22 juin 2014

Un rêveur qui passe...


Reprise, réécriture d'un texte publié sur le Train le 31 octobre 2006.

***



« En mil neuf cent un
Être un poète est un malheur
Surtout au temps de Nelligan
À Montréal
C'était comme être juif sous les nazis
Être seul avec son oiseau dans les mains
Son trésor » - Nelligan, Félix Leclerc (1978)


Illustation Richard Gagnon. Avenue Laval.


Une grande et belle maison
picotée de rimouski
avenue Laval, à Montréal

Où est accroché le violon?

La carafe de joie? 
La religion?
La prémisse irlandaise?

Il faut bâtir garçon solide
à la force du poignet
un garçon foreman 
un garçon 


un glaçon pendu au toit
se détache en vers cassés

Fils errant de Bohème
en crise, en Jésus Christ 
dans la chambre 
du haut !

Que sont ces pierreries qui ne muent pas?
Ces fourrés de mots que personne ne comprend? 
Ces rimes gaies, ces lubies, ces catins!
Ces tristesses infinies de pendule qui meure?

Que sont ces amis bizarres 

qui traînent dans le square?

Un piano au salon 
lustré noir immensément froid 

«Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,

Ne s'entendent qu'en rêve...»

«Ah! la fatalité d'être une âme candide
En ce monde menteur, flétri, blasé, pervers...»

Sous les candélabres, 
la mère artiste
comme un ruisseau 
au printemps

pourtant!

jeune et triste!
déracinée 

Guipure trempée d'encre, 

la frissonne, 
l'oeil gris qui pleure 
devant deux portraits 
qui blessent

Marin à la dérive
Nouvelle Norvège 
givre, remembrance
ange noir déshabité
en camisoles de solitude
faisant semblant de lire 
jusqu'à quarante ans
mains de glace, 
à la bibliothèque de 
St-Jean-des-Fous

Tous les étants gisent gelés

Éteignez la lumière! Fou!

L'idiot aux cloches a trépassé.

C'était un grand poète 
taillé en art massif
un bel oiseau dévidé 

pleurez pleurez

oiseaux de février

chantez chantez 

«la Cyprine d'amour
cheveux épars, chairs nues..»

versez le vin...

soleils excessifs

« Laissez-le vivre ainsi sans lui faire de mal !

Laissez-le s'en aller; c'est un rêveur qui passe... »
- Un poète, 

Nelligan.


Photo : Amour Tremblay (1966), coll. Paul-Wyczynski.Première maison des Nelligan rue Laval, aujourd'hui le 3686, avenue Laval.
Tout près se trouve la Maison des écrivains. Nelligan est né rue de la Gauchetière le 24 décembre 1879. 

Note Bene : selon l'azur ajouré de Réjean Ducharme, il convient de prononcer Nez Lit Gant.



Nelligan, 70e anniversaire de sa mort en 2011

Cf. le beau site de Julie Anonyme
http://emilenelligan.free.fr/histoire.htm



19 commentaires:

Nina louVe a dit...

"Tous les étant gisent gelés

Éteignez la lumière. Fou!

L'idiot des cloches a trépassé."

Je suis restée là cinq minutes avant de reprendre, d'arrêter à nouveau, là. Je ne voulais pas que le poème finisse.

"avec les mots de l'autre siècle
et les brûlures pour l'amitié"

...Je ne commente pas, je relis.

(Il est de quand ?)

Jack a dit...

Merci d'être là, Nina. Tu as compris qu'il y a beaucoup d'emprunts. C'est tout chaud.

Anonyme a dit...

J'aime les images juxtaposées les unes sur les autres. La mère comme un ruisseau au printemps et le petit oiseau que tient le poète sont particulièrement réussies, à mon avis. Et puis, faudra que je sorte tous mes vieux souvenir afin de voir si je peux trouver la rue Laval là-dedans...

Christian Roy, aka Leroy a dit...

J'aime bien le «grand poète taillé en art massif» :)

Merci pour la souvenance du Nez lit Gant et du Nez qui voque.

Nina louVe a dit...

Tout feu fou flamme fort

Jack a dit...

