23 septembre 2013

Arthur Lamothe et Michel Brault, ces étoiles en allées du cinéma


Tristes nouvelles, coup sur coup, Arthur Lamothe et Michel Brault, ces deux grands cinéastes québécois des plus authentiques se sont éteints.   Leurs oeuvres vont continuer à faire du chemin dans notre mémoire collective et à inspirer créateurs et artisans, toutes disciplines confondues.

Sur sa page facebook, le documentariste André Gladu que j'ai eu l'immense plaisir de rencontrer lors d'un Grand slam où il tournait, partage un témoignage de l'intérieur à la fois touchant et essentiel sur ces deux grands humanistes qu'il a cotoyés.   Ah! Le métier fabuleux qui est le leur.     



« L'indiscret Facebook me demande "À quoi pensez-vous ?" Je ne peux m'empêcher de penser au fait qu'on vient de perdre en quelques jours deux pionniers majeurs du cinéma québécois: Arthur Lamothe et Michel Brault. J'admirais Arthur pour ses films engagés: BÛCHERONS DE LA MANOUANE (1962) et surtout sa magnifique série sur les Innus (Montagnais) CARCAJOU ET LE PÉRIL BLANC et LA TERRE DE L'HOMME (1973-1983) en collaboration avec Rémi Savard, anthropologue. Puis MÉMOIRE BATTANTE (1983) sur l'univers spirituel des Innus. Lamothe donnait la parole aux autochtones qui racontaient leur vie dans leur langue. Un choc !

Michel Brault était un ami et certainement le collaborateur le plus important que j'ai eu en cinéma. C'est lui qui m'a transmis les grands principes du documentaire et surtout l'esprit du cinéma direct. Nous avons coréalisé la série Le SON DES FRANÇAIS D'AMÉRIQUE de 1974 à 1980 (27 courts métrages sur la musique traditionnelle des collectivités francophones du continent incluant 5 films tournés en France, Bretagne et Irlande sur les origines).

J'ai eu le privilège de voir Michel à l'action sur le terrain pendant six ans accompagné de ses assistants dont Andy Chmura, Suzanne Gabori, Ronald Brault, Jacques Méthé, Louis De Ernsted, René Daigle, son garçon Sylvain, Jocelyn Simard et la plupart du temps avec Claude Beaugrand à la prise de son, sinon avec Serge Beauchemin ou Esther Auger. Le montage des films étaient faits majoritairement par André Corriveau et à l'occasion par Josée Beaudet, Yves Dion, Éric De Bayser. Une équipe du tonnerre.


Il y aurait beaucoup à dire sur l'apport de Michel à notre cinématographie, son héritage cinématographique et ce qu'il laisse aux Québécois. Son principal legs se trouve dans ses films. Il était un des chefs de file du Cinéma direct et certainement un des plus doués. Son influence a marqué plusieurs grands documentaristes québécois, français et américains. Il était motivé par une curiosité technique peu commune et toujours à l'affût pour améliorer les outils du documentaire. Il était consulté régulièrement par des gens comme Jean Rouch, un des pionniers du Cinéma vérité en France, Richard Leackock l'opérateur de Flaherty et Jean-Pierre Beauviala l'inventeur de la fameuse caméra légère Äaton 16 mm. Son oeuvre cinématographique documentaire et fiction est incontournable. Je mentionne certains repères: LES RAQUETTEURS (1958) film précurseur du Direct coréalisé avec Gilles Groulx, LA LUTTE (1961) coréalisation Fournier, Jutra, Carrière. Le film culte POUR LA SUITE DU MONDE (1963) et L'ACADIE L'ACADIE !?!?(1971) coréalisé avec Pierre Perrault. ENTRE LA MER ET L'EAU DOUCE (1967), ÉLOGE DU CHIAC (1969), LES ORDRES (1974). [...] je retiens de lui son instinct sûr pour aller chercher la beauté de l'image et sa compréhension de la lumière. Son incroyable intuition à appréhender les situations documentaires, les êtres, rien ne lui échappait. Un sixième sens pour les choses qui se manifestaient de façon non dite, dans le silence. Avec les années nous avions mis au point une méthode de travail très efficace qui nous permettait de tomber dans la réalité des gens qu'on filmait. L'échange entre nous et les participants donnait des moments sublimes, entre autres de musique, comme avec monsieur Boudreault, le Quêteux Tremblay, Zachary Richard,madame Audet, Dennis McGhee, Calvin Carrière, Nathan Abshire, madame Innes Catalon, Emmanuel Kerjean, Philippe Bruneau, etc. Une véritable chorégraphie de l'instant présent. Pas un mouvement n'était fait inutilement. Tous nos gestes nous rapprochaient de la vérité. Il me confiait: "André, tous les mouvements de la caméra, les décisions du preneur de son, tes interventions, doivent converger vers le même but..." Vu de l'extérieur des badauds se seraient demandés ce qu'on faisait. Dans les meilleurs moments on se comprenait sans mots. Je regardais brièvement Michel qui jetait un coup d'oeil à Claude et c'est parti. On savait que ça allait être bon. 
Michel avait souvent les deux yeux ouverts. Un pour ce qu'il tournait, l'autre pour surveiller ce qu'il se passait. Il découpait toujours ses séquences question de donner du vocabulaire au monteur. "Je tourne pour le monteur. Et non pas seulement pour faire des belles ima-ges !" Parfois certains tournages intenses exigeaient pour Brault de vivre dans l'oeilleton (le viseur) de la caméra pendant six heures entrecoupées du repas du midi. En fin de journée je lui demandais:"Pas trop crevé ?" Il me répondait:" Il faudrait que tu l'essaies juste une heure, sans arrêt...". 

