30 juin 2007

Carnets pelés 11 - Meuh! disent les vaches


Perros n’est pas un hérosse à long bec sec
avec des cannes de bègre grelottantes
qui pelotent une plage noire de la Bretagne
Perros ne fait pas dans la dentition
de petits pas de calmant de sabots de bois
c’est plutôt un rire franc de calvados
sous un tonneau qui sue
à boire, à boire mes Dames,
à petit goulot dézippé sur le bord de l’amer
« La mer est toujours à boire
Le ciel à prendre d'assaut.
Mais si vous voulez m'en croire
Restons-en là. »
Perros, l'effarouché d'éclisses qui flacottent
avec ses petits pleurs bâtards de grogne
de chien des champs essoré, le soir
sur une bécane à gaz de patente à gosses...

M’aimes-tu mon amour?

Tu vois, je m’enfarge encore
dans la craque du trottoir
Perros, alambic, flaque de bagosse,
appellation non contrôlée
piqueries de haut de femme dans l’atelier du hasard
« Mais y a pas le feu! »
à boire, à boire Marquise fantôme,
tout seul dans son char quand on descend Pie IX, le soir,
et qu’on devient aveugle ou borgne,
laid ou débordé
à cause du métier
Perros, correcteur sévère
empilé chez Gallimard
banderole trouée de muet,
tête d'hameçon de papiers collés,
un bras copié dans la gorge,
la ligne en marge du temps
comme tumeur de silence
qui déboule l’escalier

Silence
Aux étudiants : « Je leur parle du silence, ce qui les laisse, pour le moins, rêveurs. Moi aussi.» (39)
Plus tard, dans sa vie, gales qui mordent, cellules cancéreuses à la gorge. Opération. Brûlure au cobalt. Mutilation assez forte de la voix. En 1977, il écrit : « ... ceux d'ici se sont très bien habitués à mon silence. Il y a longtemps que je m'étais habitué au leur! Il y a si peu d'hommes intéressants, dans la paisible quotidienneté. On se demande ce qu'il faudrait aux hommes pour sortir de leur cloaque organique. La misère? » (132)

Tu m’aimes-tu?
« Les solitaires ne savent plus ce que c'est que d'aimer. Et personne ne sait ce qu'il entend par là. Pourtant, ça tient au corps.» (48)
« Mais c'est vrai que la vie est un rêve. On ne le sait jamais assez. » (51)
« [...]rien n'est plus comique que d'opter pour l'ailleurs qui drague l'ici.» (83)

Sur lui-même
Il n'aime pas sa personne. Il a détesté se voir dans un truc télé. « Les Papiers Collés   ils sont à peu près rétablis. Ils me sortent par les yeux, et le reste. Un vrai calvaire. Pour un type qui n'aime pas ce qu'il écrit, je suis servi. » (65)
« Je n'attends naturellement rien de cette publication. Comme des autres. Mais rien ne prouve que je n'écrirai pas un petit quelque chose un jour. Aucune envie, au reste.» (74)
« Mais quelle torpeur, qui m'empêche aussi de m'écrire, de donner encore et toujours raison absolue à ces pattes de mouche à merde. Je tombe parfois dans un trou quasi flaubertien, un bizarre fatalisme, que je refuse, auquel j'interdis de prendre pose, mais qui n’en fait pas moins son indescriptible ravage. On ne sort de cette little mort qu'en travaillant, c'est-à-dire en colmatant, en prévoyant plutôt la seconde d'interruption qui foutra tout en l'air. Or il est probable que ma “pensée” (!) ne souhaite qu'une chose : cette seconde. Mais, paradoxe évident, j'en aurais pour des heures à écrire là-dessus.» (p.80)
« Tout faisant ventre.» (127) « [...]je m'emmouscaille... » (130) « Mes côtes se finistérisent.» (136)
« La santé, c'est comme la liberté, ça n'existe que quand on en manque.» (136)

La littérature en carrosse

« Je n'ai jamais vécu grâce, ou à cause de la littérature. C'est autre chose qui m'a mû. Meuh, disent les vaches. Mais quand son “métier” prend le pas sur sa distraction, il est emmerdant.» (116)

