Il se trouve beaucoup de visiteurs sur Train de nuit qui viennent consulter les textes en archives consacrés au Slam. Et puis, j'ai toujours en réserve un texte théorique bien fait que m'a envoyé fin novembre Yvy, l'âme du slam à Montréal. Je le publie donc enfin et je signale que suite aux réchauffements de l'automne, la ligue de slam poésie Québec cassera la glace, oui, à la mi-janvier!!!
Le 15 janvier, au fait :
SOIRÉE DE SLAM POÉSIE DU GROUPE SLAMONTRÉAL DANS LE CADRE DE LA LiSPoQ
Au Patro Vys,356 Mont-RoyalEst 20h30. Entrée 5 $
«Début officiel des soirées dans le cadre de la ligue de slam poésie du Québec.
Soirée « classique » avec jury du public, pointage et mélange de performeurs : poètes, slameurs, rappeurs. Chaque participant a 3 min max sans accessoire. Le/la gagnant(e) s'assure une place dans les semi-finales.», peut-on lire sur le site de Yvy.
Et maintenant, le texte.
Slameurs et poètes
Par Ivy
©19/11/2006
Il y a les soirées de SLAM qui sont en fait une forme de soirée et dans laquelle poètes, performeurs et slameurs se confondent dans une conviviale compétition.
Mais il y a aussi la SLAM[1] faite par des slameurs dont l’intérêt dans le texte est de GLISSER. Leurs textes sont destinés à être entendus[2].
Lu, le glissement se perd par la rapidité de la lecture ; c’est que le sens oral, si fondamental à l’effet du glissement, en a été éradiqué - je signale en passant que la seconde composante essentielle d’un acte d’oralité est le public qui amplifie l’effet du glissement. Communiqué par l’oralité, le glissement, qu’il soit bien fait ou non, suscite qq chose (certains poètes en éprouvent une rage réelle. Je l’ai vu de mes yeux vu !). Chez les non-praticiens du poème, c’est plutôt le contraire. Quand un slameur glisse, une sorte d’onde se propage[3] Les jeux de mots se développent et débordent le cadre de la littérature écrite. Ça devient une performance, un exploit sportif, ça suscite l’étonnement et la joie communicatrice. C’est un RAVE de mots : le fait de prendre conscience du glissement du sens et de se laisser glisser avec le performeur suscite un enthousiasme fou. À ce sujet, il est révélateur de souligner que pour Paul Valéry, « l’enthousiasme n’est pas un état d’écrivain ». Et il a raison. L’enthousiasme est l’état de la poésie[4] (et non du poème qui appartient à la littérature écrite), et donc à la portée de tous. Tous ceux qui ressentent ce que glisser veut dire – le banal[5] glissement de sens comme dans les jeux de mots – se sentent tout à coup solidaires du slameur. On glisse d’une réalité à l’autre. Métalepse Genettienne, transgression de la convention littéraire de la narration, l’audible (qui désacralise le silence) trompe l’indicible (propre au sacré) différé de la lecture et de l’écriture. Le glissement oral actualise le réel en passant d’une porte (sémantique) à l’autre. Un RAVE.
Autre métaphore explicative : le slameur lance des cailloux à la surface de l’eau pour les faire rebondir. Dans mon texte sur les notes de la gamme[6], j’arrive à faire 3 rebonds : « Facile de croire qu’on est SOLidaires quand on est LA SI Docile ». À chaque fois, la foule réagit. Quand j’écris un poème[7], le rebond n’est pas mon objectif : c’est le caillou qui m’intéresse. Et souvent le poète, au lieu de passer le caillou, le contemple, le frotte sur ses lèvres ou ailleurs[8] et finalement fait quoi de la pierre ? Chaque poète répondra différemment à ce sujet.
L’idée à retenir c’est que l’acte du poète est différent et son but aussi, mais que chacun contribue à l’augmentation de l’ÉTAT POÉTIQUE PARTAGÉ PAR TOUS – cette liberté totale de débusquer le sens. La différence s’établit aussi dans l’intention : slamer la poésie, c’est un acte quasiment collectif. C’est un happening et il appartient à l’oralité. Lu, l’effet qu’il produit est amoindri – demander ce que les poètes pensent des textes de Grand Corps Malade. C’est un acte social et engageant.