On lui doit aussi son formidable travail d'animateur et de rassembleur du milieu. Michel était de toutes les batailles. Pour améliorer le sort du Programme français à l'ONF, pour militer pour la survie de la Cinémathèque québécoise, pour créer le premier syndicat des techniciens, pour mettre sur pied l'Association des réalisateurs et réalisatrices de films du Québec, pour exiger des fonds pour notre cinéma auprès de Téléfilm Canada ou de la SODEC, pour obtenir du temps d'antenne pour les films québécois, etc. Il était partout. Et surtout c'était un être généreux qui ne ménageait pas ses encouragements et ses efforts. Il faisait confiance aux gens et dès qu'il s'enthousiasmait pour une aventure cinématographique il était de la partie avec ses conseils, sa longue expérience, son compagnonage rassurant et toute son amitié.

En documentaire Michel croyait profondément à l'importance de donner la parole et l'image à des gens et des populations qui normalement sont exclus des tribunes officielles. Ceux qui n'ont pas de voix. Une préoccupation profondément démocratique qui n'est peut-être pas complètement étrangère avec une expérience marquante vécue alors qu'il était enfant. C'est lui qui nous la racontée. Un jour à l'école la maîtresse de français demande aux élèves de lui faire le portrait d'un chat. Dans son enthousiasme Brault prend sa feuille et un crayon et dessine un chat. La maîtresse ramasse les réponses de ses élèves et parmi les descriptions de chats elle découvre le dessin de Michel. Elle le brandit devant les élèves et ridiculise celui qui avait dessiné plutôt que d'écrire. Peut-être qu'à partir de ce moment-là Brault s'est méfié des mots et des écrits et a décidé qu'il allait nous prouver qu'une image vaut mille mots...

Désolé d'avoir pris autant d'espace pour vous parler du départ d'un grand cinéaste et d'un ami, mais c'est un sujet que je n'arrive pas à traiter en quelques mots. Ce sera une présence difficile à remplacer d'où l'importance de bien mesurer ce qu'il nous laisse. La photo ci-jointe [cf. la page facebook] a été prise à Gençay (Poitou) en 1977 après le tournage de notre film La terre d'amitié. Michel, Claude Beaugrand, Andy Chmura et moi étions crevés mais heureux. »

Merci André Gladu!






En supplément :
Marc Cassivi, Si vous saviez monsieur Brault, La Presse, 24 novembre 2013.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Muette
je reste devant ce témoignage,ces images exceptionnelles
"mépris, mais aussi nihilisme, cynisme exprimés, évidence de notre condition".

Remuée, je ne puis bougée
yeux rivés que l'écran
le chemin est tracé
rien, jamais ne pourra faire
taire cette présence au monde

Avec eux,
Arthur Lamothe et Michel Brault

Rêver impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer "l'humanité"
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible
Telle est ma quête,
Suivre les étoiles
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner

Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce des malheureux
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre l'inaccessible Démocratie.

C'est bien médiocre
texte de "la Quête" de J.BREL ainsi mutilé, mais je sais que vous me pardonnerez

Anneaux Nîmes

Jack a dit...

Pas médiocre pantoute! Brel le ciseleur, qu'on n'entend plus, sait nous tirer du profond,