Ce texte de M. Jacques Parizeau est d'une clarté remarquable et d'une grande utilité pour quiconque cherche à comprendre, non pas seulement la dégelée du PQ le 7 avril dernier, mais de façon plus large la patiente marche du peuple québécois dans son devenir soi ensemble. Il n'y a pas de téléologie obligée ou fixée d'avance dans l'évolution politique d'une société, semble nous redire l'ancien Premier ministre. Mais il y a à la fois des continuités qui ont leur pesant et des points de rupture qui émergent à l'horizon et façonnent l'inédit. Il y a que les luttes de libération au quotidien se transforment elles aussi selon les circonstances historiques en cours. Il reste que la « Question du Québec », pour parler comme Marcel Rioux, est unique et fascinante. Il reste que d'autres chantres et d'autres voix d'ici — peut-être dans la foulée des Nadeau-Dubois, Champagne et Latulippe d'aujourd'hui, particulièrement sensibles à l'écologie — diront à leur manière « Je vous entends demain parler de liberté ».
Jacques Parizeau, Le parti québécois à la croisée des chemins, Journal de Montréal, 2/05/2014.
«À mon avis, la dégelée infligée au Parti québécois est l’aboutissement d’une stratégie qui remonte loin dans son histoire, qui n’est pas toujours appliquée, mais qui a dominé au cours des dernières années. Elle s’appuie sur l’idée que parler ouvertement de souveraineté, d’indépendance ou de référendum fait perdre des votes et donc nuit à la prise du pouvoir. On se contentera donc, en période électorale, de ne parler que de bon gouvernement.
Quand on arrive au pouvoir, on ne peut évidemment pas utiliser les fonds publics pour étudier et préparer l’accession à la souveraineté et élaborer le projet de société qui en découlerait, ni en faire la promotion puisqu’on n’a pas demandé un mandat à cet effet pendant la campagne électorale. La souveraineté du Québec devient alors une sorte de drapeau que l’on agite de temps à autre devant les militants de façon à les garder en appétit et dans les rangs. Bien des souverainistes ont refusé cette espèce de supercherie. Depuis quelques années, ils se sont éparpillés dans des mouvements, des associations et deux autres partis politiques.
Si le Parti québécois ne voulait pas introduire la souveraineté dans les campagnes électorales, on ne pouvait empêcher les libéraux, eux, d’en parler. C’est Jean Charest qui a trouvé la formule et mis au point la stratégie. D’abord, on diabolise dans l’opinion publique le référendum: il crée des tensions insupportables, divise les familles, empoisonne l’atmosphère et nuit à l’investissement, donc à l’emploi. Puis, on répète indéfiniment que si le Parti québécois est porté au pouvoir, il déclenchera rapidement un référendum. Le Parti québécois a mordu à l’hameçon: «Non, il n’y aura pas de référendum tant que les Québécois ne seront pas prêts.» «Peut-être dans un premier mandat, ou un deuxième, ou un troisième.» «Ce n’est pas une priorité.» En somme, il se met sur la défensive.
Le nouveau chef du Parti libéral, Philippe Couillard, a poursuivi la même stratégie pendant la dernière campagne électorale avec le succès que l’on sait. À mi-campagne, un sondage révèle qu’à la question «Si le Parti québécois est élu, croyez-vous qu’il déclenchera un référendum», les trois quarts des sympathisants libéraux répondent oui et les deux tiers des sympathisants du Parti québécois répondent non. Le monde à l’envers! On nage en pleine confusion. Pas étonnant que tant de gens ne veulent pas entendre parler de référendum ni de souveraineté!
Changement de stratégie
Il faut alors se poser la question: est-on si certain que de tourner autour du pot, cacher sa raison d’être est si efficace pour attirer l’électeur? En tout cas, l’histoire du Parti québécois qui suit sa défaite de 1985 semble prouver le contraire. Le «beau risque», c’est-à-dire une tentative de réconciliation du Québec et du Canada provoque une crise sérieuse: cinq ministres et deux députés du Parti québécois démissionnent en novembre 1984. Le successeur de René Lévesque remplace l’objectif de la souveraineté par «l’affirmation nationale». En 1988, il démissionne et je deviens chef du Parti québécois. Un changement radical s’opère, symbolisé par le slogan: «Le Parti québécois est souverainiste avant, pendant et après les élections.»
