L’autre jour, après dîner, je suis sorti par l’horizon, je me suis claqué une de ces siestes sans connaissance dans la vieille chaise en osier, au bord du jardin à peine ressuscité, quasiment au ras des pissenlits, en cette première miellée de printemps comme disait le grand Flore Victorin. C’est ma tête renversée, incommodée, les ronflements de petits cochons qui me venaient et le fort bourdonnement des abeilles autour qui m’ont ramené au plein soleil. Ronfler au soleil! Je me suis dit : Baptême! J’m’en viens comme les vieux! J’ai pensé, j’ai revu tout de go le vieux Tannis qui demeurait avec sa fille, Mademoiselle Ernestine, dans une jolie petite maison rouge brique au cœur du village. Je raconte.
Hormis les dimanches, il était rare que mon père que j’accompagnais se rende au village par un jour de semaine. Je crois qu’il avait affaire au garage pour son Plymouth bleu ciel 1952. À l’époque, il y avait deux garages : Blanchette et Bombardier. Avant, avant cela, il y avait deux églises si l‘on veut bien considérer la petite mitaine baptiste devant le cimetière entre notre ferme et celle du père Émery. Avant, il y avait une école. Avant, avant, avant, il y avait plusieurs écoles de rang, une école anglaise... Il n’y a plus ni garage, ni église, ni école. Pourtant, le village a cent ans! Mais revenons au père Tannis. Pour vous donner une idée, le père Stanislas Blanchard, en tout cas dans mon souvenir, ressemblait à Michel Simon. Bien ventru, rieur, arborant de larges bretelles à fleurs, un béret sur le bord de la tête, en cet après-midi lointain, j’ai vu de mes yeux vus le père Tannis sur le parterre devant sa maison, adossé, il me semble, contre un arbre, le menton sur la poitrine en train de dormir comme un loir, pour dire comme Georges Brassens, ou comme une bûche, si vous préférez, vu que je ne sais trop ce que ça mange en hiver un loir!
Je crois que l'enfant que j'étais s'est trouvé surpris, voire un peu inquiet devant cette majesté impromptue.
Verrions-nous seulement encore ici de nos jours dans un village de l'arrière-pays un vieillard abandonné sur l'herbe et qui dort paisiblement à l’ombre d'un arbre?
*
En écarquillant graduellement les yeux au sortir de mon engourdissement de jardinier d’occasion, j’ai aperçu un merle qui plastronnait à quelques pieds devant moi. Il me fixait. Puis il a fait trois petits sauts vifs en ligne droite, s’est arrêté net, a dégainé trois autres pas rapides, puis à nouveau le guet dans l'autre direction en feignant de ne plus m'observer... Il a dû croire un instant que j’étais un arbuste planté dans le décor ou rien de méchant, qu’il pouvait repérer à sa guise les lombrics qui fourmillent ici sous le chiendent.
J’ai repris doucement mes esprits. Tout s'est envolé. Mais pas mon fidèle cahier de jardinage posé sur le sol à mes pieds. Il a plusieurs saisons dans le corps, abîmé, sablé, noirci, ça va avec le gars. On trouve dedans un signet des Prix du Québec de 1987 pour marquer l’humble avancée de ma lecture du monde de la culture, et j'ai transcrit à la première page, mais j’ai hélas omis le nom de l’auteur, ceci que j’aime bien :
« Les jardiniers sont des passeurs de vie. »
Photo Jacques Desmarais, Béthanie, 14 mai 2015. |
6 commentaires:
‘Au bord de la Rivière’
‘Vers de terre‘
petites nouvelles
étonnantes voyageuses
loin du Quant-à-Soi
Source aux résurgences
Trajectoires brutes
Pleine d’Essen Ciel
aux sons de gigues jouées
en Terrebonne.
Anneaux Nîmes
ah ! le merle...
voici on complément à ton texte jacques :
http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2015/05/23/32101910.html
jean paul damaggio
Grannd merci Anneaux Nîmes que j'ai moi-même titrée, sinon baptisée!
Cher Jean-Paul devenu «raciste à l'envers» à cause du merle... Merci!
http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2015/05/23/32101910.html
Vous pour qui l'écriture
est de l'ordre du 'moi peau'
mais pas que peut être aussi devoir
pas de temps à perdre
urgence d'éclabousser
friches et déserts
Anneaux Nîmes
« moi peau », sur vie?
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