06 juillet 2013

Carnets pelés 38 - Mémoire de pierre


Neuf cent millions de crève-la-faim
Et moi, et moi, et moi
Avec mon régime végétarien
Et tout le whisky que je m´envoie
J´y pense et puis j´oublie
C´est la vie, c´est la vie
- Jacques Dutronc, Et moi, et moi, et moi 

13 août 2001, Honoré-Beaugrand

Un ange m’a prévenu ce matin en montant dans le métro, oui ce matin même : « Change de capuche! m’a-t-il dit.  Il y a des gens à profusion! Ne le vois-tu pas? Ne vois-tu pas le monde courir et se rasseoir, le monde tel qu’il est avec des cailloux dans le fond des souliers et le teint pâle des lundis empesés? Le monde avec les miettes sacrées de ses vedettes et ses tourments?  Le monde immonde et ses nouveaux meurtres sordides illustrés à la une des journaux aseptisés? Et l’espoir? Les verbes rares dans le cachot des gorges obturées par les débris? »

Hier encore, cher ange, je filais foins fous insoupçonnés ondulant vers les rivages de la mer. Oui, insoupçonnés. Oui, fou! J’étais allongé sur le sable en guise, en guise-en guise-en guiiii-se…

Rivage de mer. C’est aussi cet espace de temps ordonné qu’on n’a pas vécu. Ou plutôt, qu’on n’a pas touché de l’œil. S’il fallait tout restreindre à sa propre vue! Imaginez un ancien 13 août 1681 dans la Vieille-France de pierres vermoulues. Colbert édicte : sera réputé bord et rivage de mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves.


27 octobre 2010 

 Prise fantôme des deux mains derrière le dos. Il ne vole pas le temps, il nous stripouille et nous tripatouille, il nous vidange et nous retranche dans l’enchevêtrement des strates de sa langue bleue. Je vais lui donner une de ces claques! Je étant un bien grand mot!


8 février 2010

Je vais cesser de travailler, Maître. Je n’attendrai pas que le manche me reste entre les mains! En tout cas, je ne haverai pas trop ce soir. Il est pourtant 19 heures déjà! Et mes trente-deux bouches à nourrir!



20 janvier 2012

Autour du museau. Gloup! Gloup! Les véritables proies sont celles qui se déploient et se déplient encore en creux avec une réserve d’indomptables rêveries sur la planche à découvertes de la forêt de nos pensées.



2 juillet 2013


Au hasard dans la balançoire, René Char, Chants de la Balandrane, Cruels assortiments. Pages 539 et 540 : « Vivant là où son livre raidi se trouve. Et doublement vivant si une main ardente ouvre le livre à une page qui sommeillait. »



29 juin 1988

Dimanche dernier, j’ai visité ma mère avec les enfants. Bébé s’est endormi dès après les dernières bouchées du traditionnel et si bon pâté au poulet. J’ai sauté la tarte à la rhubarbe et suis sorti sous les nuages. Incapable de me poser. Comme un vif désir de repartir. Métaphore de ma jeunesse de sombre chevreuil entre deux chaises. Fuir avec le silence derrière les murs de pierres, les walls de roches. J’ai trouvé dans la remise un fond d’essence. Cela m’a retenu et donné contenance. J’ai rempli le réservoir du rotoculteur et j’ai travaillé un morceau du jardin. Un minuscule carré de terre brune bouleversée.  Du bruit en masse pour me geler les oreilles. Métaphore du sillon. Filiation. Et encore des roches qui jaillissent du sol!  Bébé s’est réveillé.  Une heure s’était écoulée. La pluie est venue sceller mon œuvre. Pour calfeutrer les blessures, j’ai regardé par la fenêtre de la cuisine qui donne sous le gros érable centenaire.
    

24 février 2003

Dans le corridor de la Place des Arts que j'emprunte tous les matins, j’ai revu le joueur de guitare au style, je dirais flamenco, faute de mieux préciser son agilité. Son jeu m’épate en effet, et je me suis arrêté plus loin pour gribouiller n’importe quoi qui pourrait sortir par le trou de la guitare. Quelque chose de dru, de virulent avec une tête de taureau et du torrent entre les gencives… Mais non! J’ai tant de verdure et de douceur dans le verdict du spontané…  

ils pacagent
de tous bords 
tous côtés
plac bloc plac plac bloc;
et ils disparaissent un à un
comme des gipsies de cuir 
au coeur brûlé
qui se remplissent la foi
de lunes bien fraîches


Ça fait peur au destin. 


