— Effluve : fluide impondérable qui se dégage des corps organisés
27 août 2007, balcon arrière
Il y a un peu de clocherie dans l'air. C'est dimanche. Je feuillette Derrida, son ombre de la « différance », puisque c'est dimanche et parce que la cloche de l'église à Béthanie s'est fait voler. Calvaire! Michel Garneau me dira : ça prend-tu des trous de culs! Des traces aller-retour chez le compliqué mille-feuille Derrida qui crache ses lectures de feu sur des toits égarés, Bataille, Blanchot, Levinas, Foucault..., qui parle de positivité eschatologique venant soulever la finitude. Il y a du jaillissement dans le présent. Le présent? On peut donc s'en échapper au-delà de ce qu'on a pensé tout cuit, figé. La ruelle devant moi est bien grouillante de vie.
13 février 2007, sous le porche du Théâtre Castro Alves
J'attends sous le porche du Théâtre Castro une senhorita qui est à l'intérieur. C'est une jeune actrice aux longs cheveux bouclés très noirs. Elle a grain de beauté près de l'arcade sourcilière du côté droit. Elle parle très bien français. Elle arbore des croyances religieuses que je ne comprends pas. Elle est venue à une réunion sur laquelle elle fonde beaucoup d'espoir. C'est très politique ici depuis un changement récent de régime à gauche dans la province de Bahia. Nous devons repartir ensemble et préparer le souper. Ce n'est pas que je l'aime. Elle n'est qu'une amie. Mais je fais comme si j'attendais la femme de ma vie. Je m'invente une fille de Salvador que j'aimerais d'un fol amour libre. Elle ne m'écrirait pas avec ses larmes des lettres de rupture. Suis dans la haute-ville, vraiment en attente sous le grand porche de béton orné d'espèces de planches de petites pierres qui forment des motifs en alternance de triangles isocèles gris-bleu, blanc cassé et brun rouge prague. J'attends Rita depuis une bonne demi-heure maintenant et il pleut à verse! Il pleut en tabarouette.
Photo Desmarais. Lac Canet, Roussillon, France (2009)
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20 juin 2009, assis dans les herbes
Assis près d'un fossé, camouflé dans les herbes folles, il y a comme de l'avoine et de jolies fleurs mauves sur le bord du lac Canet. Il VENTE! Je sais à présent ce qu'est la tramontane. Je suis à cinq pieds d'un petit chemin qui borde en parallèle la route menant à Saint-Cyprien. Je suis là seul, tranquille parmi l'avoine sauvage et les roseaux, à l'abri du vent, le dos chauffé par le soleil. À un jet de pierre se trouvent les anciennes cabanes de pêcheurs qui forment comme un petit hameau moyenâgeux. Je suis venu ici pour faire des photos. J'aurais roupillé si j'avais pu. J'aurais fait l'amour si j'avais pu! Je me contente de ce rien de musique et de lumière, le vent dans les herbes, les mouettes discrètes... C'est samedi et je suis bien. Tout à coup, derrière moi, la belle bête luisante et noire a eu peur en m'apercevant. J'ai sursauté en titi moi aussi! Hein! Une jolie cavalière à cheval se pointe, une vraie de vraie, cravache, casque et pantalons bouffants... L'inattendu passait par là.
Assis près d'un fossé, camouflé dans les herbes folles, il y a comme de l'avoine et de jolies fleurs mauves sur le bord du lac Canet. Il VENTE! Je sais à présent ce qu'est la tramontane. Je suis à cinq pieds d'un petit chemin qui borde en parallèle la route menant à Saint-Cyprien. Je suis là seul, tranquille parmi l'avoine sauvage et les roseaux, à l'abri du vent, le dos chauffé par le soleil. À un jet de pierre se trouvent les anciennes cabanes de pêcheurs qui forment comme un petit hameau moyenâgeux. Je suis venu ici pour faire des photos. J'aurais roupillé si j'avais pu. J'aurais fait l'amour si j'avais pu! Je me contente de ce rien de musique et de lumière, le vent dans les herbes, les mouettes discrètes... C'est samedi et je suis bien. Tout à coup, derrière moi, la belle bête luisante et noire a eu peur en m'apercevant. J'ai sursauté en titi moi aussi! Hein! Une jolie cavalière à cheval se pointe, une vraie de vraie, cravache, casque et pantalons bouffants... L'inattendu passait par là.
