03 août 2008

Tour de chant

TOUR DE CHANT
(Effacer mes traces maintenant)

Il y avait de la buée
qui enveloppe tout,
un drôle d'esprit,
comme un effet de scène,
une distanciation rock'n'roll...

Le soir, assez tard,
- c’était obligatoire -,
de la chède à la grange,
n'avait plus de sang sur le coeur
quand il fallait se rendre, seul,
nettoyer la peur.

Vapeur haleine
s'échappant de la crèche
qui contrecarre, mais à peine,
le plan du frimas
en voie de gourer les vitres
à l'extérieur

et puis l'odeur qui imprègne tout
jusqu'aux caleçons

L'humeur
la nonchalance
les idées fixes
la vraie belle chaleur humide des bêtes
contre laquelle on aimerait dormir

La naïveté des yeux de vaches
qui vaguent et croient au ciel
ou bien songent à la liberté des cloches
dans un grand pré vert,
en plein hiver...

Et puis le goût de jouer!
Principe jeunesse qui crée l'évasion
entre les travaux et les jours

Imaginaire carrousel bleu
pour les invités vêtus de peaux

Alors, alors Tit-Gars, Tit-Coq,
Alors veaux, vaches, cochons, bougresses...
Comme sur les Plaines,
Aimez,
Aimez-vous?
Aimez-vous ma cruche de musique et de rêves?

Le public applaudit avec ses paupières
comme dans les livres de Félix Leclerc.

Il se brasse toujours des miracles,
de la gouache et des queues
dans les étables!

La routine y est montgolfière

L'enfant se disait :
"Moi, Ch. Ch..."

Petites mains nues de vanille
qui ont tâté de l'origine,
puis aussi de la nicotine
pour faire tinter l'homme en soi;
à présent, elles épandent de la paille
sous les ventres cousus de poux
le froc est grouillant de prières
les bas de laine gris bleu coulent
au fond des bottes

Sa petite tête racole les succès de l'heure :
Inch'Allah! Inch'Allah!

C'est toujours de la même manière
que s'achève la cérémonie :
le servant accroche au clou
la pelle et ses crissements;
range la fourche, ferme la chantepleure,
crache au passage dans le dalot...

Quand le ciment du plancher
était inspecté à la loupe

Quand les billes pacageaient
dans les allées en sonnaille
Quand l'atmosphère de bourgade,
petit lait de l'ennui rude,
était drabe à manger du foin!

Quand le réel craqué
se mâchouillait sur la balance

Quand c'était l'heure
de parler pour l'air du temps,
de chanter fort!
Pour enterrer les ténèbres.
Pour dissuader la face des revenants!

Sous la lumière blafarde,
les bêtes tricotées serrées
sont heureuses
et remplies de chagrin
avec un réveillon clandestin,
de l'eau à volonté,
un brin de douceur et de déjà-vu,
elles bavassent entre voisines
des pique-assiettes
elles flottent parmi l'inconscient
et l'avoine moulue

chacun, chacune, est à sa place;

pas de vêlage surprise,
pas de free for al!.

Or, il fallait bien aussi
revenir à la maison!
retraverser la cour
en prenant
la noirceur par les cornes...

Marcher à nouveau
comme un brave
dans la neige qui rote,
accompagné, ouf!
par un chien de brocante.

Ronde de nuit à la campagne
en pleine Révolution tranquille!

Quand le silence se rapportait
comme un sac de perdrix,
avec de l'ombre sur la poitrine
toile d'araignée, poussière d'or,
écho qui jappe!
de bosquets en clôtures...

Maudite marde!
Les voici donc encore
les grandes gueules de l'orchestre à relais
des Gardiens du Rang,
avec leurs hosties de solos d'enfer
qui défrisent la lune
jusqu'à la rivière Noire...

«CE N’EST PAS UN BRACONNIER!!
C'est juste MOÉ!»

N'avait pas de sous dans les poches
quand il claquait la porte de ses shows,
quand il clouait le bec aux fantômes,
quand les poules Bendées
jouquées, réveillées!
criaient : DÉSESPOIR!

Quand les nuages
copiaient leurs devoirs...

Parfois... Parfois...
Non!!! Efface ça!

N'aurait jamais pu se douter
être au coeur d'une oeuvre au noir
dans le pays où l'on forge sans le savoir!

Jusqu'au dernier fil du rêve éveillé,
jusqu'au sommet de la gloire,
il pouvait se capuchonner
en toute invraisemblance

Chanteur engagé
comme un homme engagé...

Mais juste avant de repasser
à travers le miroir,
tenant un glaçon arraché à la corniche de la grange
en guise de micro dans la main droite,
il imitait, à hue et à dia, et en roulant les r,
l'annonceur étoile qui frétille : "... Ho! Yé! BBABABALA!
... en PREMIÈRE position au palmarès CETTE semaine :
«Moi, Ch. Ch., douze ans,
petit fermier, prostitué
du Moyen-Age».


Ce texte a été lu par Michel Garneau aux Décrocheurs d'étoiles, Radio-Canada, le 14/11/1997

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