Les années qui suivent, jusqu’en 1992, donnent lieu à plusieurs tentatives de redéfinir la place du Québec dans le Canada et de réformer la constitution canadienne. Plusieurs comités, commissions d’étude ou d’enquête, à Québec et à Ottawa, explorent le renouvellement du fédéralisme et la souveraineté du Québec. En 1992, un référendum est tenu sur un projet de renouvellement de la constitution canadienne. Le projet est rejeté au Québec, dans le reste du Canada et chez les nations autochtones.
L’élection de 1994 et le référendum de 1995
Le Parti québécois se sert de toutes les études réalisées pour mieux définir ce que serait un Québec indépendant. Quand la campagne électorale est déclenchée, en 1994, on est prêt. On peut dire aux électeurs: «Si vous nous élisez, nous tiendrons un référendum dans les 8 à 10 mois après l’élection.»
Le Parti québécois prend le pouvoir avec 45% des voix et 77 sièges. Le nouveau gouvernement, avec un mandat aussi clair, est tout à fait justifié d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour réaliser son objectif. Un ministère de la Restructuration est créé pour examiner les modifications qu’apporterait l’indépendance à l’organisation politique, administrative, financière et budgétaire et à l’élaboration des politiques économiques et sociales. Des commissions formées de citoyens, sans aucun député ni ministre, sont organisées dans toutes les régions pour examiner l’avenir du Québec. Cinquante-cinq mille personnes participent aux travaux de ces commissions!
Un projet de loi, simple et clair (six pages) fut rédigé pour établir comment la souveraineté serait réalisée. Immédiatement après le référendum (si le oui l’emportait), le gouvernement du Québec offrirait au gouvernement fédéral un projet de partenariat politique et économique (élaboré conjointement par le chef du Parti québécois, le chef du Bloc québécois et le chef de l’Action démocratique du Québec). On se donnait le temps qu’il fallait pour faire aboutir les négociations. Si elles échouaient ou n’allaient nulle part, alors, au plus tard un an après le dépôt du projet de partenariat, l’Assemblée nationale avait le pouvoir de décréter l’indépendance du Québec. Le projet de loi et le projet de partenariat furent publiés sous la forme d’une petite brochure qui fut distribuée à toutes les portes du Québec.
Puis on passa à la campagne référendaire. Le taux de participation atteignit le niveau prodigieux de 94,5%. On ne se demanda pas si les jeunes avaient voté moins que les vieux ou les femmes plus que les hommes; tout le monde était allé voter! En dépit de tout le travail de préparation et de promotion et de l’apport remarquable du chef du Bloc québécois, le oui ne reçut que 49,4% d’appui. Plus tard, on eut la confirmation que le référendum avait été volé, mais cela est une autre histoire… En tout cas, le gouvernement fédéral et les fédéralistes québécois eurent très peur. On comprend pourquoi, ils ne veulent aujourd’hui à aucun prix un nouveau référendum.
Les deux voies
Après la défaite du 7 avril dernier, le Parti québécois a le choix entre deux voies. Il peut considérer que ce qui lui arrive est un accident de parcours, le fruit d’une mauvaise stratégie électorale et continuer de penser que de s’engager clairement à réaliser la souveraineté du Québec n’est pas payant politiquement. Il peut aussi interpréter la désaffection des jeunes à son endroit comme une sorte de justification pour repousser la souveraineté aux calendes grecques. Il cherchera alors à être la meilleure opposition possible en espérant que l’usure du pouvoir finira par avoir raison des libéraux et que la Coalition avenir Québec ne prendra pas trop d’ampleur.
Le Parti québécois peut, au contraire, retrouver sa raison d’être, son objectif. Ce ne serait pas irréaliste. Au cours de la campagne électorale, on a posé la question habituelle, du genre: si un référendum sur la souveraineté du Québec avait lieu aujourd’hui, voteriez-vous oui ou non? 41 % des répondants auraient voté oui, alors que le Parti québécois n’a obtenu que 25 % des voix le jour de l’élection... On ne repartirait donc pas à zéro. D’ailleurs, le formidable succès de Jean-Martin Aussant qui, en 2012, lance, sans ressources, un nouveau parti, Option nationale, ouvertement indépendantiste et, en un an, recrute au-delà de 6000 membres, à peu près tous des jeunes, devrait faire réfléchir.