12 septembre 2008, à la plage
La playa à Varadero est vert émeraude. Tout à l'heure, j'ai ramassé un coquillage transparent qui me fascine. La bise et le scliche scliche incessant du bruit des vagues qui s'éparpillent en fragments de sel me donnent continuellement envie de dormir. Je ne lis pas plus de trois lignes. Je suis incapable d'en écrire davantage. Le soleil aime vous suspendre. Il faudrait six mois de ce régime, sans pour autant oublier le régime! Mais il y a plus encore. Avant, lorsque j'écrivassais à l'improviste, comme ça, je me sentais seul. À présent que je suis vraiment seul, mon écriture ne trouve pas un meilleur chemin pour se saisir de la vérité. Il me semble que rôdent toujours aux alentours des yeux inconnus au-dessus de mon épaule. Nous sommes au milieu de milliers d’yeux, disait Paul Éluard au siècle dernier. À présent, où se cacher pour imaginer ce qui nous appelle? Le partage du sens, plus simplement le partage du sentiment qui m'habite sue ici à grosses gouttes. Je repense soudain à Becket dont j'ai lu déjà sur cette plage les indulgents casse-têtes. Voilà un écrivain qui a suffisamment de couenne burinée pour rester planté au soleil.
10 juillet 2010, dehors, Sainte-Anne-des-Lacs
Chérie m'a offert Les chevaux approximatifs (l'Hexagone), le dernier recueil de Michel Garneau qui se déclare officiellement mûr pour concrétiser enfin un vieux souhait : écrire un Hommage aux formes (tel est le sous-titre).
« Écrire est un geste qui nous vient en héritage
et malgré ce qu'en disent les “classes jasantes”
une génération n'annule pas l'autre
et ce n'est pas un concours
c'est un immense dialogue
et celui de la poésie
est le plus beau et le mieux nécessaire »
P. 13.
2 juillet 2011, en pause, Place Bonaventure
Un fantôme nommé Maxim respire sa voix au téléphone. Une obligation s'impose : ne pas se fier au silence de la mort. Détours, retours, tambour, don don don! Énorme bahut aux portes sifflantes... Mes grappes sauvages, aujourd'hui, ne mourront pas dans ta bouche.
8 février 2008, en simple conversation
C'est une fille de l'Est. Je l'aime. Une Anglaise. Il y a une simplicité dans ses yeux atlantiques. Une retenue, une précision dans le rire. De l'azur dans son coeur. Elle coule de source. Timide. C'est une fille saline de l'Est qui m'explique comment apprêter le homard et les pétoncles. Du beurre, du poivre, du sel.
12 décembre 2011, au bureau des soumissions
Nous avons affaire à une bande d'arsouilles qui tirent les vers du nez de l'Association des Criminels anonymes. Ils lancent à la volée des phrases optatives du genre : dormez bien, les enfants!
12 mai 2007, librairie Zone libre, rue Sainte-Catherine
J'assiste en après-midi à la causerie de Jacques Bouveresse et Normand Baillargeon à propos de Karl Krauss — Au commencement, les médias étaient déjà pires. Le fascisme n'est pas descendu du ciel avec le Père Noël.
28 novembre 2008, à la librairie Coop de l'UQAM
Je me procure au prix de 37,75 $ ce titre de Jacques Bouveresse : La connaissance de l'écrivain Sur la littérature, la vérité & la vie, coll. Banc d'essai, Agone, 2008.
Sur l'idée de « justice poétique » (Martha Nussbaum en lien avec Walt Whitman) qu'il nuance, on trouve ceci à la page 163 : « Selon Whitman, l'imagination puissante du poète “voit l'éternité dans les hommes et les femmes” et “ne voit pas les hommes et les femmes comme des songes ou des points [as dreams or dot]”. Or c'est précisément le genre de regard dont on a un besoin plus urgent que jamais dans une époque comme celle d'aujourd'hui, où nous éprouvons souvent des difficultés à nous regarder les uns les autres comme pleinement humains, comme quelque chose de plus que les rêves sans consistance ou des points sans épaisseur. »
3 novembre 2012, réécriture dans ma chambre
La nomadie, expérience chamanique : « L'instant est ivre parce qu'il s'enivre de l'expérience aïeule. Il perd la notion du temps au cours de l'hallucination de la bête lue dans ses traces. Il s'enivre de l'excrément du temps que laisse le passage de la bête passée [...] »
— Pascal Quignard, Sur le jadis, Grasset, 2002, p.87.
1er février 1987, dans mon lit
Apparition soudaine d'une avalanche de mots désordonnés, toutes sortes d'affaires qui ne se peuvent pas, une chaudière vide sur le bord du désir, trois zèbres en ruine, une étoile à genoux devant mon arrière-grand-mère amérindienne.
3 novembre 1993, à la radio, sur l'heure du midi
« La poésie montre que l'expérience sans le langage est une expérience pauvre. »
13 février 2006, à la cuisine
Moudre le grain! Ce matin, Irca — qui est pourtant chargée de cours à l'Université — marmonne, cille plutôt, comme si cela était une catastrophe : sa fille est obligée de lire Proust! Ha! La serrure. Lire Ducharme reste le meilleur des antidotes.
15 juillet 1982, à la librairie Louky où je travaille et qui va fermer
Fils d'araignée en suspens. J'achète pour 4,20 $ Dérive à partir de Marx et Freud de J.F. Lyotard, Christian Bourgeois, coll. 10 18, 1973.
