08 décembre 2013

Dérives numériques - État policier à vue


Ah! Le joli plat invisible et brûlant d'actualité des mathématiques pures et appliquées au service de l'Empire! Mais voyons donc!

Dans l'édition du Devoir du 2 décembre 2013, sous le titre L'espionnage de tous et de tout, une anomalie?  l'excellent éditorialiste Serge Truffault creuse à nouveau le sujet tous azimuts et qui a comme acteurs un groupe restreint de nouveaux prêtres masqués en train de confectionner « [...] les balises d’un État qu’il faudra bien qualifier, tôt ou tard, de policier. D’un État où le capitalisme stalinien sera roi et maître. On a des doutes? »

Truffault rappelle d'abord la commande en 2002 de George Bush à John Poindexter, un ancien haut flic sous Reagan obligé de démissionner vers 1986 pour sauver la face du Président dans une histoire de ventes d'armes à l'Iran, et qui consistait à ceci : 

« [...] traduire dans les faits, la réalité, son concept dit Total Information Awareness ou “connaissance totale de l’information” [...]. Pendant une quinzaine de mois, Poindexter a donc échafaudé l’architecture du programme, le modus operandi. Les élus aidant et le premier d’entre eux — Bush évidemment — ont élagué tout ce qui ressemblait de près comme de loin aux obstacles juridiques. Comment? En rassemblant sous l’expression “guerre contre le terrorisme” tous les droits que permet la guerre totale. Bref, on peut espionner qui on veut et donc réquisitionner tous les outils développés par Google, Verizon et compagnie. »

Dans la même édition du Devoir, Fabien Deglise propose un article, La troublante accoutumance aux dérives numériques, autour des fameuses lunettes hyperconnectées de Google qui envahiront bientôt le marché. Cette nouvelle bébelle « révolutionnaire » munie d'une caméra miniature sera le troisième oeil omniprésent de la téléportation.  L'objet, écrit Deglise, « [...] va générer une masse phénoménale de données et les archiver. Il va permettre l’installation d’un filet informatique, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, sur l’ensemble des territoires humains et des interactions sociales, en enregistrant un même environnement sous une multitude d’angles humains. Mais il va surtout poursuivre l’oeuvre de Google qui propose d’appréhender la réalité en passant par ses algorithmes, ces formules mathématiques à saveur discrètement politique qui permettent de se retrouver dans les données numériques, et qui se rapprochent de plus en plus du cerveau humain, en passant désormais par les yeux. »

Dans la suite de son article, le journaliste discute avec le chercheur et sociologue de la culture Jonathan Roberge, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nouveaux environnements numériques et l'intermédiation culturelle (le Nenic Lab, à l'INRS). Ce spécialiste des nouvelles technologies dans ses rapports avec les mouvements sociaux participait également en novembre au plus récent « Bar des sciences » de l'émission scientifique de Radio-Canada Les Années lumières, sous le thème : Les nouvelles technologies ont-elles kidnappé nos vies?

L'approche de Roberge, en comparaison peut-être à celle de Paul Virilio qui parle « d'accident intégral des connaissances » catalysé par la vitesse des technologies, est certes nuancée : faut-il s'alarmer? Non, dit-il. Pas au pont de devenir technophobe, mais, ajoute Roberge, il faut rester critique. 

Or, toute la question est là : peut-on dégager l'espace critique au regard de la vitrine numérique qui en moins d'une douzaine d'années a transformé les conditions d'accès à la culture et oblige donc à questionner le rapport politique? Qui décide quoi et pour qui?

Pour revenir à Truffaut, la question du contrôle de la technologie dans la vie collective pose selon lui de sérieuses inquiétudes. 

À la suite de l'article de Fabien Deglise cité plus haut, un lecteur, M. Cotnoir, a laissé un commentaire (je le cite au complet même si c'est un peu long) qui résume à mon avis la difficulté du simple mortel à suivre la partie en cours. De plus, je trouve ce commentaire pertinent parce qu'il donne un moins un exemple de lieu d'échanges libres sur la Toile.   M. Cotnoir écrit :

