16 août 2014

Renfant Ducharme & l'éternité

Je renvoie au très bon texte d'Antoine Léveillée dans le Voir du 13 octobre 2011. Les passages relatant la collaboration de Ducharme avec Charlebois sont rares et formidables.  Charlebois considère d'ailleurs sa rencontre avec l'auteur de HA! ha! comme étaint la plus importante de sa vie artistique. Dans une entrevue accordée à Carole Montpetit (Robert Charlebois, 50 ans sans se plaindre, Le Devoir, 15 juin 2013), on peut lire : « De Réjean Ducharme, à qui il doit les textes des chansons Mon pays, c’est pas un pays, c’est un job, Dix ans, Ch’u tanné, Robert Charlebois dit aussi que ç’a été la plus belle rencontre de sa vie artistique. « C’était mon naturel et je l’ai peut-être trop pris pour acquis, dit-il. […] On était tellement sur le même buzz », se souvient-il. Après leur première rencontre dans un bar topless, Réjean Ducharme lui a d’abord envoyé des textes écrits sur du papier-toilette, dans une enveloppe collée avec des pansements. »

Il s'adonne que j'ai toujours été très touché par la chanson Insomnie (Solidaritude, 1973) évoquée plus loin par Charlebois . Quant à la chanson Je suis né, la voici :