En tout état de cause, le Parti québécois devra se transformer radicalement. Depuis 1995, le Québec a beaucoup changé; le monde aussi. Le pays à construire sera différent de celui auquel on aspirait il y a 20 ou 30 ans et le parcours pour y arriver ne sera probablement pas le même non plus. Cela va demander beaucoup d’études et de préparation, d’explications et de promotion. Il faudra faire face à des campagnes de peur, mais aussi à des débats ardus si on veut proposer un projet de société qui soit plus intéressant et plus emballant qu’un simple engagement de bien gérer les affaires publiques.
Il y en aura pour plusieurs années. Le Parti québécois, ses dirigeants et ses militants doivent prendre le temps de réfléchir. La campagne à la chefferie devrait nous donner une bonne indication quant à la voie qui sera choisie. »
Quand on arrive au pouvoir, on ne peut évidemment pas utiliser les fonds publics pour étudier et préparer l’accession à la souveraineté et élaborer le projet de société qui en découlerait, ni en faire la promotion puisqu’on n’a pas demandé un mandat à cet effet pendant la campagne électorale. La souveraineté du Québec devient alors une sorte de drapeau que l’on agite de temps à autre devant les militants de façon à les garder en appétit et dans les rangs. Bien des souverainistes ont refusé cette espèce de supercherie. Depuis quelques années, ils se sont éparpillés dans des mouvements, des associations et deux autres partis politiques.
Si le Parti québécois ne voulait pas introduire la souveraineté dans les campagnes électorales, on ne pouvait empêcher les libéraux, eux, d’en parler. C’est Jean Charest qui a trouvé la formule et mis au point la stratégie. D’abord, on diabolise dans l’opinion publique le référendum: il crée des tensions insupportables, divise les familles, empoisonne l’atmosphère et nuit à l’investissement, donc à l’emploi. Puis, on répète indéfiniment que si le Parti québécois est porté au pouvoir, il déclenchera rapidement un référendum. Le Parti québécois a mordu à l’hameçon: «Non, il n’y aura pas de référendum tant que les Québécois ne seront pas prêts.» «Peut-être dans un premier mandat, ou un deuxième, ou un troisième.» «Ce n’est pas une priorité.» En somme, il se met sur la défensive.
Le nouveau chef du Parti libéral, Philippe Couillard, a poursuivi la même stratégie pendant la dernière campagne électorale avec le succès que l’on sait. À mi-campagne, un sondage révèle qu’à la question «Si le Parti québécois est élu, croyez-vous qu’il déclenchera un référendum», les trois quarts des sympathisants libéraux répondent oui et les deux tiers des sympathisants du Parti québécois répondent non. Le monde à l’envers! On nage en pleine confusion. Pas étonnant que tant de gens ne veulent pas entendre parler de référendum ni de souveraineté!
Changement de stratégie
Il faut alors se poser la question: est-on si certain que de tourner autour du pot, cacher sa raison d’être est si efficace pour attirer l’électeur? En tout cas, l’histoire du Parti québécois qui suit sa défaite de 1985 semble prouver le contraire. Le «beau risque», c’est-à-dire une tentative de réconciliation du Québec et du Canada provoque une crise sérieuse: cinq ministres et deux députés du Parti québécois démissionnent en novembre 1984. Le successeur de René Lévesque remplace l’objectif de la souveraineté par «l’affirmation nationale». En 1988, il démissionne et je deviens chef du Parti québécois. Un changement radical s’opère, symbolisé par le slogan: «Le Parti québécois est souverainiste avant, pendant et après les élections.»
Les années qui suivent, jusqu’en 1992, donnent lieu à plusieurs tentatives de redéfinir la place du Québec dans le Canada et de réformer la constitution canadienne. Plusieurs comités, commissions d’étude ou d’enquête, à Québec et à Ottawa, explorent le renouvellement du fédéralisme et la souveraineté du Québec. En 1992, un référendum est tenu sur un projet de renouvellement de la constitution canadienne. Le projet est rejeté au Québec, dans le reste du Canada et chez les nations autochtones.
L’élection de 1994 et le référendum de 1995
Le Parti québécois se sert de toutes les études réalisées pour mieux définir ce que serait un Québec indépendant. Quand la campagne électorale est déclenchée, en 1994, on est prêt. On peut dire aux électeurs: «Si vous nous élisez, nous tiendrons un référendum dans les 8 à 10 mois après l’élection.»