9 janvier 2008

Ne pas craindre les fragments, les poussières d’or, les petits bouts de hasard, les morceaux de papier.

Les frogments.

Quel est donc cet auteur Russe qui, justement, par pur hasard, à moins que ce ne soit encore la faute à l’ange des livres, me tomba entre les mains un soir des années 80, avec un petit spot dans mon front, alors que je n’avais aucune boussole entre les rayons des Arts et des Lettres de la bibliothèque centrale de l’UQAM?

Afin d’illustrer l’art d’écrire et la vertu de la patience que cette activité exige certainement, celui-là racontait une histoire à l’eau de rose d’une espèce de chevalier têtu, aiguillonné, déterminé, ne gaspillant aucune occasion du jour et de la nuit, glanant ici et là sur le fil ténu du temps et dans les recoins les plus nuls, les plus obscurs, quoi donc, comme dirait Truffaut dans ses éditoriaux? Il rapaillait des poussières d’or… Je répète : des poussières d’or. Même les petits pucerons de pépites, même les invisibles puceaux ne s’étant jamais aventurés à l’air libre,  il les récupérait tous avec grand soin, grattant avec ses ongles, son sixième sens, parfois juste avec l’électricité dans ses cheveux… Il était parti là-dessus, un vrai maniaque avec toujours dans ses poches, au cas où, un petit casseau en fer blanc, une ancienne boîte à tabac vide en forme de mini baril pour accumuler des poussières d’or!

Si bien qu’arrivât un bon jour où ce persistant amoureux, car oui, cela est clair, il s’était amouraché, il avait un but, un motif ou un mobile, quelque chose de plus fort que lui le dépassait… Bien arriva donc un bon jour où le pollen glané ici et là avait son pesant d’or. L’homme jugea que l’heure était venue.  Peut-être y avait-il une promesse en jeu?  Il put amalgamer, chauffer, aplanir, taper, gosser, forger, sculpter, patenter…  Imaginez : une vraie belle grande Rose d’or !  C’est ce que disait l’auteur.

Pour quoi faire, pensez-vous? Toujours bien pas pour la déposer sur une tablette vaniteuse ou une petite table à café! Non! Non!  C’était pour l’offrir à la reine de son cœur, sa dulcinée qui avait sans doute de beaux yeux, de beaux cheveux, de beaux seins, des lèvres roses, une pensée délicate comme la brise et le cœur vif comme un lièvre…

Je crois qu’il s’agissait de Paustovsky pour qui la littérature était essentiellement imagination et réminiscences. Ne suis jamais retombé sur lui. Reste que son Sisyphe romantique est inoubliable.


3 mars 2011

Le regard amoureux traverse les jours, les sombres, les ensoleillés, surplombe le temps de chien, le bruit de fond à la fenêtre du matin, le froid, la misère à rester soi, surtout à devenir soi. Le regard amoureux (je parle en général, je suis si aveugle, mais j’ai la foi du charbonnier…) jette de loin sa lumière sur les traces d'oubli et de suie laissées derrière nos pas.



13 août 2005, lac Peasley

Le soir, au son des grenouilles et dans le va-et-vient des papillons de nuit sur la galerie, ça griche un peu sur la page du cahier avec la pointe de la plume. J’aime y faire de la réécriture, comme ça, tranquille. Petits labours miniatures, mots à découvert, tout ronds, tout cuits, déloussés avec une plume et ses cartouches.

C’est devenu une seconde nature depuis cet atelier d’écriture et de méthode en philosophie dirigé par Georges Leroux à l’automne de 1975 dans le vieux pavillon de la Gauchetière. Il y avait entre autres au programme un extrait de texte de Paul Ricœur, Quand le symbole donne à penser. Suivant le conseil de Georges (il faut faire comme les peintres, disait-il, et copier les maîtres pour que les mots vous rentrent dans la main), cette phrase, cette amorce en particulier, je l’ai utilisée des dizaines de fois en guise, en guise, en guise d’introduction et de parasol ou de paratonnerre, en particulier lorsque j’étais un peu perdu dans la direction de mes travaux d’étudiant… Je ponctuais pour marquer le coup d’envoi avec cette phrase  

« Je voudrais d’abord dire un mot sur le sentiment qui m’habite ».  Ah! Bon!   


