12 février 2009

« Les nuits abat-jour »



On sème
des espoirs de toutes couleurs
sur nos nuits blanches
et le cœur s’apaise


On me fait suivre un « montage Giguère » en espérant que ça me plaise. Ha ! Ça me plaît en s'il vous plaît, il n'y a pas d'erreur, ça me palise même le palais, du Giguère ! Depuis mes 17 ans. Comme un drapeau qui claque au vent, je m'étais alors frotté la revendication générale avec ce coup de langue qui raviva mille fois mes espoirs de causes à effusions
multiples :

« La main du bourreau finit toujours par pourrir ».

Pas que je connaisse d'un bout à l'autre, loin de là, ce colorieur de mots lapidaires, ce lithographe aux grands cours tranquilles d'images debouttes, ce radical dans l'oeil ouvert, ce maquettiste de nuit hurlant, cet « artiste du maquis », comme le titrait Le Devoir du 6 février 1995.

Je n'ai qu'un seul recueil de Roland Giguère, celui magnifique, étincelant, incendiaire, celui de l'Âge de la parole, Éditions de L'Hexagone, 1965. Il en vaut bien mille car il nous jette tout cru sur le chemin tout court de la poésie naturelle, québécoise, surréelle, chienne et louve et miel, frappeuse de porte... Comme quand la peine bat.

« Chez-moi, le poème frappe à la porte. J'ouvre : il est là. », disait-il.

« Les poèmes appartiennent à ceux qui les aiment. »

Ha !

Même si l'on n'a pas vu les îles promises et les estampes profondes, on le croit sur parole celui qui ne blasphème pas pour rien. Mots de douleur qui se noient dans sa tête avec les défauts de la cuirasse comme lui dans la rivière. «Car les inondations n'attendent pas toujours le printemps ».

Il nous faut continuer parmi les poèmes affreux laissés sur le comptoir qui nous tendent la main, nous sortent du trou.

Je ne peux pas imaginer un artiste qui ne serait pas fraternel.

Tel est le grand Giguère de mémoire vive, de vergeures, d'encre et de marges plantées au cœur de nos forêts brûlantes.

« Pourtant, comme les vrais surréalistes — André Breton l’était-il ? —, il trahissait l’école, la doctrine, le mécanique devoir d’insurrection et donnait libre cours à son espoir d’une humanité totale, intègre, qui aurait la saveur de l’enfance. Une humanité sans les ronces, conçue au profit des petits êtres que nous sommes, par la grâce du poème insuffleur de bonne volonté, de plein amour et d’aucune autre possession que la frémissante liberté du cœur aimé. »
- André Brochu, Liberté, numéro 265, sept. 2004


Merci à Fantôme de m'avoir fait rouvrir le recueil sans rides qui m'est essentiel.

« au soleil un homme debout pesait
le bleu le jaune le vert »
- Le silence au champ, p. 113.



PAROLES ÂGÉES (le montage à Giguère)

Sur les rails de la patience
La raison des pas perdus

Lente mémoire des moments lourds
Limite du silence
Fenêtres d’exil

Ombres idéales des sans secret sans regret
Traits de plumes sur un mur froissé
Mots de par cœur
Histoires de VOIR
La vie prend le train du midi

Avec la patience du sommeil
La courbe du repos

L’encre bleue l’eau morte l’aurore et le sang des garrots
Connaître l’intérieur de ces marais de sang coagulé
Toute idée de boue disparue
Du noir au blanc, qu’un pas, L’OUBLI

AU SEUIL DE L’ENVOL
NOS AILES NÉCESSAIRES
Par un ciel implacable
Pour les plongeurs de cœurs

Simples cailloux noirs de la vie courante
Quatre ou cinq fenêtres donnant sur le paysage nouveau

Sur le ruban de la nuit, une ligne saigne
La pointe diamantée des dimanches hantés

Les fagots du lendemain
Le dernier halo
La rose carnivore
L’oiseau-lame frappe
Le sens du ruisseau

Un anneau solaire dans l’anfractuosité de l’obscur
La lune rouille sous les remparts
" une phrase qui cogne à la vitre "
(d’un oiseau rare)
"TOI QUI ENCRES LA HAINE AU CŒUR DU PRINTEMPS NEUF "

Et viendra l’accalmie

Roland Giguère
L’ÂGE DE LA PAROLE


Photo : Daniel Lessard


1 commentaire:

Anonyme a dit...

Les poèmes de comptoir, ceux qui traînent pendant quelques jours avec nos miettes de hasard, qui rêvent au jour où ils seront peut-être retranscrits dans les pages secrètes d'un petit carnet noir...

L’ÂGE DE LA PAROLE, un recueil culte, qu’on ne devrait jamais laisser trop loin de notre œil ravage-heures. Des mots sans paroles, des couleurs sans fard.

Merci pour cette autre belle surprenance.