Écrits sans forge

« Tirant chèque sur chèque à la banque du temps Sans moindre provision
ce que nul n'osait dire Sinon la mort le jour de l'ultime paiement
Fou de la liberté ne cessant de forger Les barreaux de sa cage,
Ecce homo. Amen. Y a pas le feu!» (120)

Le métier de sablier

« Je te passe la plume. Embrasse ton monde.» (59)
« Qui n'écrit pas? Jusqu'aux marins qui me donnent leur livre de bord, on ne sait jamais, je pourrais en tirer quelque chose, qu'ils me disent! Ah! Ces braves gens qui savent que l'on écrit! Ils voudraient bien que ça nous rapporte! Pourquoi vous ne faites pas un roman policier, ou polisson, qu'ils disent, ou à peu près! Merde. " (134)

L’habit se pogne le moine
« Mon smoking, ce serait plutôt la solitude.» (118)

PERROS, Georges, Lettres à Michel Butor, tome 2, Editions Ubacs, 1983, 157 pages.

6 commentaires:

Anonyme a dit...

Et bien je me suis régalé avec ces extraits, une trés belle forme d'écriture !

Jack a dit...

Eipho, merci et bienvenue!

Tommy a dit...

Je suis content que vous m'aillez fait découvrir Georges Perros!
Y'a un prof au cégep qui nous parlait
du silence, Monsieur Brès qu'il s'appelait, un Marseillais. C'était un comédien à la voix tonitruante, un habitué du silence, c'est sûr.
Il avait conseillé à Stéphanie Chose de Star Académie de ne pas participer à ce travail de merdouille, mais elle l'a fait quand même. Je sais pas si elle a bien fait, je m'en fous, ah ouais! En tout cas, je suis ivre et je me suis fait virer du programme de littérature de l'uqàm, oh zut! J'aurais dû remettre mes travaux de fin de session. Je devrai faire autre chose! Djen Dobre, et tout, bah oui.

Jack a dit...

Je suis désolé de ce qui arrive d'autant que j'ai passé par là, par pure inadaptation... J'ai coulé ma première session de philo à l'UQAM en ne remettant pas mes travaux. Il m'aurait fallu un coup de pied au cul, un supplément d'intelligence ou simplement que quelqu'un me donne la main. Mais tu vas faire autre chose, justement, car à coeur vaillant, rien d'impossible.

Cette S., elle a une bonne tête, il me semble. Je tiens une anecdote. Qu'elle ne m'en veuille pas si je te la raconte. S. tomba amoureuse de L., un jeune chanteur très beau dans le vent. Se trouvant un soir par hasard au même resto, elle a vu de ses yeux vus des lèvres masculines se poser sur celles de L., un mal aimé. Deception!, comme dirait Charlebois.

Anonyme a dit...

Toujours très fan de tes carnets pelés et aussi (mais est-ce un hasard, de Georges Perros, ami d'un autre poète que j'apprécie, Xavier Grall). Aux papiers Collés, je peux ajouter "une vie ordinaire". Il cultivait beaucoup l'auto-ironie. Ainsi ce souvenir d'amour de jeunesse :
"...Nous couchions ensemble souvent
rue des acacias la cousine
de ma belle toujours absente
y avait un appartement
Nous en profitions nous tenant
l'un sur l'autre nus sans rien faire
attendant que l'ange trépasse
qui nous regardait en riant
Mais j'avais peur de la brusquer
Le jour où par pure méprise
je la pénétrai plus avant
elle se rendit compte à peine
de mon geste C'était vexant
Nous faisions beaucoup de projets
Mes parents la trouvaient mignonnne
elle l'était certes Depuis
elle s'est trouvé un mari
plus entrepenant je l'espère
Je lui lisais du Valery
Peut-être que je l'ennuyais
avec mes poètes C'est vrai
tout le monde n'en est pas fou
Jusqu'au Père Sertillanges
que je lui faisais écouter
rue d'Assas C'est très loin tout ça
Maintenant je sais mieux garder secret de mes amours mentaux
quoique sentis excusez-moi.

Anonyme a dit...

Très beau ce passage.