17 avril 2008

Notre sauvage envie de libération (Refus Global)

Entendu ce soir À l'Usine C un extrait de Duplessis Le Noblet dans le Enchansonne Claude Gauvreau, de Rémy Girard. Entouré de bébitiers, le Cheuf déclare que les ceux qui sont pour la neutralité à l'école errent en baptême. Car «le bien et le mal existent». Et la lumière éternelle.

Entendu mot pour mot la même chose, il y a deux jours, dans la bouche de Bush le bushiteux, entouré du Papa de Rome : "le relativisme moral n'existe pas car il y a le bien et le mal."

Bien sûr, cher!

Sauf qu'entre les deux déclarations, un siècle de poésie et d'éthique s'est échappé par l'horizon des bibliothèques flottantes...

***


Sur le show de Girard & Frère, que dire? J'ai un rhume de «cervreau» assez embrumant. Je n'étais pas au meilleur de ma réception.

Ceci dit, les textes choisis de Gauveau sont abordés et arpentés selon des motifs musicaux divers (jazz, hip hop, contemporain), qui m'ont semblé toutefois dominés par le rock'roll assez classique. Solides musiciens, en passant, que ces Quêteux Lunaires dirigés par Jean-Fernand Girard (piano, compositions, arrangements...)

Les projections, au centre de la scène, sur un écran en forme de lune bien ronde, ajoute tout au long du spectacle couleurs, poésie et contextualisation, entre autres, ces extraits de «la grande noirceur» avec Duplessis, soutanes et moult goupillons. C'est toutefois à la fin seulement que la belle tête éclairée d'un Gauvreau jeune nous apparaîtra.

Dans ce format musical, les mots souvent culbutés, d'une grande épaisseur sonore, parfois non figuratifs comme on s'y attend, débordent les portées et se perdent dans les hauts et les bas des tounes les plus rythmées. Par contre, dans l'ensemble, on saisi le plaisir manifeste de Girard qui n'a pas une voix à tout casser, mais qui est bien meilleure que la mienne.

Cet univers poétique demeure vivant (le public était assez jeune), fascinant, mais aussi, dans ses carcans, luttes et agonies, on y trouve avec le recul des cordes moralistes préoccupantes.

J'entends ici par morale au sens large l'assignation de normes en regard d'une fin prescrite à l'avance. Tout écart de comportement est alors jugé à l'aune des prescriptions. Hier soir, le «devoir» d'intégrité artistique chez Gauvreau me sautait à la figure.

«La griffe écrit dans le sang
et ses messages les plus doux
sont ceux de l'agonie.»

- Claude Gauvreau, cité par The Swamp's song

Pouvait-il en être autrement pour la génération des jeunes artistes du Refus Global à la carrure de géant, têtes dures qui ont définitivement planté dans nos âmes, nos mains, nos rives, le drapeau de la liberté et de la magie? Gauvreau a tenu sa place debout.

On reconnaît parfois des passages lus dans la solitude de l'exubérance et qui tambourinèrent, ô Dieu sait comment! Coups de marteau sur l'attelage des chevaliers de l'aube qui rigolent dans l'auge de la mort. J'adorais lire Gauvreau à 20 ans. Je le copiais de partout. Si j'excepte La charge de l'orignal épormyable au Quatre-Sous (avec Godin), je dois avouer, néanmoins, que je suis rarement séduit par les «prises» dans la grammamaire de Gauvreau.

Malgré toutes les «explications» qu'on voudra donner sur l'utilisation de la musique des mots, si magistrale chez Gauvreau, - «On ne peut plus écrire de la même manière après Gauvreau», me disait Michael Thomas Gurrie -, je crois que l'effet de vérité à retardement de cette œuvre poétique est très subtil, qu'il est de l'ordre de la chaîne des lecteurs. Je ne dis pas cela pour cracher sur toute représentation publique de cet auteur et je distinguerais le théâtre de la poésie. Bien au contraire. Mais il reste qu'il y a quelque chose dans Gauvreau qui ne se rejoue pas. Idem pour Artaud.

Je pense ici (je parle pour moi) que l'éclairage salicaire de Jacques Ferron est capital. Le médecin qui a soigné avec les mots aide à comprendre la difficile et sempiternelle ligne de démarcation entre la folie et le génie. Malgré nos masques, l'une ne supporte pas nécessairement l'autre. Ferron écrit :

«Gauvreau ne douta jamais de son génie. Il n’a vécu que pour lui, ne concevant même pas qu’il dût gagner sa vie […], préférant à des tâches serviles les prisons et les asiles, quitte à y être abruti d’électrochocs et de neuroleptiques, se disant peut-être qu’il devait souffrir pour sa gloire, […] que ces supplices étaient en quelque sorte la démonstration de son génie» (Du fond de mon arrière-cuisine, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p.217, cité par Éric Volant).