Merci à tout un chacune! Nina, Superk. J'ai retravaillé un peu le texte qui est quasi un pastiche sans vouloir l'être. En ce sens, Joye, l'image de l'oiseau trésor est bien du cru de Félix comme l'indiquent les guillemets. Mais je prends tout rond quand même tes compliments.

Il y a du très vieillot chez Nelligan. Ste-Cécile, le petit Jésus. Il y a surtout le coeur très beau d'un enfant, même pas 20 ans, qui nous fait encore mal. Que comprenons-nous de ce garçon qui a passé du symbolisme au symbole? Dans la chambre de ma fille, le poster de Nelligan est posé côte-à-côte avec celui de Guevara. Quelle vibration perçoit-on dans cette figure? Pureté? Tristesse? Beauté? «De se savoir poète et objet du mépris,/De se savoir un coeur et de n'être compris»

Déroute personnelle ou pas, cela nous fait mal et continue à nous transformer. C'est le paysage épormyable de la poésie. Artaud et ses ptits choux insevrables. Gauvreau, bocké parano déparleur jusqu'aux os. Nelligan, le musicien trop vif que nous n'avons pas eu. Il reste les mots et notre deuil. Plus forts que les morts, les mots, disait Beckett.

Nina louVe a dit...

Et le show, ça avance ti ? Il serait beau ce texte avec la langueur d'une clarinette et un GrOs violoncelle...

Jack a dit...

J'ai déjà au moins un pianiste pas piqué des vers. Je viens aussi de te nommer, Nina, à la direction artistique. Je sens que ça va me coûter cher!

Nina louVe a dit...

Non... Cher, on va faire plein de "soul" ! On passera les bérets et les bas de laine se garniront d'ampoules 1000 watts.

Pianiste, oui !! Bravo. Un piano de poche ou à queue ? En ville ou en montagnes ce spectacle de mots dits ?

Onassis a dit...

Je viendrai voir. Une bière ou douze et vous voir vous déméner sur la scène. Je sens que ça va être grandiose.

Jack a dit...

En temps et lieu, je déballerai l'arsenal. Cependant, dans mon carquois, il y a une flèche pour Mon Réal. Mais quand donc? Quelque part au printemps. Car les oreilles coulent. Je veux dire les érables. Et je suis content à cette période. Particulièrement. Un piano à queue, combien ça coûte madame la directrice? Ne jamais oublier qu'il faut d'abord rémunérer les artistes.

Onassis, je ne fournirai pas la bière, tu en prends trop!

Anonyme a dit...

Jack, ne fais pas ton paternel :)

Nina louVe a dit...

Bon, piano à queue ou pas on trouvera les sons, euh les saouls, les sous. Printemps, oui. Belle idée. Qui est votre pianiste, vous ?

Jack a dit...

@Onassis, paternaliste ou radin?

@ Nina «Mon» pianiste : Rafik Matta. Fait du jazz sur la slide, pour s'échapper dans son plaisir, mais il est plutôt connu, très connu, dans le baroque. Comme Chef! Grand Manitou de l'Ensemble Telemann. Voudra-t-il encore m'accompagner? L'an passé, suite à la lecture d'un de mes textes, il avait embarqué avec enthousiasme. Il s'est blessé sérieusement au bras en chutant à la fin de l'hiver dernier. Entre temps, la recherche d'un lieu potable (Va-et-Vient, l'Utopik, le P'tit Medley?...)avait foiré. Mais je n'ai pas abandonné le projet de présenter un petit truc public, jazz-poésie, avec une bande de complices. Pour s'amuser. De m'avancer comme ça en en parlant m'engage davantage. Ça remijote, ça remet en scène. Aidé par des textes que je vois passés sur mon écran-radar, dont les tiens! Merci d'avoir du répondant.

Nina louVe a dit...

Du répondant! avec votre talent, ce serait du sabotage que de répondre absente. Je serai là. Avec ou sans pianiste.

Daniel French a dit...

Très bel hommage à Nélligan :-) J'adore Émile il est en fait mon arrière cousin.

Jack a dit...

Merci Daniel, arrière cousin devant l'éternel, de votre visite.

Edouard.k a dit...

Bon, moi j'ai pas toutes vos références mais, pastiche ou pas, je trouve ça bien beau et surtout ça m'emporte bien loin.

Anonyme a dit...

Merci le rimailleur.