 Compléter une analyse partielle...
À chaque fois où vous vous présentez chez votre "ami" Jean Coutu et que la caissière vous demande "Avez-vous votre carte 'Air Miles'?" et que vous la lui remettez pour accéder aux points convoités, vous fournissez de précieux renseignements sur vos achats. Il en va de même pour l'utilisation de vos cartes de crédit ou de débit. Les millions de données POS (point of sales) sont analysés par des algorithmes tels ceux de SPSS Modeler d'IBM, réseaux neuroniques, analyse discriminante, CHAID, etc et permettent aux marchands de mieux placer sa marchandise, d'associer comme dans certains établissements de grandes chaînes de dépanneurs qu'il vaut la peine de placer les caisses de bière sur le chemin des couches (!!!), car ce sont les papas qui, à la demande des mamans, vont souvent chercher les couches manquantes pour leurs petits rejetons... Ces profils sont établis également lorsque vous naviguer sur Internet et il est possible de croiser toutes ces données provenant de l'empire GAFA (acronyme éponyme issu de l'amalgame de "Google Apple, Facebook, Amazon") afin de mieux cibler le type de consommateurs ou de citoyens que vous êtes. Et alors? Parfois, cela permet à Amazon de vous proposer un livre mieux adapter à vos goûts ou intérêts au lieu de vous assommer avec ceux qui vous rebutent. Mais cela permet également au SCRS ou à la NDA de vous suivre... L'envers de ce décor, c'est que les TIC sont aussi entre les mains de ceux qui ne vendent rien que la dissémination d'idées moins dominantes. J'en veux pour preuve la coop de solidarité WEBTV (webtv.coop)  où les données des internautes inscrits ne sont ni croisées, ni vendues où l'on peut trouver autant des vidéos sur un monde plus vert que plus équitable et où le contrôle est entre les mains des membres d'une coop réunissant les utilisateurs, les travailleurs et des organisations de soutien comme le Chantier de l'économie sociale.

Éloquent! 


Enfin, l'ami Truffault est revenu sur le sujet (Le Devoir, 6/12/13) en s'appuyant sur le Washington Post qui se fait maintenant le relais de la brebis galeuse, le traître Snowden, et par lequel il est  nous révélé que la NSA est en mesure de géolocaliser des millions d'individus à l'aide de ondes des téléphones cellulaires. l'État policier à vue, pensez-vous? Voici l'édito au complet de Truffault qui a selon moi la grande qualité de souligner le désarroi politique de cette immense gamick qui s'érige au-desus de nos têtes.  

Après le contrôle des mers à des fins militaires, le contrôle de l'espace pour les mêmes appétits, voici donc venu le contrôle du temps numérisé de tout un chacun?  


« L'espionnage de la NSA - Localiser, localiser 
Après l’appel d’Angela Merkel, les conversations entre mandarins de l’Union européenne, les us et coutumes observés quotidiennement par les Britanniques et après bien d’autres faits qui sont autant de négations de la vie privée, voilà que le Washington Post révèle que la National Security Agency (NSA) a confectionné un programme qui lui permet, depuis belle lurette, de géolocaliser tout cellulaire. En tout temps et n’importe où.

Autrement dit, jour après jour, la NSA espionne ou plus exactement est en mesure de suivre à la trace les déambulations physiques de millions d’individus. Selon les données contenues dans les disquettes d’Edward Snowden, et gérées cette fois-ci par le Washington Post, la somme des données afférentes à la géolocalisation est plus ou moins égale à celle du Library of Congress. Pour bien mesurer l’amplitude des appétits de la NSA, mentionnons qu’un ordinateur géant est en cours de construction au Tennessee. Signe très révélateur de la volonté de puissance de la NSA, sa consommation d’énergie sera égale, dit-on, à celle de Washington.
 
La volonté évoquée est en fait l’effet miroir du principe, a-t-on appris grâce à une enquête du magazine Rolling Stone, établi par Michael Hayden, général qui fut patron, dans les années 2000, de la NSA d’abord et de la CIA ensuite. Principe qui stipule que la NSA se doit de devenir la propriétaire d’Internet. Lorsqu’à cet objectif on greffe celui conceptualisé par John Poindexter dès janvier 2002, soit la connaissance totale de l’information, on accouche d’un État policier.
 
Cette histoire a ceci de terrible que les personnes élues démocratiquement aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs ne font rien, à l’exception notable de l’Allemagne, pour défendre la… démocratie ! À preuve ce qui s’est passé avant-hier dans l’enceinte de Westminster, à Londres. Lors de sa comparution devant les parlementaires britanniques, Alan Rusbridger, l’éditeur du quotidien The Guardian, a été dans l’obligation, au demeurant hallucinante, de montrer des gages de patriotisme. Car selon les députés, les élus, en agissant comme il a agi, autrement dit en rendant publiques des informations d’intérêt très public, Rusbridger a affaibli le cordon sécuritaire du pays. La meilleure…
 
La meilleure, pour ce qui a trait à la sécurité et au combat contre le terrorisme, est la précision suivante : la NSA a hiérarchisé, selon le Washington Post, les données découlant de la géolocalisation en accordant la priorité aux rendez-vous d’affaires, suivis des visites médicales et des hôtels. Bref, le combat contre les terroristes s’est avéré le combat contre tous. Ou presque. »


Autres références récentes sur le même sujet :
NSA et la surveillance massive des téléphones cellulaires, La Presse, 4/12/13.

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