16 octobre 2014

Mommy en France : multi lingua !


La langue de Mommy entendue en France bien autrement que notre donneur de leçons Christian Rioux.

«Mommy – questions de langue/s
Dans l’écheveau de thèmes que brasse superbement Mommy, le thème de la langue n’est peut-être pas le moins important.
Langue ? Je devrais dire « parlers », « parlures », car si à l’évidence une langue, en l’occurrence le français du Québec, existe (et lutte pour la vie) en reconnaissance administrative, en langue de l’enseignement et des médias, en vecteur de communication administrative, et en vie quotidienne ordinaire, ce français se soutient d’un standard de prononciation (ah, le « modèle » du Bien Parler français, relayé par la télé et Michel Drucker…), standard que la variété des accents régionaux ne met pas à bas. D’ailleurs, quelque surprenant parfois que puisse être l’accent québécois pour un français formaté au standard normatif dominant (et donc a priori dédaigneux, quand ce n’est pas méprisant, envers tous les accents qui ne sont pas standard, nous en avons su quelque chose dans le Midi), ce français du Québec n’en sera pas moins tout à fait compréhensible pour notre Français « comme il faut ».
Il en va autrement dans Mommy, où la plupart des propos de ce huis-clos déchirant sont en parler populaire de Montréal, sous-titrés en français. J’ai fait l’expérience en regardant sur le Net des extraits non sous-titrés du film : il faut s’accrocher et la plupart du temps on est noyé. Quand je dis « on », je veux dire moi, locuteur méridional du français de France. Je pense que sans sous-titrage, une bonne partie de l’oralité du film « nous » aurait échappé.
En général, le grand public français n’aime pas les sous-titres et leur préfère le doublage. En défenseur de la VO*, je ne peux que me féliciter que les distributeurs français du film aient préféré le sous-titrage au doublage. Je ne sais ce qu’il en a été au Québec, et si la classe moyenne moyennement cultivée ne s’est pas émue de cette nouvelle irruption d’un français populaire urbain. Le débat est ancien en tout cas à ce sujet dans « la Belle Province »…
En choisissant de nous faire entendre le parler qui fut celui des voisins de son enfance, Xavier Dolan s’en tient-il à un banal « vérisme » ? – « Je vous montre deux personnages vivant dans un milieu populaire, et je vous restitue donc leur parole, qui n’est pas celle de l’institutrice Kyla ou du voisin un peu beauf, ni celle du chauffeur de taxi haïtien ou africain, et encore moins celle de la famille de Kyla et celle des administratifs empreints de supériorité linguistique… ». S’en tenir à cela serait à la fois juste et un peu court. Dolan veut-il alors, au-delà du constat, s’emparer de cette « parlure » en signal identitaire quelque peu clos (au risque de rejeter vers l’anglais les néo-Québécois) ? : « Voilà ce qui est à nous, et seulement à nous ; voilà ce que tous les formatages diglossiques ne peuvent effacer… ». Sans doute un peu, mais je ne crois pas qu’il faille chercher là manifeste linguistique et prosélytisme. Par contre, il me semble incontestable que le rythme, le « naturel », l’énergie, la crudité, la violence de cette parole populaire conviennent plus que parfaitement pour exprimer la vérité de cette mère et ce fils en symbiose hystérique. Et c’est peut-être là l’essentiel…
* J'ouvre une porte déjà ouverte et j'en profite pour poser une question qui me tient à cœur : quid du doublage de la trilogie de Pagnol ? Les spectateurs australiens ou anglais se contrefichent sans doute de l'accent de César et de Panisse, et ne se mortifient pas de la voir effacé par le doublage anglais. Pas plus que le lecteur ignorant l'anglais (si si, il y en a encore) ne se plaint de lire Shakespeare en traduction française... Est-ce que le film doublé, est-ce que le texte traduit y perdent? »
16-10-2014

Aucun commentaire: