ami en complet-veston-pas-de-cravate qui s'apprête à franchir les portes de Desjardins. Il se retourne lui aussi. À cause de la clameur lointaine. Cela se passe en une fraction de seconde. Je n'ai pas revu ni parlé à SuperK depuis une bonne année. Normal qu'il entre à Desjardins, il bosse à la C.P. Il aurait fallu le haler, héler l'ami écrivain pour intercepter sa marche, franchir la vingtaine de pieds qui nous séparent, saisir l'impromptu, aller lui serrer la pince... Il s'en va travailler. Je m'en vais travailler. Voilà le mouvement de l'économie réelle. Le reste servira à la fiction. Tout est fiction, répète sans cesse SuperK.
Je gagne la Gauchetière. Un soldat canadien portant un béret aplati sur le côté, parlant français, cherche son chemin. Ça ferait plus surprenant d'écrire : ce matin dans les rues de Montréal un soldat canadien cherche son chemin. Un jeune ouvrier de la construction, un barbu comme il y en a tant, le renseigne. Le militaire avec un portable dans un sac à dos, cellulaire à la bouche, me précédera le temps de quelques pas avant de remonter en direction de la rue Sherbrooke. Ses souliers noirs sont impeccables. Ils brillent au soleil. Me font rappeler l'été de mes 17 ans dans le 22e, la rue Laframboise à Saint-Yaya, mon désir d'avoir de la barbe un jour... Y fallait-tu les frotter ses bottines! L'ennemi fictif pour nos scénarios de guerre n'était plus les Russes comme au bon vieux temps, c'était les bombes du FLQ posées aux portes du manège! Cela m'avait choqué. Le bon sergent, un gringalet, m'avait dit sur le ton de la confidence de ne pas m'en faire, qu'il avait sa carte du P.Q.
Me voici longeant par derrière le seul pan de mur solidifié d'un édifice d'environ huit étages qu'on a démoli. Le côté intérieur est coloré à chacun des paliers comme de la crème glacée napolitaine. On y construit une tour à condos de luxe sur La côte du Beaver Hall qui va donner sur le square Victoria. L'an dernier à pareille date, le square était squatté par le mouvement Occupons Montréal.
À la vue du fourmillement du chantier, la terre, le bétonnage, la dynamite, l'économie sousréelle, je ne peux pas m'empêcher de penser à la Sainte-Alliance de la mafia!
Y a toujours un côté du mur à l'ombre, ombre.
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