Mais, en ce 13 août 2005, j’en suis à copier la page 173 de Vies minuscules de Pierre Michon (Gallimard 1984) : « Pas de jour plus insupportablement fort que celui-ci dans ma mémoire; j’y expérimentais que les mots peuvent s’évanouir et quelle flaque sanglante, bourdonnante de mouches et harcelée, ils laissent d’un corps dont ils se sont retirés : eux partis, restent l’idiotie et le hurlement. » 

Où sont les mots de sédiments floconneux pour parler de cet humble lac que j’ai devant les yeux parmi le réseau des lacs oligomésotrophes? 


Selon un article du Point en date du 13 août 2008, mais selon toute vraisemblance, cela doit s’être passé le jour précédant, soit le 12 août 1944 : les deux jeunes baveux sont saouls de bonne heure et caracole dans leur esprit de friture d’hippopotames bouillant l’idée de jouer aux clandestins en s’embarquant dans un bateau qui mouille au port de New York et qui est sur le point de partir pour la France.  L’idée, paraît-il, c’était de gagner Paris pour assister en chair et en os à la Libération! Rien de moins.  Oui mais, un marin aux yeux clairs repère les pingouins avant de lever l’ancre, les garoche dare-dare à la rue avec un pied au cul. 
 
 Eille ! J'vais tuer mon calice de vieux snoque !

 Puis, c’est fou, il faut jeter le corps dans l’Hudson, poings liés avec des roches dans les poches.  Ça reste nébuleux et c’est écoeurant. Quelques heures s’écoulent. Ça tremble de partout. Manquer d'air.  Penser à Dostoïevski. Revoir son ami Kerouac. La pression monte…
 Il en fera deux. Légitime défense, crime d’honneur face à un harceleur sur le point de violer un jeune homme… Ça c’est passé de même sur le devant de la scène.

Jack a fait une couple de jours de prison pour camouflage d’un crime.  Sa blonde a payé la caution contre la promesse de se marier!

 Ne pas rire dans sa barbe.



13 août 1998

Décès de Nino Ferrer.
Décès de Julien Green.


13 août 1926

Naissance de Fidel Castro. De passage à Montréal au début de l’année 1959, Castro déclare : « nous ne voulons pas de pain sans liberté ni de liberté sans pain »


13 juillet 1965

Mort de mon père Doloré. Le coeur.



Béthanie, 26 juillet 2009


Je reviens de France avec un petit crochet par le Vermont avec les Pedlers. J’ai entrevu après un mois d’absence mon jardin à la noirceur. M’a semblé bien ensauvagé. Fils abandonné. Le vent se lève. Le petit frigo n’est plus dans la botterie.Je suis en colère! L. m’a dit : «Vous écrivez de mieux en mieux. » Je ne crois pas être vaniteux.  Je ferme les yeux. Le vent est encore plus fort dehors. Toujours aimé cet orchestre du haut ciel de la nuit qui descend jouer jusque dans les branches des lilas bordant la maison. Est-ce que j’écris mieux? Je ne sais pas. J’écris sur le pouce.  Il faudrait que je fréquente beaucoup plus assidûment les livres en français.  On dirait que je ne suis plus d’ici.   Nous entrons dans la Vallée du Tarn en Arragon, vers Millare à 70 kilomètres, vers Sainte-Affrique.  Chemin faisant, les haltes ne manquent pas. Magnifique pays! On annonce des châteaux, Moulin-Neuf, Varbres l’Abbaye, la rivière Le Dordou, puis voilà Sainte-Affrique.  Je note avec une écriture qui tressaille tous les noms dans mon carnet. Oui, il faudrait que je relève ma paresse et vérifie les toponymes. Pour l’heure, je ne dis pas un mot à l’arrière de la voiture. J’ai tant rêvé avec les chansons de Vian en songeant aux routes graveleuses de France.  Ce voyage jusqu’en Avignon se déroulait le 7 juillet. J’aperçois des coteaux qui sont déjà en labours.  On doit les faire avant le 20 du mois, m’explique-t-on, sinon, c’est trop sec.  Nous sommes au Sud! Au pays du Roquefort.  Mais nous n’arrêtons pas! Allez, vers Cornius, route départementale 07… 


