Rien.
Rien, sauf les couleurs qui grouillent sous le dépouillement.
Rien, sauf les couleurs qui grouillent sous le dépouillement.
31 janvier 1993
À travers les rideaux vénitiens bourrés de stries de froid grammatical, voici quelques notes d'un voyageur du Sud qui rôda en ce jour sous ma calotte glaciaire.
En regard de la nature qui appartient au monde entier, Frédéric-Jacques Temple parle de son Sud avec amour et désespoir, «car il y a au moins la force du désespoir».
Le Sud est un état d'esprit, ajoute-t-il, une manière d'être par rapport aux autres. Pays rêvé qui voudrait se voir sortir de la clandestinité. Langue d'Oc, tête la première. Son père lisait encore cette langue devenue étrangère... Les vieilles racines têtues sous les mottes de terre cuite à l'os, sans aucune chance de frisson dans la poussière mêlée au vent, recèlent aussi, on dirait, par en-dessous et de très loin, la liqueur de la jeunesse.
Le Sud est un état d'esprit, ajoute-t-il, une manière d'être par rapport aux autres. Pays rêvé qui voudrait se voir sortir de la clandestinité. Langue d'Oc, tête la première. Son père lisait encore cette langue devenue étrangère... Les vieilles racines têtues sous les mottes de terre cuite à l'os, sans aucune chance de frisson dans la poussière mêlée au vent, recèlent aussi, on dirait, par en-dessous et de très loin, la liqueur de la jeunesse.
26 décembre 1998
Je n'avais pas trente ans. Nouvellement père et sur le carreau. On se pense fichu à l'hôpital où j'étais en 1982. Les os craquent dans la crise. Se peut-il qu'on cherche dans les dictionnaires l'ombre des étés ensevelis, surtout les mois d'août imaginaires? A-t-on vraiment vécu ou n'était-ce qu'un rêve dans lequel on se faisait couper les cheveux par un vrai barbier inconnu, à six heures moins vingt le soir, - on ne voudrait surtout pas déranger -, pour se cacher de la chaîne? On ne sort pas vivant de la répétition des corps. De l'obscène. Mais une femme très douce avec un regard bleu, infirmière, gardienne ou je ne sais trop, vous dit que vos mains sont jeunes. Elle les a prises dans les siennes comme on cueille un signe ostensible, un rayon de lumière. On ne se pense plus, bon à rien, puis voici que la jeunesse vous porte et vous déporte au-delà de vous-même. Parmi le genre humain.
13 juillet 1996
C'est aujourd'hui l'anniversaire de la mort de Doloré. Je me débouche une Mol. Tout à l'heure, j'ai bordé mes deux amours qui dorment dans la chambre où je suis né et où mon père est décédé. L'émotion est vive pour moi. Pour moi seul, sans doute, car c'est encore le bordel indescriptible ici dedans alors que je savoure, malgré tout, la continuité. Je viens d'installer une chantepleure neuve à la cuisine; l'eau est à nouveau courante. C'est la première fois que nous sommes tous les quatres dans ce vieux rafiot que j'ai repris à l'arraché. C'est ma bataille toute masculine pour la vie. «La mort a tant de synonymes», dit Vigneault. Voilà la pensée qui m'anime ce soir pour mon père en allé.
12 juin 1999
Quel était donc ce pari inconscient parmi le superfétatoire? Se gaver au max pour ne retenir qu'une seule chanson? Un seul poème? Une seule brève idée philosophique? Les dernières toiles de Borduas aux gestes japonais sont si dépouillées. Les noirs gradués. Les blanc crème. Quelques accumulations autour desquelles gravitent, dans mon souvenir à tout le moins, le sang de bœuf, les bruns tannés, les carrés marrons, les rectangles laissés dans l'ombre du vide. Cela n'en est pas moins complexe et lumineux. Ces toiles se vissent à la mémoire.
Je songe à cela alors que nous sommes au parc de la Yamaska en famille. Je me dirige vers le petit sentier, entre lac et forêt, pour aller pisser. Je rencontre sur mon chemin des papillons oranges, des fleurs bleu de lin, un geai bleu. Il fait bon marcher. Ça sent la fraise sauvage et le sapinage. Malgré le touffu et l'inconnu familier, jamais la nature ne se trouve criarde dans son expression, déplacée, en surcharge. J'aimerais pour moi-même arriver à ce point de l'écriture qui ne retient rien sur la grève mais s'amuse à cacher pour plus tard quelques traces entre les ombres aériennes.
14 août 2002
Chemin faisant, du garage vers le métro Préfontaine, l'asphalte me martyrisait les pieds tellement il fait chaud. Je n'ai rien à lire. J'ai laissé sur mon bureau le livre de poésie de Gerard Manley Hopkins que Michaël La Chance m'a passé il y a quinze ans! Ça fait aussi le même nombre d'années que L. dénonce mon «abandon». Oublier tout cela sans faire de mal. Pluvier siffleur sans coin du ciel pour disparaître.
TO SEEM THE STRANGER...
... Only what word
Wisest my heart breeds dark heaven's baffling ban
Bars or hell's spell thwarts. This to hoard un heard,
Heard unheeded, leaves me a lonely began.
Mais à toute parole
De mon cœur le plus sage, ou le ban confondant
Du ciel noir, ou l'enfer, me barre. Ce garder
Inouï, ou ouï sans plus, me laisse à zéro, seul.
2 commentaires:
Du coup j'ai relu les vingt et un autres. Avec toujours autant de plaisir.
Précieux lecteur.
jd
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