« L'oeil est ce qui transgresse il voit derrière il voit ce qu'il ne voit pas [...] La course de l'oeil baigne dans la grâce du continu aux antipodes de la ratio tout devient possible la déformation sauvage femme arbre cailloux étoiles d'un sol renversé profil montagne jambes poissons volants Prière aux analystes de ne pas oublier que l'imaginaire même serait impossible si la continuité ne fournissait à la loi à laquelle ils portent toute leur attention la condition matérielle de la formation des images L'oeil = l'autre + le continu ». P. 33.
10 septembre 2002, salle de cours, université de Sherbrooke (Longueuil)
Formes de vie ou quand il s'agit du trouble « normal » d'apprentissage 101.
En cette deuxième leçon du cours ÉTA 700, Introduction à l'éthique, Georges-Auguste Legault se joint au collectif des professeurs. Il met l'accent sur les mots pour avoir des idées et parle d'entrée de jeu de la « pensée éprouvée » en citant Camus.
Il dit aussi : les mots, on s'y soumet et en même temps, on les plie. C'est un aller-retour, car il faut bien se faire comprendre. Il faut retravailler les mots pour éclaircir les concepts. Le plus on rend nos énoncés clairs, le moins on manipule les autres. « En sciences humaines, notre seul laboratoire, ce sont les mots. La justesse des mots doit jouer comme un scalpel. Cette classe est un laboratoire de dialogue. Voilà le défi. Si l'on ne peut pas éprouver ensemble le dialogue, à quoi bon? »
Le professeur nous avertit donc que ses interventions pédagogiques vont venir jouer dans les têtes et les tripes. Aussi : un mot n'a jamais un sens absolu. Il est relatif aux usages qu'on en fait. Georges : « Le mot dialogue est le mot le plus important dans mon lexique de l'éthique appliquée. »
Le professeur nous avertit donc que ses interventions pédagogiques vont venir jouer dans les têtes et les tripes. Aussi : un mot n'a jamais un sens absolu. Il est relatif aux usages qu'on en fait. Georges : « Le mot dialogue est le mot le plus important dans mon lexique de l'éthique appliquée. »
Le dialogue vu d'abord comme une activité communicationnelle.
Sa formule : E = C (L.F (R, P) : A
E. : Énonciation
C : Contexte
L : Locuteur
F : Force (perlocutoire : séduire, surprendre; locutoire, illocutoire : affirmation, avertissement...)
R : Référent (énoncé)
P : Prédicat
A : Allocuteur
Mais au-delà du fait que nous sommes toujours dans une pratique communicationnelle et que cela a un retentissement sur les pratiques au sens large — considérées ici par Legault dans une relation intersubjective plutôt que par la petite lorgnette inflammatoire si prégnante du repli vers la « conscience » et le « Je » tout seul sur son île —, quelle est la leçon entrevue et à méditer?
C'est un gros tableau de morceau! C'est en lien avec le recours à la vérité. Est-ce qu'on peut faire jouer en éthique un appel à la vérité? Au fait, dans la culture, qu'est-ce qu'on fait jouer avec le recours à la vérité? La toile de fond des représentations en Occident depuis Platon pose que l'essence précède l'existence (l'Un de Parménide) et que les représentations que l'on a forgées sont vraies. Sur le plan de la connaissance, cela implique que je connais le monde, la nature dans son essence, et que sur le plan moral, on cherche la vérité qui correspond à la nature. Il y a un « Nous » qui est déjà donné. Or voici que l'existentialisme (qui pour sa part renoue avec le Multiple d'Héraclite) renverse la pré-existence de l'essence. « Renversement majeur », affirme Georges.
Il se trouve que la condition humaine est rattachée au pôle du « Je » comme sujet qui n'a rien de fixe, qui est en création, en projet, en « devenir soi ensemble » (Jean-François Malherbe), projeté donc dans un espace de liberté. « Si l'on tente de se conformer à un réel, on efface le sujet ».
Le dialogue comme théorie de l'éthique se pose donc comme une position théorique entre le dogmatisme (qui suppose un message neutre, clair et transparent) et le relativisme (tout se vaut). Il conçoit que les personnes peuvent coconstruire leurs références, la meilleure réponse possible dans les circonstances données, leurs idées, leurs valeurs, leur monde, leur univers. Le dialogue est une construction du « Nous » à partir des « Je », bien que le « Nous » ne soit pas la récollection de tous les « Je ». La condition à cela est de poser « une égalité réelle entre le locuteur et l'allocuteur. »
Enfin, le dialogue comme outil d'intervention : apprendre les règles du dialogue est le premier pas vers le développement de l'éthique « au sens où l'éthique suppose le souci d'autrui, c'est-à-dire une ouverture à la différence... C'est toujours très difficile de composer avec la différence, ajoute Legault, à commencer par la différence homme femme. »
Question simple : aimez-vous l'être humain?
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