Montréal, 26 septembre 2007


Leur sang doit bien bouillir par le temps extraordinairement chaud qu'il fait en ce moment. Néanmoins, elles cacardent dans le ciel les outardes au beau nom de Bernaches du Canada. Elles s'appareillent comme de coutume. Je n'ai pas encore vu leurs volières fendre l'espace vers le sud. Ça fait quand même deux soirées qu'elles nous arrachent l'oreille. Il n'y a pas complainte d'échardes plus rugueuse et plus belle au monde que cet encouragement de la palmure au voyage en grand V irrégulier. Ça rit avec des grosses pelles en couleur dans le ciel de Montréal, ka-lunk, ka-lunk, ka-lunk…  Présage. Demain, l'hiver... Et puis l’oubli. Nenni, dit la Nani ! Pas demain l'hiver!
 « Je jetterai du pain dans le grand lac d’Oka, ou d'autres sortes de mies, pour qu'elles restent plus longtemps encore…
 pas demain l'hiver! » Jack a dit... Mais si, mais si, l’amie.  Demain l'hiver, disent les outardes au long cours et elles s'en foutent, elles s'en vont dans le Sud, au soleil, se baigner dans la mer... Et elles planteront leur long cou dans la soupe bleue. Elles nous laissent la paix. Elles nous donnent la paix. Elles se poussent en paix avec une chanson de Charlebois. Demain mon pays qui n'est pas un pays, mon pays qui n’est pas un pays, c’est une job et qui a bien Ducharme...


21 décembre 1987

Dans le dernier volume de la série Jean-Christophe de Romain Rolland, Emanuel est un petit bossu, un écrivain qui sait agiter une plume incisive.  Les pages de feu et de grand vent qu’il commet lui font mimer le charme du dompteur de lions qui, harnachant l’angoisse et le plaisir des foules, les remue, les soulève. 


Le cirque politique n’a pas que des clowneries à se mettre sous la dent : au centre du brasier, il invente aussi des fauves hyperboliques et des foules qu’on assassine vraiment. (Parfois, un artiste passe et signale qu’un ange invisible – comme l’ange des livres? – peut s’y balancer comme un poème dans l’opacité du désir.) Or, très singulièrement, il arrive que ce personnage de fiction, cet Emmanuel, ait été inspiré par un petit bossu véritable et dont le nom, magistral, a circulé comme une honte, comme une tache dans les salons libéraux de l’Occident des années 1930. Un peu comme quand on scande aujourd’hui le nom de Mandella, en ce temps-là, par-dessus les fouets d’une autre espèce de dompteurs macabres officialisés par la main de Dieu ou la force brute, on clamait : « Liberiamo Gramsci ! ».

3 commentaires:

Anonyme a dit...


Je ne sais si vous écrivez mieux
mais "Dieu" que vous écrivez bien

Mots sédiments floconneux...

vos extraits des carnets pelés

celui du 9 janvier 2008 est "Poussière d'or"

"le 13 août 2005, lac Peasley
Le soir, au son des grenouilles et dans le va-et-vient des papillons de nuit sur la galerie, ça griche un peu sur la page du cahier avec la pointe de la plume. J’aime y faire de la réécriture, comme ça, tranquille. Petits labours miniatures, mots à découvert, tout ronds, tout cuits, déloussés avec une plume et ses cartouches."

Seules parfois quelques écorches pour moi, dans vos choix de qualificatif,"oligo..."

A bientôt pour d'autres passages !!! ce serait cadeau


Anneau Nîmes

Jack a dit...

Je suis heureux que ça vous plaise, fidèle Anneaux Nîmes. Merci pour vos si bons mots!

Nina louVe a dit...

Tous ces mots comme une voyage entre musiques de ville et nuages full Vent. Tu as toujours écrit de mieux en mieux