Le Parti québécois prend le pouvoir avec 45% des voix et 77 sièges. Le nouveau gouvernement, avec un mandat aussi clair, est tout à fait justifié d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour réaliser son objectif. Un ministère de la Restructuration est créé pour examiner les modifications qu’apporterait l’indépendance à l’organisation politique, administrative, financière et budgétaire et à l’élaboration des politiques économiques et sociales. Des commissions formées de citoyens, sans aucun député ni ministre, sont organisées dans toutes les régions pour examiner l’avenir du Québec. Cinquante-cinq mille personnes participent aux travaux de ces commissions!
Un projet de loi, simple et clair (six pages) fut rédigé pour établir comment la souveraineté serait réalisée. Immédiatement après le référendum (si le oui l’emportait), le gouvernement du Québec offrirait au gouvernement fédéral un projet de partenariat politique et économique (élaboré conjointement par le chef du Parti québécois, le chef du Bloc québécois et le chef de l’Action démocratique du Québec). On se donnait le temps qu’il fallait pour faire aboutir les négociations. Si elles échouaient ou n’allaient nulle part, alors, au plus tard un an après le dépôt du projet de partenariat, l’Assemblée nationale avait le pouvoir de décréter l’indépendance du Québec. Le projet de loi et le projet de partenariat furent publiés sous la forme d’une petite brochure qui fut distribuée à toutes les portes du Québec.
Puis on passa à la campagne référendaire. Le taux de participation atteignit le niveau prodigieux de 94,5%. On ne se demanda pas si les jeunes avaient voté moins que les vieux ou les femmes plus que les hommes; tout le monde était allé voter! En dépit de tout le travail de préparation et de promotion et de l’apport remarquable du chef du Bloc québécois, le oui ne reçut que 49,4% d’appui. Plus tard, on eut la confirmation que le référendum avait été volé, mais cela est une autre histoire… En tout cas, le gouvernement fédéral et les fédéralistes québécois eurent très peur. On comprend pourquoi, ils ne veulent aujourd’hui à aucun prix un nouveau référendum.
Les deux voies
Après la défaite du 7 avril dernier, le Parti québécois a le choix entre deux voies. Il peut considérer que ce qui lui arrive est un accident de parcours, le fruit d’une mauvaise stratégie électorale et continuer de penser que de s’engager clairement à réaliser la souveraineté du Québec n’est pas payant politiquement. Il peut aussi interpréter la désaffection des jeunes à son endroit comme une sorte de justification pour repousser la souveraineté aux calendes grecques. Il cherchera alors à être la meilleure opposition possible en espérant que l’usure du pouvoir finira par avoir raison des libéraux et que la Coalition avenir Québec ne prendra pas trop d’ampleur.
Le Parti québécois peut, au contraire, retrouver sa raison d’être, son objectif. Ce ne serait pas irréaliste. Au cours de la campagne électorale, on a posé la question habituelle, du genre: si un référendum sur la souveraineté du Québec avait lieu aujourd’hui, voteriez-vous oui ou non? 41 % des répondants auraient voté oui, alors que le Parti québécois n’a obtenu que 25 % des voix le jour de l’élection... On ne repartirait donc pas à zéro. D’ailleurs, le formidable succès de Jean-Martin Aussant qui, en 2012, lance, sans ressources, un nouveau parti, Option nationale, ouvertement indépendantiste et, en un an, recrute au-delà de 6000 membres, à peu près tous des jeunes, devrait faire réfléchir.
En tout état de cause, le Parti québécois devra se transformer radicalement. Depuis 1995, le Québec a beaucoup changé; le monde aussi. Le pays à construire sera différent de celui auquel on aspirait il y a 20 ou 30 ans et le parcours pour y arriver ne sera probablement pas le même non plus. Cela va demander beaucoup d’études et de préparation, d’explications et de promotion. Il faudra faire face à des campagnes de peur, mais aussi à des débats ardus si on veut proposer un projet de société qui soit plus intéressant et plus emballant qu’un simple engagement de bien gérer les affaires publiques.
Il y en aura pour plusieurs années. Le Parti québécois, ses dirigeants et ses militants doivent prendre le temps de réfléchir. La campagne à la chefferie devrait nous donner une bonne indication quant à la voie qui sera choisie. »
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