On célèbre Réjean Ducharme à la manifestation littéraire Québec en toutes lettres. Quatre témoins du travail de cet auteur mystérieux nous livrent un regard sur un homme dont l’oeuvre est le seul miroir.
Réjean Ducharme a peut-être 70 ans, mais il ne vieillit pas. Il semble défier le temps, ne prend pas une ride, et son anonymat nourrit cette perception. Selon Rolf Puls, responsable des éditions Gallimard au Québec, tout ça importe peu. "Vous savez, l’écrivain Jean Rolland disait de ce rapport avec le public et la publicité: "Par bonheur, je suis quelqu’un de banal et je ne suis pas admiré. Si j’étais génial, eh bien je n’admirerais personne." Autrement dit, il est important de se laisser éblouir sans y être nécessairement forcé. Avec Ducharme, c’est à l’oeuvre qu’est destinée cette admiration. Il y a des auteurs qui sont tellement connus publiquement que leur travail devient secondaire. Ce qui est bien, c’est que les gens respectent Réjean Ducharme et embrassent son oeuvre. Ils acceptent qui il est, c’est-à-dire quelqu’un qui ne se montre pas. Le succès de L’avalée des avalés est un exemple de ce respect et de cette admiration. Et ça dure depuis des décennies."
Ce qui nous marque lorsqu’on entre en contact avec l’oeuvre de Réjean Ducharme, c’est le thème de l’enfance. L’enfance est partout dans le travail de l’écrivain, elle devient une matière brute avec laquelle ses personnages, adultes, sont façonnés et exposés. Ils jugent le monde avec un regard honnête et parfois cruel au point de s’abandonner à la révolte, à l’amour ou même au désespoir.
Tout ceux qui ont travaillé directement ou indirectement avec l’auteur de L’avalée des avalés, de L’hiver de force et des Enfantômes ont été marqués par cette obsession qui se répète constamment dans sa littérature, ses scénarios de films (Les bons débarras et Les beaux souvenirs) et son théâtre. La directrice artistique du TNM, Lorraine Pintal, supervise justement une nouvelle production de Ha ha!…, une pièce fétiche de Ducharme. "Il sacralise l’enfance car, dans la bouche de l’enfant, on peut tout entendre, indique-t-elle. L’enfant peut tout dire, être méchant, généreux, candide, cruel, amoureux. J’ai l’impression que cette enfance l’a marqué au point qu’il a décidé de ne pas être un adulte, même chose pour ses personnages. C’est une résistance et une forme de contestation."
Toujours criant de vérité, le travail de Ducharme est encore très actuel et d’une modernité implacable. Il inspire aussi une nouvelle génération d’auteurs qui semblent faire leur chemin dans les pas de cet artiste invisible qui a marqué la Révolution tranquille au Québec en 1966. "C’est difficile de faire abstraction de cette invisibilité", nous avoue l’écrivain Hervé Bouchard, aussi enseignant en littérature. "Son fantôme plane au-dessus d’une oeuvre très importante. L’enfance, ce thème a frappé tout le monde dès la sortie de son premier roman. On y entend des voix, celles d’enfants, presque désespérées, au discours très dur. Mes personnages sont eux aussi liés à l’enfance dans mon premier livre [Parents et amis sont invités à y assister]. Mais l’enfance en littérature, c’est aussi Romain Gary et c’est presque cliché. Sauf qu’avec Ducharme, le tempérament de son oeuvre pourrait être comparé à une forme d’autisme. Le livre devient un monde clos que les autres peuvent observer de l’extérieur. Avec Ducharme, ça vous absorbe, c’est puissant et d’une grande franchise."
En chair et en os
Même Robert Charlebois, avec qui Réjean Ducharme a travaillé pendant plus de 20 ans en étroite collaboration, a goûté à la médecine ducharmienne. Sur l’album Heureux en amour? en 1981, la chanson Je suis né ne laisse planer aucun doute sur le modus operandi de l’auteur. "La chanson Je suis né, c’est un bijou, souligne-t-il. Il me fait parler de la soeur qui m’enseignait le piano en quatrième année. Il y a des phrases comme: "On renaît chaque fois plus petit, plus petit." Ou encore: "J’ai eu des yeux, des mains, un corps surgi du tien." Ce sont des images magnifiques et il n’y a que lui pour écrire cela."
C’est par la poste que Charlebois a connu l’écrivain à la fin des années 60. Par une simple enveloppe, avec un plasteur collé dessus. "Tout y était mélangé et le texte est devenu la chanson Ch’u tanné [sur l'album Un gars ben ordinaire]." Après avoir travaillé par correspondance pendant quelques années, Garou trouvera dans l’écriture de l’album Solide à la fin des années 70 une expérience unique. "Là, on était ensemble pour de vrai. Face à face, comme des ouvriers à l’usine. Réjean me relançait et je me confiais à lui. On y passait la journée et la semaine. Ses commentaires étaient assez directs. Il pouvait me dire qu’entre ce refrain et ce couplet, il avait le goût de marcher autour du motel pour aller fumer une cigarette. Ça voulait dire que ça l’emmerdait! On riait beaucoup, Réjean a un esprit très aiguisé, on pouvait parler de tout. On faisait nos journées comme ça et, rendu à cinq heures, on allait prendre une bière aux danseuses!"
Robert Charlebois avoue qu’il aimerait bien retrouver dans sa boîte aux lettres un "petit paquet" de l’auteur de Mon pays ce n’est pas un pays, c’est une job. "J’y rêve encore! C’est toujours délicat de parler de Réjean. La dernière fois que je l’ai croisé, il y a quelques années sur la rue, il m’a seulement dit: "Je ne communique plus avec personne." Ça m’a tiré les larmes… Alors, comment fait-on pour parler de lui? Moi, eh bien, je chante Insomnie à la toute fin de mon spectacle. Et les gens, émus, viennent me voir après en me demandant: "C’est quoi cette chanson-là?" Je leur réponds: "C’est Ducharme." Et on en parle!"
ooo
Ducharme, vulgaire?
Le joual n’a jamais été une marque de commerce de Réjean Ducharme. L’auteur semblait plus enclin à jouer avec la syntaxe et les néologismes dans ses romans, tout en inventant certains mots ou expressions. Pourtant, avec Charlebois, l’auteur semble s’être laissé porter par une forme stylistique plus populaire. "Ce n’est pas du joual comme Tremblay, mais c’est un maître absolu en ce qui concerne les patois, par exemple. Cet auteur connaît la langue française comme personne. Il n’y a pas de facilité dans l’oeuvre de Réjean, et il ne s’est jamais rabaissé à la simple vulgarité pour flatter bassement la populace. Il y a un seul sacre dans son répertoire de chansons et c’est "ostie" dans Fais-toi z’en pas. Même dans la chanson terrifiante J’t'haïs, qui est une succession d’insultes, il n’y en a pas. Réjean n’est pas vulgaire, c’est un érudit."

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