08 janvier 2013

Les désarçonnés de Quignard : être comme un chat


Texte paru le 6 janvier 2013 dans le blogue de Annette Merle-Borgniet

Rencontré avec grand plaisir sur la Toile un lecteur de Pascal Quignard, Jacques Desmarais [...]
L'occasion est là pour parler des Désarçonnés, encore un bonheur de lecture.
Il y a quelque chose de magique dans les écrits de Quignard, dans cette méditation renouvelée et toujours nouvelle sur lui-même et l'humaine condition, fondée sur une connaissance éblouissante de textes fondateurs les plus divers, souvent les moins connus, et pourtant les plus évidents ; sur une méditation fine, profonde, présente à la beauté du monde et à sa cruauté.
Un des fils directeurs de ce beau texte est l'histoire du surgissement de la vie sur terre, animale, puis humaine, d'une infinie durée. Avec cette constante de la peur de la prédation, qui conditionne depuis toujours les êtres que nous sommes, prédateurs à notre tour, mais hantés par nos origines. Et fondamentalement "désarçonnables", envoyés en arrière, en position "opisthotonique ", dans l'accident, dans la mort, dans l'amour. (Quignard aime bien employer tous les mots de la tribu...)
Un autre fil rouge parcourt le texte, celui d'une auto-analyse, le contraire d'une complaisance à soi, dont les flashes éclairent pour l'auteur et le lecteur ensemble les flux d'une vie. Une vie dans et par le langage. Le langage qui nous fait humains, pardon pour ce truisme qui devient chez Quignard une évidence rafraîchissante et infinie. Il y pointe aussi cette logique de la différenciation, du partage entre l'un et l'opposé qui conditionne notre rapport à l'autre et à la connaissance. La pratique du langage est surtout chez lui et pour le lecteur une source d'allégresse :
"Il faut voir chaque matin le chat attendre devant la porte de la cuisine, la regarder s'ouvrir, se dresser dans la fierté, avancer ses pattes dans l'herbe humide et quitter la tiédeur et le calme de la maison, délaisser le jardin pour la fumée de l'aube sur le petit bras mort du fleuve."
Le chat, à la fois beau, libre, ami fétiche de l'auteur. Et l'eau des "rives mouillées et brumeuses des rivières".
Et les hommes ? Ils ont besoin de la guerre, la mort est leur maîtresse, le pouvoir l'instrument de leur violence : "la cruauté desinhibée les appelle, les obsède, les enivre". En témoigne "l'extraordinaire horreur qui fit le coeur du 20ème siècle". Alors, mieux vaut s'éloigner d'eux, "en abandonnant la course aux places, aux récompenses, aux richesses, aux titres, aux tombes, aux mémorials". Et suivre la voie indiquée par La Boêtie, "cre(ver) la servitude volontaire, err(er) à la périphérie du "Tous les  hommes". Et peut-être trouver le bonheur, mais le mot n'est pas prononcé. Ce fut aussi l'injonction de Jésus : "nolite judicare" traduit par "renoncez à l'obéissance au sens commun"
Ce monde a perdu la vertu de certains mots, comme "étranger" qui "était alors le mot le plus beau, et il ouvrait les portes. L'hospitalité était un devoir, pas même une vertu". Il faut donc engager "une vie secrète où survivre". Cette vie est celle de la lecture et de l'écriture. Une voie belle à suivre, celle d'un Tacite ("au style de suppléer la morale qui fait défaut") ou d'un Antelme. 

Puisqu'il est question de style, un dernier extrait, pour la route : "Quand on cesse de se soumettre au jugement de ceux dont on s'est retranché, tout ce qui blesse s'effiloche et se gomme d'un coup comme une brume sur la rivière à l'instant où monte le soleil." 

Être comme un chat.


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Si souvent tombé à cheval...
  


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