La poésie écrite, mais même verbalisée, oralisée, parle avant tout du JE. C’est un acte solitaire (souvent trahi par les maladresses des praticiens du poème à l’interpréter). Les poètes des 25 dernières années ont travaillé au recul de la poésie en favorisant son cloisonnement (même si de pieuses manifestations de lecture de poésie font croire le contraire). Je ne dis pas que les poètes sont des parias : je dis que le courant qui a prévalu chez les fabricants, éditeurs et autres spécialistes du poème (et qui perdra fatalement du terrain devant la revanche annoncée de l’oralité poétique[9]), s’il n’est pas le seul coupable du recul de la poésie « à la table des enjeux de l’heure[10] », a contribué à retirer sa libre activité et son influence dans la société en général. Les soirées de poésie attirent difficilement le grand public alors que c’est justement lui qui a besoin de se faire rappeler qu’il possède la merveilleuse faculté de débusquer le sens. Et d’en faire. Et d’opposer à ceux qui décident et qui nomment à sa place, sa propre configuration du monde. Un vrai partage du sens.
Ce qui m’intéresse, c’est la poésie au cœur du monde. Ce sont les vœux de Lautréamont et de Rimbaud, celui de tant de poètes dont Whitman et combien d’autre que la poésie prenne sa place comme élément moteur.
«Si Platon, qui était encore conscient du pouvoir originel de la poésie et se rendait compte du danger que représentait pour la structure de la république le libre jeu de son énergie, adoptait la solution franche de tout simplement bannir les poètes de la cité, les sociétés modernes ont inventé des méthodes beaucoup plus subtiles et tout compte fait plus efficaces. Elles ont […] intégrer le poète à la société au titre de « cas spécial », et la poésie à l'idéologie de cette société. La façon dont, à quelques exceptions près, la poésie est « enseignée » dans les écoles, la façon dont elle est ensevelie dans les universités, la manière enfin dont elle est caricaturée partout attestent suffisamment le succès de cette annihilation bienveillante. Si vous ajoutez à l'escamotage quasi systématique de la poésie le fait que vivre poétiquement, ce qui ne veut pas dire en « artiste bohème », est dans l'état actuel des choses extrêmement difficile, et que peu sont tentés par de telles difficultés, personne ne s'étonnera de constater que la poésie n'est pas un élément moteur de notre monde et qu'elle est socialement, culturellement inopérante.
Et pourtant élément moteur et force essentielle, voilà bien ce qu'est la poésie.»
La figure du dehors, Grasset, p. 46-47.
[1] En France, on dit le SLAM. Comme québécois qui féminise souvent les termes anglais (une job vs un job), la SLAM est féminin (et je trouve ça bien que connote LA poésie (féminin) plutôt que le poème (masculin). La dichotomie que je propose est fondamentale.
[2] Ferré (encore lui, eh oui) : « Toute poésie (il a dit poésie et non poème… d’où sa méprise) destinée à n’e^tre que lue n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu’avec les cordes vocales tout comme le violon prend le sien dans l’archet qui le touche. »
[3] Dans un cabinet de médecin, le patient le traite d’espèce d’Hippocrate (Frédérique Marleau).
[4] La poésie, c’est la liberté totale de l’individu de faire sens. C’est un état d’être qui appréhende la réalité dans son ensemble, ici et maintenant. C’est typiquement humain. C’est l’étonnement, la surprise, le glissement du sens qui révèle un pan de réel rester cacher.
[5] Banal veut dire qui appartient à la communauté.
[6] Intitulé « Réchauffement »
[7] J’ai publié un recueil de poèmes (où, j’espère, il y a un peu de poésie…) dans la plus pure veine de la poésie québécoise en 2004 intitulé « Les corps carillonnent » (Noroît, c’est pas peu dire).
[8] Je vous laisse imaginer où.
[9] Et dont le SLAM est un aspect des plus rassembleurs.
[10] Extrait d’une conférence prononcé il y a 10 ans à l’Université Laval, organisée par le CEULA.
4 commentaires:
Aimes-tu "grand corps malade", phénomène en France du Slam ? (d'accord, de la slam, si tu veux :))
J'ai vu le nom, leurs pochettes sur la Gogoune, mais je ne les connais pas. As-tu des morceaux de leur slam en mp3?
Des petits slamamis?
j'en ai...ce n'est qu'une personne..il est grand..et il a eu un accident..donc, il a une canne et est "faible" physiquement..
c'est étrange tout ça, des gens vivant...
je suis tombé une fois sur une scène,
un concours de guitare (je n'en joue pas)...
pour envoyer chier tout le monde
en me prennant pour ella fitzgerald chantant gershwin... Ah, l'ivresse !
oh la la,
je veux assister à ça, une soirée slam !
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