Lors de son récent passage à Tout le Monde en parle, Rémy Girard m'a étonné quand il a exprimé des doutes sur le suicide du Soldat Claude. C'est la première fois que j'entendais cette opinion. Est-elle fondée? Veut-il atténuer les décombres de l'amoureux fou se promenant toute la nuit sous la pluie, l'oeil absent, sans trench-coat? Peu importe, ce que je retire de l'entreprise de Girard est quelque chose comme un enthousiasme original et audacieux, une lecture personnelle qui ravive ma propre lecture.

Hier soir, la prise de contact avec le public s'est vraiment établie qu'à mi-chemin du spectacle avec une séance d'écriture automatique. Dans les textes plus longs, les musiques se faisaient plus aériennes, heureusement. J'ai aimé le passage très sensible évoquant l'oiseau triste aux yeux si beaux de Muriel Guilbeault qui s'en va comme une araignée. Amour transcendantal si épineux.

J'ai pour ma part préféré les quelques passages lus. Rémy Girard se montre alors tel qu'il est : un immense comédien.

Comme l'a dit à mes côtés mon comparse Louis, n'eût été de l'énergie du fin fond du jeune Rémy Girard, personne ne nous aurait représenté un Gauvreau jouissif, amoureux des mots, toujours vivant sur l'enclume des voix.

Critique (très bonne) de la Presse
Puis celle très positive aussi du journal Le Devoir
(21/04/08, hélas le texte intégral, bizarre de politique, est accessible aux abonnés seulement)


7 commentaires:

The Swamp's Song a dit...

« L'Horizon des bibliothèques flottantes »...
Gauvreau, toujours aussi présent qu'il y a 55 ans. À Québec, au printemps prochain, on jouera son Asile de la Pureté au Trident; une vraie joie. Hughes Frenette et Jean-Sébastien Ouellette seront de la partie, un régal certes pour les spectateurs qui seront assis dans la salle avec le fantôme flottant de l'auteur intégral...

Jack a dit...

Je crois avoir lu qu'on remonterait à Montréal La Charge de l'orignal épormyable qui m'avait ému aux larmes. Il me tarde aussi de mettre le pied dans le dernier VLB pour constater,par moi-même,comment il repeint ce nouveau Ciel de Québec avec la barre de l'auteur intégral, comme vous dites, à l'horizon.

The Swamp's Song a dit...

Déjà vu La Charge, mais en téléthéâtre,était-ce Gilles Renaud dans le rôle-titre ? ma mémoire divague. Je viens de terminer L'Asile de la pureté, quelle finale ! Gauvreau n'a jamais été aussi présent qu'en ce moment et VLB qui s'en est mêlé en plus, (hâte de constater son nouveau dégât) ;-) J'aimerais bien que les Girard bros. fassent leur spectacle à Québec un jour.

Ce texte, tirés de mes Issues, est un vrai beau foutoir de mots n'est-ce pas ? Et La Courbe du temps également, mais il contient des mots originaux du Maître au moins...(je ne suis pas un Swan en passant, mais une Swamp...);-)


http://lesfenetresouvertes.blogspot.com/2008/01/la-courbe-du-temps.html

Jack a dit...

Désolé! Suis sans excuse étant moi-même UN Desmarais, mais non pas Desmarais Premier...

Anonyme a dit...

La désolation, on gardera ça pour les moments plus graves, merci pour la correction, Desmarais UN. ;-)

Jack a dit...

Aux confins des ténèbres il exista des centaines de beaux fous qui furent les colocs de la folle du logis. C'est un flirt qui a fait bander des tonnes de doctorants depuis Platon sur Goethe,Tostoï, Melville, Nietzsche ou Nelligan... Althusser en philo... Beau fou? Dériver est peut-être l'adresse commune de l'imaginaire mis en pâture par l'écrivain. La complaisance ou le surinvestissement vient avec Maupassant qui dit : la raison est sottise, la folie est génie. Entendu aujourd'hui dans mon char Denise Bombardier (J'avais vingt ans, Radio-Canada): «Il ne faut pas que la folie enterre le talent, dit-elle. Si on est très fou, il faut alors être très talentueux.»
La formule n'est pas mal. Jacques Ferron, le sensible et le très bon docteur n'avait aucune complaisance à l'égard de la folie qu'il a essayé de traverser de l'intérieur. Je crois savoir qu'il a botté le cul à plus d'un dans la confidentialité de son cabinet. Lui-même compris.

Jack a dit...

La complaisance vient aussi avec le romantisme.