02 août 2008

Mon coeur est comme un train

La radio faisait tirer un disque. Il fallait répondre le premier. Ce n'était pas difficile à deviner : aux premières gouttes des premiers accords, je reconnaissais la chanson qui m'électrisait jusqu'au bout des orteils! Mais fallait être vif comme un petit suisse pour sauter sur le téléphone à cornet et à manivelle, peser sur le bouton noir, à droite, réveiller la standardiste, communiquer le numéro pour enfin rejoindre Jean Malo, l'animateur vedette de fin d'après-midi à CHEF, le poste local de la Princesse des Cantons-de-l'Est!

J'ai dû faire mon coup sur l'heure du train où il n'y avait personne dans la maison. Toujours est-il que j'ai gagné!

Sauf erreur, il s'agissait de la toujours trippante I want to hold your hand. J'avais 10 ans. Je pense qu'il fallait simplement dire le mot magique, pas si connu à l'époque : Beatles!

À la première occasion où mon père eut affaire à la coopérative agricole de Granby, je me rendis rue Principale avec lui pour chercher mon prix au Studio de musique André. Le vendeur qui n'était pas jeune, sans doute le propriétaire, fit une remarque à mon sujet que je n'ai saisie qu'à moitié et cela m'intimida. En réponse, mon père semblait d'accord pour dire que j'étais assez déluré côté musique.

Le monsieur m'indiqua les bacs parmi lesquels je pouvais choisir. C'était les rayons bas de gamme, avec les compilations et les disques restés sur le carreau. Cheaperesse ce commanditaire qui visait sans doute à appâter le «gagnant» pour qu'il débourse quelques piastres de plus... Je ne disposais pas de cette autonomie. Toujours est-il que je ne prendrais pas les Beatles. Je ne sais même pas si de toute façon j'aurais osé...

Je me contentai des Grands Succès de l'heure, Vol. 3, avec, entre autres, Annie Cordy (Tu m'as voulu) et la version de Dick Rivers de Blue Bayou (Tu n'es plus là), chantée par une femme...

À la même époque, je m'étais débrouillé pour écrire à Renée Martel. On pouvait la voir chanter hebdomadairement avec l'orchestre de son père à CHLT-TV, le canal 7 de Sherbrooke. Elle venait d'enregistrer son premier 45 tours (C'est toi mon idole / Parle mon cœur) sur étiquette Météor. Et elle était mon amour, ma cousine Lise en deuxième position.

C'est arrivé à midi moins le quart dans la boîte aux lettres. Un paquet. À mon nom. Une photo en noir et blanc autographiée par Renée qui était coiffée avec des boudins sur un côté, tombant sur ses épaules, à l'avant. On voyait bien que ses cheveux sont blonds comme des blés. Elle me sembla plus jeune qu'à la télé. Elle portait une blouse blanche et un jumper style carreaux écossais. Elle souriait, timide, comme elle sourit tout le temps avec ses yeux beaux comme la mer que je n'ai alors jamais vue de ma sainte vie. Il y avait ma carte de membre de son fan-club et le 45 tours!

Emportant avec moi le petit tourne-disques dans son boîtier de bois brun foncé,


j'ai traversé la cour et je l'ai installé, branché dans l'étable, vide, puisque c'était l'été. Et là, j'ai écouté mon disque... Mon rêve éveillé, c'était la certitude de faire jouer un orchestre d'étoiles dans une grande salle de danse pleine à craquer. Avec Renée Martel!

Ce que je trouve de plus chouette, c'est que mon père me laissait faire tous ces jeux d'enfant plutôt seul à la campagne. Je repense toujours à cela en mesurant la chance que j'ai eue de jouir d'une grande plage de liberté pour créer tous les rôles qui me passaient par la tête. Bien sûr que j'étais gâté.

***

Entre Renée Martel et les Beatles, il y a un lien puisque Renée a interprété une chanson de McCartney (je ne repère pas laquelle pour le moment). Tout comme il y a dans mon histoire d'auditeur un lien entre le père de Renée, Marcel Martel, si présent à la maison quand j'étais jeune - j'avais reçu en cadeau de ma grande sœur un disque de Noël de lui avec sa femme Noëlla Therrien -, et mon admiration sans bornes pour Bob Dylan. C'est que nous sommes, de loin en loin, dans des filons et les fibres des chansons du cœur.


Cela donne des amours qui ne veulent pas mourir, ou, pour le dire autrement à la manière de Val-d'Or : «Quand j'aime une fois, j'aime pour toujours...»

Sauf que... c'est un toujours différé; le train file, défie le temps, les mines s'épuisent, les liens continuent à se nouer alors que d'autres se dénudent, s'effilochent et cassent. Comme un paysage traversé. Avec passion. Mon cœur est comme un train, chantait Marcel Martel...

Renée Martel chante encore superbement aujourd'hui. Elle chante mieux qu'avant selon Daniel Bélanger. Elle fera le Théâtre Maisonneuve en novembre prochain et je m'en veux de ne l'apprendre que maintenant : tous les billets doivent être déjà vendus.


Sur son récent CD, L'héritage, elle fait même un duo inattendu avec Desjardins dans cette lettre-chanson intitulée : À un coeur de cristal. Ça, c'est le plus beau cadeau de l'année. C'est plus fort, plus humain, c'est masculin-féminin, c'est un grand coup de Desjardins, mieux encore que Quand j'aime une fois...

J'veux pas t'faire de peine
Je sais que t'as un cœur de cristal
Faut que je te dise quand même
Je veux que tu t'en ailles


Et alors, elle et il ne chantent plus l'éternité pour la vitrine des émotions. Constat du vide, plainte, regret, délicatesse, oui, mais le regard vole ailleurs avec les ailes de l'irrévérence d'un vrai beau blues country, avec les grafignures de notre siècle et les leçons qu'il faut tirer de ces amours qui meurent parfois, déboulent comme une cordée de bois, cela n'étant pas une question de volonté, mais de rivière, de vie, de jadis et d'autrefois...

Ce qui est éternel, c'est plutôt le mouvement, disait M. Héraclite, et le retour des saisons, qui ne sont jamais tout à fait de la même eau, laisse cependant en nous le goût toujours vif du printemps et celui d'écrire ou d'écouter des chansons d'amour.

C'est là le premier rôle, la première mission du poète, disait un jour le même Desjardins dans une conférence à la Maison de la culture Rosemont-Petite-Patrie.

Toutes ces chansons, ce sont ma vie!
Qu'on m'enterre dans un juke-boxe et je serai parti!

Hey you! Honey, petite Madone,
I want to hold your hand!





1 commentaire:

Anonyme a dit...

Ô! Le groupie fait WHOU-OU-OU-OU dans ses feuilles en dedans! J'ai reçu l'assurance qu'on remettrait en mains propres ce texte à R.M.!