Redire pour soi « Fuck toute » est loin d'être futile pour saisir et partager même superficiellement les formes de vie qui s'esquissent au-delà de la colère de la jeunesse québécoise qui conteste l'austérité, la marchandisation de l'éducation, l'économisme mur à mur. Mais il ne suffit sans doute pas de prêter une oreille amicale loin du terrain où s'est engagé, hélas tout fin seul ou presque, le mouvement étudiant en ce Printemps 2015.
Hier, j'ai parcouru quelques textes de combats éloquents, surprenants, virulents, mais non sans maladresse, certains entichés de « l'étant », parus sur la page FB du Collectif de Débrayage.
Puis, comme Le Devoir dans sa version électronique est livré autour de minuit, il s'est ainsi adonné que je lise à la suite de ces textes le billet du lundi toujours vif de Jean-François Nadeau.
Le passage suivant m'a particulièrement frappé :
« La violence n’est pas un passage obligé [...] Mais pour que la jeunesse de toutes les époques puisse croire à l’idée qu’une révolution pacifique est possible, encore faudrait-il qu’elle puisse raisonnablement se sentir maître de son destin. Cela tient pour beaucoup à des conditions dont la jeunesse ne décide pas. Une étude de l’Université de la Colombie-Britannique publiée le 14 avril montre que ce sont principalement les jeunes qui, au cours des quatre dernières décennies, ont vu leur endettement s’alourdir, leurs revenus baisser et leurs perspectives générales s’assombrir. Et après, comme l’écrivait Sébastien Jean [cf. son entrée du 9 avril « Fuck-toute »] dans une lettre aux lecteurs du Devoir, on se demande, en jouant les vierges offensées, pourquoi une partie de cette jeunesse finit par avoir le goût de tout casser. »
Ce texte m'a semblé être la suite du billet du 7 avril intitulé La grenouille où Nadeau, un brin moralisateur, critiquait la stratégie et le nihilisme des étudiants. Sauf que les flèches semblent cette fois-ci être décochées en direction de l'administration de l'UQAM, nommément Lise Bissonnette, ancienne Directrice du Devoir, qui en préside le CA.
Or voici ce que Nadeau écrivait (je cite les derniers paragraphes) à l'endroit des étudiants :
« Nous voici devant des calicots éloquents placés en tête des cortèges des protestataires : " Fuck toute " et “Mangez toute de la marde”. L’ennemi du mouvement étudiant serait donc la totalité? Celle qui, sociale, récuse toute division? Celle qui, économique, refuse toute gratuité? Celle qui, symbolique, interdit toute magie à l’existence? Le monde visible serait une création d’un esprit foncièrement malin, une grande prison que nous partageons mais que seuls les initiés de pareils cortèges connaissent dans sa vérité? À l’austérité autoproclamée et son arrogance, il faut savoir opposer la vigueur d’une pensée qui tient à tout autre chose qu’un tel nihilisme facile qui n’arrange rien. La mise en échec des revendications du printemps 2012 réclame une prise de conscience en faveur d’un engagement social accru pas seulement du côté de la rue. Le néant vers lequel s’oriente une partie de la protestation actuelle résulte paradoxalement de ce que les étudiants dénoncent parfaitement à raison : un manque d’éducation digne de ce nom. »
Par ailleurs, aujourd'hui Le Devoir publie un texte d'analyse du Professeur de sociologie à l'UQAM, M. Joseph Yvan Thériault intitulé Quand « l'action directe » aide la droite. Ce spécialiste des tensions sociales — si l'on se fie à sa page personnelle — réfléchi sur l'embardée du mouvement actuel qui visait par contagion une vaste mobilisation populaire vers la grève sociale. Cela n'est pas advenu, et il y a lieu de craindre, poursuit Thériault, des conséquences négatives sur la gauche québécoise tout entière.
Mais une réflexion, et surtout une mobilisation « Au-delà du Primtemps 2015 », comme le titre dans son blogue Jonathan Durand Folco, ne saurait se limiter à l'analyse de l'influence anarchosyndicale du mouvement étudiant québécois. J'aime beaucoup l'analyse critique de Folco qui va plus loin que le professeur Thériault, et qui, en fait, est beaucoup plus tranchante, sans être moraliste, à l'égard de l'immédiateté de la révolte pourtant nécessaire.
L'objectif politique majeur de l'après Printemps 2015 devra effectivement réclamer un réinvestissement massif dans le système d'éducation, ce qui suppose une mobilisation populaire effective de tous les acteurs, une coconstruction des significations de l'intérêt général. La position éthico-politique défendue par « l'esprit de l'ours » de Folco comporte plusieurs suggestions pratiques pour mobiliser les ressources et cadrer les enjeux. C'est inspirant, concret, majeur, pas facile du tout!
À la veille du premier mai où plusieurs débrayages sont prévus, c'est à suivre.
Mais pendant ce temps-là, le gouvernement libéral judiciarise les « débordements » éudiants et passe ses lois d'équilibre budgétaire fourre-tout en imposant le bâillon dans le plus grand mépris de la tradition parlemenaire et de la liberté d'expression.
Ce n'est surtout pas le temps de bâiller aux corneilles!
***
En complément :
« C’est [...] bien commode d’avoir des étudiants cagoulés par les temps qui courent ; ils sont les parfaits boucs émissaires pour ce qui est d’épingler les entorses démocratiques sur le dos de gens qui nous dérangent. De la même façon que la hantise des femmes voilées — du temps de la charte, mais encore aujourd’hui — nous empêche d’évaluer la véritable égalité hommes-femmes, nous conforte constamment dans nos choix, les dérapages étudiants à l’UQAM nous confortent dans l’idée que c’est eux le problème. L’écran de fumée créé par les radicaux nous empêche de nous regarder dans le miroir pour ce qui est de la transparence et l’imputabilité des élus.
Quand on en arrive à justifier le recours aux policiers à l’intérieur des murs d’une université comme un geste somme toute normal, sans atteinte à l’idéal universitaire ni répercussions sur la « libre circulation des idées », on ne peut qu’en conclure que la démocratie a vu de meilleurs jours. L’université aussi. »
Quand on en arrive à justifier le recours aux policiers à l’intérieur des murs d’une université comme un geste somme toute normal, sans atteinte à l’idéal universitaire ni répercussions sur la « libre circulation des idées », on ne peut qu’en conclure que la démocratie a vu de meilleurs jours. L’université aussi. »
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