28 octobre 2012

Entre Pacifique et maison de Neruda

« Puedo escribir los versos mas tristes esta noche. 
Pensar que no la tengo. Sentir que la he perdido. » 
                                  Je ne peux pas écrire cette nuit


Il y a des lunes, l'ami Jean-Paul Damaggio, écrivain, me faisait suivre par la poste ce qui est, sauf erreur, le premier recueil publié par le jeune Pablo Neruda  qui a alors tout juste 20 ans, soit ses Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée (traduction en français, Les Éditeurs Français réunis, 1970). Ce recueil est devenu un best-seller de la poésie contemporaine. Et Neruda, un géant universel. 

Comme pour remettre à jour de première main la persistante, la fabuleuse filière de la continuité, du voyage, de l'enracinement de la poésie et du combat dans l'amitié, voici que Jean-Paul et Marie-France nous donnent à lire cet extrait de récit d'un voyage tout frais au pays d'Allende les ayant menés de Valparaiso jusqu'à Isla Negra où la mer trace des vers infinis devant la maison-musée du poète.


 Un beau récit qui démarre en autobus.  C'est comme si on y était.



Photo Jacques Desmarais













20 octobre, toute la journée

Nous quittons Valparaison à 9h 45 ce qui nous a laissé le temps de passer d’abord au marché tout proche du terminal de bus, pour acheter de quoi manger à Isla Negra. Un marché superbe avec des tonnes de légumes : montagnes d’artichauts, d’oignons… Seul le pain manque à l’appel car il arrive rarement avant 9 heures. Sur la route, le bus se remplit, en ce jour de congé. Une famille avec trois enfants monte, le plus grand devait attendre cette journée de villégiature avec impatience car il fit le signe de la croix à l’arrivée du bus. Peu après, un type de voyageur nouveau monte à son tour : un contrôleur. Il constate que la famille n’a pas payé le prix. Négligence ou complicité du chauffeur ? L’homme se savait en faute car dès l’apparition du contrôleur il a préparé un billet de 5000 pesos qu’il a demandé à sa femme. Nous ne sommes plus dans le désert : toute l’agriculture défile sous nos yeux avec des prairies, des vignes etc.

Nous approchons d’Algarobo, cette station balnéaire qui plaisait tant à Salvador Allende. En 1958, on l’accusa d’y posséder un yacht de luxe, aussi il fit transporter sa modeste barque dans un bassin de Santiago au cours de son dernier meeting, pour que chacun puisse juger. Allende aimait le sport, tous les sports et aussi celui de la navigation… mais pas le luxe.
Isla Negra c’est un peu après Algarrobo. Le chauffeur nous annonce l’arrêt et en descendant, comme toujours on demande les conditions du retour : « attendre un bus un peu plus loin, là où il y a écrit Pulman ».

En marchant, nous passons devant une boulangerie ce qui va compléter parfaitement notre pique-nique. Nous constatons l’absence de tout car et de toute voiture sur le parking, ce qui nous conforte dans notre idée d’arriver à l’ouverture, pour éviter la foule, mais en descendant la rue, vers la maison de Neruda, surprise : par un autre chemin c’est tout un car de jeunes qui défile, et peut-être même deux, et en fait la foule est déjà au rendez-vous !
Nous entrons et la billetterie est vide pour une simple et bonne raison : il n’y a plus la moindre place à vendre ! Nous affichons notre déception à l’employée. Une Chilienne est dans notre cas, mais les règles sont simples : les pièces de la maison sont petites donc pas plus de neuf personnes par groupe et quand un bus arrive avec 70 personnes, les entrées sont vite pleines ! Pour tout dire, l’employée nous précise que les réservations font que toutes les visites sont vendues pour les deux mois qui viennent !

Devant notre déception, elle propose une visite des extérieurs et se dirige alors vers un des bureaux. Nous la suivons et là une directrice nous confirme qu’elle peut, avec un petit groupe de six personnes, nous faire visiter les extérieurs dans les minutes qui suivent, en guise de consolation. Nous aurons donc une vue de l’ensemble, une vue de la tombe et de ce qui ressemble à une locomotive. Par une fenêtre nous découvrons la collection de bouteilles, et ces poutres où Pablo inscrivait le nom de ses amis poètes qui mourraient (le dernier nom c’est Elsa Triolet). La directrice est très sympathique et ma foi, faute de grives on aura des merles ! D’ailleurs, comme on est Français, elle nous prend en amitié et nous propose d’assister dans quelques instants à une rencontre avec le maçon de Neruda, qu’un chercheur se propose d’interroger dans son bureau.
Pour attendre ce moment nous profitons du film qui montre Neruda dans sa maison. Une autre compensation à nos déboires. Le temps passe ; nous décidons d’acheter quelques souvenirs avant d’aller pique-niquer sur la plage, face à la maison. Dans la boutique, Marie-France repère quelques cartes postales et Jean-Paul un livre sur l’enterrement de Neruda. Là, l’employée de la caisse vient nous informer qu’un groupe s’est désisté et que si nous voulons passer, nous pouvons acheter deux billets ! Magnifique renversement de situation ! Nous croisons à nouveau la directrice, nous lui montrons nos billets, elle en est heureuse et nous rappelle qu’elle nous attend après la visite dans son bureau.

Cette maison de Neruda nous replonge dans l’ambiance des deux autres maisons avec en plus le point de vue sur la mer. Rien de spacieux, rien de luxueux, mais tout un univers d’objets, de passages minuscules, de références à l’enfance, de collections diverses… et surtout la vue sur le Pacifique qu’on soit dans la salle à manger, dans le bureau, dans la chambre ou ailleurs. C’est en arrivant dans la chambre avec le lit disposé face aux vagues que l’émotion est la plus intense car on y débouche par un petit escalier, un petit escalier qu’un colonel emprunta un peu après le 11 septembre 1973. Il était arrivé dans la maison avec une brigade en quête d’armes car une œuvre d’intoxication avait fait croire que les communistes avaient rassemblé des tonnes d’armes et cachaient même des centaines de soldats cubains. Il a été facile de vérifier que la maison ne contenait rien de répréhensible mais le colonel ne savait où était le poète qui était alité. Il entra enfin dans la chambre, le vit allongé car malade, le vit totalement inoffensif… et s’excusa du dérangement. Il repartit aussitôt et la maison, protégée par un marin, n’eut à subir aucune des dégradations imposées aux deux autres maisons de Neruda.

Que retenir de cet univers si particulier ? Nous faisons la visite avec les audio-guides qui laissent peu de temps à la respiration de chacun. C’est en français et ça aide bien mais le contenu du musée défile sans pause si bien qu’à la fin on se demande que retenir. Jean-Paul a noté la forte présence de la France en voyant quelques numéros des Lettres Françaises. Dans la maison précédente, la bibliothèque contenait la collection d’une revue qui éclaira le début de sa jeunesse : Historia. Neruda avait une collection jusqu’à 1972. La France c’est aussi Baudelaire et Rimbaud. L’audio-guide ne mentionne pas Victor Hugo dont pourtant nous voyons un portrait. Collections de papillons, de figures de proue, de légendes, de contes, de masques… Immense mappe monde et ce cheval en carton qui a Temuco avait tant plu au jeune Pablo qu’il décida d’aller l’acheter le jour où il apprit que le magasin dont le cheval servait d’outil publicitaire avait brûlé. Il aimait recevoir des amis mais combien pouvait-il en accueillir en des maisons aux pièces si minuscules.
La maison est une maison-musée et elle est donc aseptisée pour les besoins de sa nouvelle fonction. Il n’en demeure pas moins vrai que l’on a la sensation d’y embarquer dans un monde lyrique.
A la sortie nous retrouvons notre chère directrice qui va nous faire vivre un autre aspect de la maison. Dans son bureau, elle attend le maçon de Neruda car avec un ami elle veut qu’on récolte aussi la mémoire des habitants d’Isla Negra qui ont connu le poète. Sur les murs, une très belle photo de Mathilde, la dernière épouse de Pablo. C’est le centième anniversaire de sa naissance. La directrice indique seulement : « Ce fut une folkloriste mais on ne connaît aucune chanson d’elle… ».
Il y a des lithographies du poète Rafael Alberti qui est passé par Isla Negra. Elle se lance alors dans la consultation des registres qui contiennent des photos des célébrités ayant honoré les lieux de leur présence, en quête du passage d’Alberti. Nous découvrons Chavez et Jack Lang, Danielle Mitterrand et Felipe Gonzalez, des rois aussi d’Espagne et de Suède. Jean Paul pose alors la question qui lui brûle les lèvres : « Et Vazquez Montalban est-il passé à Isla Negra ? » La dame qui parle un bon français pour avoir vécu en Belgique, réfléchit un peu et se souvient que l’écrivain catalan est venu sur la tombe du poète avec José Donoso, mais sans visiter la maison.

Finalement, après une attente au café le Rincon des poètes face à la mer, le maçon ne sera pas au rendez-vous (il a oublié) et nous pouvons alors nous diriger vers la plage pour le pique-nique historique. Nous en avons plusieurs à notre actif, de Chichen Hitza à Tulum, mais celui-ci, vu les péripéties de notre visite sera plus inoubliable que les précédents. Du jambon, l’inévitable avocat, de l’eau, une tomate pour Marie-France, la frugalité totale mais entre Pacifique et maison de Neruda ! Ensuite nous décidons de longer la plage chargée en algues immenses. Des fleurs de printemps rendent le site magnifique. Marie-France n’hésite pas à gravir quelques rochers, Jean-Paul suit avec quelques craintes, le chemin débouche sur une petite plage plus grande et plus belle que celle devant Isla Negra mais si la maison avait été là, elle aurait été plus éloignée de la mer. Le temps d’une pause. Des jeunes se prélassent. Difficile de se baigner mais le plaisir n’en est pas moins grand d’être là au milieu des oiseaux et des bruits de l’océan.

Il faut penser au retour, à la remontée vers les hauteurs de la colline et ça sera chose faite assez rapidement d’autant que finalement en retrouvant la route nous ne sommes pas loin de l’arrêt du bus. Par contre le bus qui doit nous ramener est sans doute encore loin car il faudra attendre une heure. Nous en profitons pour bavarder avec une autre personne qui attend, une jeune brésilienne qui nous encourage à visiter son pays nous démontrant qu’entre l’espagnol et le portugais la différence est mince.

18 h retour à Valparaiso pour une journée bien remplie. Le bus urbain nous ramène place Annibal Pinto et Jean-Paul propose de prendre un jus de fruit dans un des bistrots avant d’aller se reposer dans la chambre. Si autour de la Place Victoria il semblait y avoir foule, le reste de la ville, le samedi est vide. Nous sommes deux tables au bistrot où surprise, nous découvrons qu’il y a un panneau avec le poème du jour. En fait, dans le bistrot, il y a une statue de Neruda attablée avec Gabriela Mistral ! Neruda nous poursuivait mais au Chili il est partout et ça lui est facile de poursuivre chacun. Le « Chilien le plus universel » n’a pas raté sa triste sortie…
JP et MF

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