20 mars 2009

Carnets pelés 25 - Analepses et autres signes avant-coureurs

















Dessin :
Adalbert Stifter


« Il n'y a qu'un devoir, c'est d'être heureux. »
« La poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de sauvage. »
— Denis Diderot

22 août 2002
C'est dimanche. C'est le dernier dimanche des Paysages littéraires. Dire qu'au début je trouvais sa voix fatigante à la radio. Mais là, je vais m'ennuyer de Stéphane, de sa hauteur de vue en littérature. Stéphane Lépine : « Comme vous le savez, la direction de Radio-Canada m'a fermement indiqué la sortie. »

Ouais! Nous le savons!

24 mars 1988
Interpréter. Doxa et paradoxe. Ce soir, présentation de B. dans le cours d'herméneutique de Michaël La Chance. Autour du Paradoxe sur le comédien de Diderot (1773, publié vers 1830). Je note rapidement quelques passages. Mais je préfère écouter et observer B. qui est excellent et d'une nervosité rigolote. Il passe son temps à tournailler la tresse qui tombe sur le haut de son épaule droite et qu'il réussit à faire avec des cheveux pourtant très fins. Pour bien jouer l'émotion il ne faut pas être habité par l'émotion. Telle est la ligne du paradoxe que Diderot distille de savants dosages dialectiques entre l'acteur sensible — qui ne saurait vivre et ressentir les émotions qu'il joue soir après soir sans s'épuiser —, et l'acteur de tête, c'est-à-dire celui qui calcule au quart de tour les effets qu'il veut produire.

Retour au texte :
« L'acteur s'est longtemps écouté lui-même; c'est qu'il s'écoute au moment où il vous trouble, et que tout son talent consiste non pas à sentir, comme vous le supposez, mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment que vous vous y trompez. Les cris de sa douleur sont notés dans son oreille. Les gestes de son désespoir sont de mémoire, et ont été préparés devant une glace. Il sait le moment précis où il tirera son mouchoir et où les larmes couleront; attendez-les à ce mot, à cette syllabe, ni plus tôt ni plus tard. Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d'avance, grimace pathétique, singerie sublime dont l'acteur garde le souvenir longtemps après l'avoir étudiée, dont il avait la conscience présente au moment où il l'exécutait, qui lui laisse, heureusement pour le poète, pour le spectateur et pour lui, toute liberté de son esprit, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la force du corps. Le socque ou le cothurne déposé, sa voix est éteinte, il éprouve une extrême fatigue, il va changer de linge ou se coucher; mais il ne lui reste ni trouble, ni douleur, ni mélancolie, ni affaissement d'âme. C'est vous qui remportez toutes ces impressions. L'acteur est las, et vous tristes; c'est qu'il s'est démené sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener. S'il en était autrement, la condition de comédien serait la plus malheureuse des conditions; mais il n'est pas le personnage, il le joue et le joue si bien que vous le prenez pour tel : l'illusion n'est que pour vous; il sait bien, lui, qu'il ne l'est pas. »

Et chez le poète, quel serait le jeu ? Il n'y en a pas, crie des voix innocentes?

Selon l'auteur de Jacques le fataliste, le poète serait à mi-chemin dans ses imitations (ou dans la prise de ses masques?), entre l'arbre et l'écorce, c'est-à-dire entre une imitation de lui-même et une imitation d'après le langage. Cet entre-deux est peut-être de l'ordre du passage.

Avril 1991
Sylvain va jouer à Genève. La veille de son départ, nous nous rendons au Quai des Brumes pour le lancement de Gorki. Pendant l'intermission, Sylvain me présente à Guy Thouin. Ce dernier dit : « La musique est par essence une porte ouverte à la performance. Entre les musiciens, tout monte... c'est de l'énergie. »

4 novembre 1990
Yves Bonnefoy a quitté le mouvement surréaliste en 1947. Ne se sentait plus à l'aise en regard de sa propre conception des images . En interview à l'émission En toutes lettres, il dit de plus refuser le mythe romantique du poète, celui qui ne serait qu'expression de soi, âme, sentiments, émotions. Il y a de l'intellectualité dans la force poétique. De la rigueur mathématique. La poésie comme la philosophie est le lieu de l'étonnement.

17 février 1987
Je m'adresse parfois directement à l'auteur de ces lignes pour lui rappeler que le cosmos en perpétuelle transformation est le miroir de l'oubli.

14 avril 1991 - Le P'tit Bar, 12 h 01
La série debout au bout du comptoir se poursuit. Pourrais-je citer de mémoire seulement trois idées force d’Art as experience? À quoi cela sert-il, par ailleurs, de citer, d'inciter, d'exciter? Travailler dans les bars, c'est vraiment impossible pour la pensée. C'est pire que dans une manufacture. Mais l'âme fait flèche de tout boire. Dans les yeux des clients, les clientes surtout : mille romans. Et puis, l'enfumé qui nous jambonne les couilles laisse libre cours... Sans que rien paraisse, je songe à ce qu'a pu être la vie dans les bars de ce lointain grand-oncle du nom de Jack Desmarais. Il n'était pas acteur, mais il dansait comme un diable, m'a raconté un jour l'oncle Paul; il pouvait semble-t-il frôler le plafond avec le bout de ses souliers vernis, ferrés. Tous ceux qui après lui dans la famille aimaient prendre un coup, on les surnommerait « Jack ». Tout ça pour dire que les mots ne sont rien par eux-mêmes. L'expérience est le réel, dit Dewey. Le langage n'est rien sans le contexte, ajoute Wittgenstein. Qu'est-ce que ce sera pour vous, demande un rêveur en chemise blanche?

20 décembre 1992
En toutes lettres évoque l'écrivain autrichien Adalbert Stifter selon qui être écrivain, c'est faire intervenir la forme dans la connaissance. Plus tard, Wittgenstein parlera aussi du monde perçu comme forme.

28 octobre 2000 — Bibliothèque de l'UQAM.
Parmi les revues, je feuillette Protée (#2, vol. 28) qui parle du silence. On cite un ouvrage de F. Fonteneau intitulé L'éthique du silence. Wittgenstein et Lacan, Seuil, 1999., p. 194 : « Le silence est impossible, mais c'est de lui que l'écriture trouve sa nécessité. »

30 avril 2004 — Métro Radisson.
Joie. Sur l'air d'un regret de philosophe. Que serait le sevrage de la clarté sans la nuit pour boire autour? La vie sans l'incertitude? La liberté sans le mal?

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1 commentaire:

Nina louVe a dit...

thank you Diderot

« Il n'y a qu'un devoir, c'est d'être heureux. »
« La poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de sauvage. »
— Denis Diderot