10 septembre 2006

Détour par le Mexique









Lila Downs.

Sur Libre Salmigondis, mon ancien blogue, j'ai souventes fois eu le plaisir de recevoir et publier des textes de Jean-Paul Damaggio. L'occasion se présente à nouveau ici puisque j'ai reçu ce matin un texte qui nous amène du côté du Mexique où ça brasse en ce moment.

Bonjour,

Cette fois l'actualité c'est le Mexique mais ça pourrait être la Bolivie (événements graves), le Brésil (la gauche de Lula passera-t-elle les 10%) ou le Venezuela où Chavez annonce à l'avance qu'il va proposer aux électeurs de changer sa chère constitution pour pouvoir être candidat plus de deux fois.

Mexique : La révolution métissée

Si j’étais Alexandre Adler je vous expliquerais que toute l’histoire actuelle du Mexique se réduit à l’opposition entre la civilisation venue du nord (les USA, la droite, Felipe Calderon) face à l’archaïsme venu du Sud (les paysans, les indiens, Lopez Obrador). Ayant vu à l’œuvre notre grand savant, quand il se voulait conseiller du prince George Marchais, j’ai compris comment éviter la réduction du monde à de tels schémas, aussi, dès que j’apprends le passage à Paris de Lila Downs, je lui envoie une place pour qu’il aille au concert.

Dans ce nom, Lila Downs, vous découvrez sans mal le Sud et le Nord mais vous n’imaginez pas la puissante originalité de ce métissage, une originalité à la gloire de « l’archaïsme », autant le dire de suite. Lila Downs, de mère indienne mistèque et de père nord-américain, parle aussi bien l’anglais que la langue natale d’Oaxaca. Elle chante en mêlant toutes les musiques et son succès est international (du moins à suivre les concerts à Genève, Londres, Madrid etc.). Elle sait mettre des bottes nord-américaines avec des habits traditionnels de son village. Elle mêle sans mal les mariachis et le hip hop.

Son succès est tout autant local qu’international et j’ai eu le plaisir de la croiser à Cuernavaca en novembre 1985 pour 300 pesos seulement. Dans le Zocalo de cette petite ville charmante (rien à voir avec la vie folle dans la capitale si proche), nous étions 7000 à reprendre les chansons de son dernier disque Una sangre, chansons chargées de tous les rythmes latinos, et porteuses de la joie des chansons de l’isthme de Tehuantepec. Un frisson traversa mon corps aux premières notes de Dignamente, une chanson en l’honneur de l’avocate Digna Ochoa sauvagement assassinée, et défendue en permanence par le sous-commandant Marcos. Naturellement, Lila Downs vient de manifester son soutien aux révoltés d’Oaxaca et son indignation devant la manipulation électorale.

Felipe Calderon est président comme l’est Bush aux USA ou Oscar Arias au Costa Rica, trois scrutins aux résultats très serrés où les conservateurs révélèrent leur faible respect de la démocratie électorale. L’histoire du Mexique ne s’arrête pas là. Nous savons qu’après le trucage électoral la répression va s’amplifier mais les conditions de la révolte restent identiques : le fossé s’agrandit entre la majorité à qui on vole les richesses, et la minorité qui pense pouvoir s’en servir sans comptes à rendre.

A Oaxaca la révolte conduite par l’APPO (Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca) s’ajoute à tant d’autres révoltes exemplaires. Pour éviter les amalgames inutiles, précisons que l’APPO avait reçu la caravane du sous-commandant Marcos, sans adhérer au mouvement mis en place sous le nom de « l’autre campagne ». Mais les tenants du pouvoir ne font pas dans la nuance : tout est fait pour détruire l’image du leader Enrique Rueda Pacheco, tout est fait pour susciter la division, l’usure, et cependant, après plusieurs mois d’actions ininterrompues pour demander la démission du gouverneur, l’organisation reste solide, démocratique et inventive. Une auto-organisation massive à travers tout l’Etat permet à la fois d’éviter l’isolement de la lutte armée, et le risque d’échec. Dès à présent, un « Etat » parallèle s’est mis en place pour se substituer à l’Etat ordinaire. Phénomène rendu possible par l’historique insertion des enseignants dans les communautés rurales à partir d’Ecoles normales rurales que le pouvoir tente d’éliminer (lire le roman de Carlos Montemayor : Guerre au paradis). Ces instits avaient perdu un peu le contact avec le peuple depuis quelques temps à cause d’un découragement devant le travail à accomplir, mais cette énergique lutte a retissé les liens solidaires. Après des manifestations de près de cent mille personnes, le système n’a pas cédé tentant en permanence de réduire le mouvement à quelques agités. Or, le peuple tout entier apprend en de telles circonstances les ressorts du pouvoir qu’il tient entre ses mains (blocages les plus divers de la vie du pays par des barricades, des occupations, des réunions) et la nature des armes de l’ennemi, la télévision étant encore plus féroce que les fusils.

Ce combat héroïque des peuples du Sud (deux morts tués par des paramilitaires) a une autre dimension quand on regarde celui de Mexico où plus de deux millions de personnes manifestèrent pour défendre l’élection de Lopez Obrador (création de la convocation nationale démocratique (infos sur http://www.cnd.org.mx). Là aussi, une organisation se met en place, une organisation démocratique qui risque de développer une révolution que Lopez Obrador n’avait pas prévue. Dans ce contexte de radicalisation, les forces démocratiques du Mexique risquent d’être contraintes à inventer un nouveau rapport au pouvoir. Pour le PRD, le parti de Lopez Obrador, il y avait la voie électorale classique, et de l’autre côté, pour les Zapatistes, il fallait se tenir loin d’un pouvoir sur lequel on n’avait pas les moyens de peser. Une convergence peut-elle surgir ? Le métissage pourrait-il être aussi une forme de la révolution ?
(...)

Pour mémoire, la sinistre ville mexicaine aux centaines de femmes disparues, elle est au Nord ou au Sud, cher Alexandre ? Ciudad Juarez symbolise le Nord et l’avenir inhumain qu’il prépare à tous les Mexicains (mais un Nord qui n’est pas géographique pas plus que la révolution serait au Sud). Sauf que la Woody Guthrie mistèque et tous ses amis n’ont pas dit leur dernier mot …

Jean-Paul Damaggio, 11 septembre 2006

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