20 juin 2014

L'éthique étriquée de Nathalie Normandeau


Dans une école de gars à Granby, Monsieur Rivard était notre professeur de géographie en troisième et quatrième secondaire. Dévoué, soucieux de former des citoyens informés et démocrates, il avait lancé une activité parascolaire d'information politique sur l'heure du midi, certes moins populaire que la boxe, néanmoins fréquentée avec assiduité par une dizaine d'élèves. Il s'agissait essentiellement d'une initiation aux rouages de notre système parlementaire hérité du Palais de Westminster et dont l'une des principales caractéristiques est la division des responsabilités entre le législatif et l'administration de la justice.

En rappelant ce cadre général à la commission Charbonneau pour situer ses responsabilités de ministre, certains commentateurs ont dit de Mme Normandeau qu'elle avait livré un exposé magistral et brillant, une leçon de politique. Je dirais pour ma part sans une once de méchanceté que c'était de bon aloi, mais d'un niveau « d'études secondaires ». Le hic, c'est qu'une ex-ministre et vice-première ministre chevronnée, intelligente, manifestement animée par le désir de servir le public utilise son expérience politique (inexorablement teintée par le long régime Charest que d’aucuns ont qualifié de corrompu) pour valider son fameux pouvoir discrétionnaire. Mme Normandeau a tout à fait raison d'affirmer qu'il est du devoir fondamental d'un ministre d'assumer ses décisions au regard des besoins et enjeux politiques de l'heure. Mais justifier sur le dos des fonctionnaires des décisions discrétionnaires discutables me semble être de l'ordre de la méprise et du mépris!

Les fonctionnaires, clame Mme Normandeau, font des recommandations corsetées par des procédures mur-à-mur, la sensibilité pragmatique du terrain peut leur échapper et le ou la ministre se doit, le cas échéant, de balancer le tout. Fort bien. Mais au lieu de jouer sur le tableau péjoratif de la bureaucratie, Mme Normandeau aurait pu aussi mieux que quiconque faire valoir que la couche bureaucratique est une police d'assurance de l'intérêt public faisant en sorte de conforter les pratiques au jour le jour à l'abri de l'arbitraire et la de la précipitation. Les règles sur lesquelles se basent les recommandations ne sont d'ailleurs pas instituées par les fonctionnaires : elles proviennent du législatif, du Conseil des ministres, etc. Or, comme le disait le professeur Georges A. Legault dans son cours Éthique et droit (Chaire d'éthique appliquée de l'Univ. de Sherbrooke), malgré la panoplie des procédures écrites et non écrites, tout n'est pas dit, tout ne peut pas être prescrit. Un fonctionnaire exerce le pouvoir que lui confère le ministre, il n'est pas un robot et il y aura toujours pour lui également une part de discrétion dans l'exercice de son jugement. C'est là le propre du travail des fonctionnaires qui se situe dans le droit administratif. En plus des lois, règlements, procédures, avis de conseils pratiques, etc., l'éthique, entendue ici à la suite de Guy Rocher, en complément du droit, au sens de régulation des comportements, joue un rôle vital et quotidien dans la mobilisation des fonctionnaires, des plus humbles jusqu'aux grands commis de l'État. 

Le tableau serait plus complet et plus net si Mme Normandeau en soufflant dans sa sarbacane avait considéré cette part de la réalité qui, dans le meilleur et le plus souhaitable des cas, contribue précisément à mettre en pratique l'éthique.

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