01 mai 2009

Carnets pelés 27 - Fumer le vide chemin faisant


Québec, Hôtel Belley, 28 septembre 1999

La lettre est restée sur le carreau, alors, tu comprends, il vente par en dedans, la fenêtre est coincée et la « Fée électrique » explose dans ma solitude!

Photo JD.
J'ai entendu, ou bien j'ai imaginé Déborah qui disait : « Le trésor... c'était grandiose, si simple pourtant »

Au fond, je suis troublé, mais pas à peu près. Je ne sais pas comment j'ai pu écrire toute la nuit et puis me rendre au bureau ce matin sans broncher. J'avais de la formation à donner. L'architecte qui m'accompagne à bien vu...

J'ai écrit « Mon ange », 22 pages. C'est banal comme titre. Je ferais tout pour me débarrasser du blues et du froid. Les ricaneux et les moqueurs, les fins limiers avec leurs pinces sans rire sont bien plus utiles que les barbouilleurs et les soûls pleureurs.

J'ai écrit aussi une seconde lettre à James Henry. Il n'aime pas lorsque je m'obstine à reprendre des passages sur Renée April tirés du recueil J'ai cité le motif dans le tapis. Ça lui rappelle nos années d'enfer à l'Auberge des Quatre-Vents. Renée n'était pas une figure célèbre du théâtre à l'époque, mais sa beauté faisait oublier tout le reste.

Sois patient, Jimmy. Je sortirai de mon trou comme un siffleux. Un bon matin.

« J'ai bien hâte de voir ta tête quand je t'annoncerai la nouvelle », m'a-t-il dit au téléphone.

Que c'est encore?
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Béthanie, 11 juillet 2000

Grande blessure. Couché dehors. Je n'écris plus. Je ne peux pas laisser la terre dans cet état.

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Québec, Auberge de jeunesse, août 1975

C'est la Chant'août qui tinte dehors. Nous irons voir tout à l'heure Clémence Desrochers. Mais moi, de toute évidence, pour l'heure, je dors. Entre deux lignes d'Aragon.

Photo : C. Latendresse


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Béthanie, 3 septembre 2000

Où en est-on sur le chemin de l'exil?

L'exil, disait un orateur dont j'ai oublié le nom, a la réputation de libérer les artistes de leurs dettes. Une fois que les liens ont été rompus avec la religion du Père, puis après avoir effacé l'ardoise grichante du Pays, on pourra sevrer l'accoutumance aux capitaux populaires, aux dictons tracés d'avance, aux idéologies qui ont les deux pieds dans le ciment... Mais la culture a la couenne plus toffe qu'on pense, plus étoffée que la brillantine intellectuelle. C'est ce qui revient quand on a tout oublié, a dit un jour — non, c'était plutôt un soir, un beau soir à Montréal au Théâtre de la Verdure au printemps de 1976 — Gaston Miron. 

L'exil, qui n'est pas toujours une obligation, c'est se livrer comme otage dans un décor qui vous aspire tel quel et vous recrache sur le plancher des affairés avec tous vos vieux silences de paysan. C'est tout le contraire de ce retour à la chambre blanche où je suis né et à l'attention que je porte aux questions qui se cachent peut-être derrière les buissons.

Je marche à contre sens des miroirs disséminés. Je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire. Mais ce n'est quand même pas un trip de rebirth. Je risquerais plutôt de dire qu'il s'agit d'une lecture. On peut toujours relire différemment le même mautadit texte. 

Maintenant, l'exil intérieur est un sentiment fort répandu au sein du peuple le plus jokeux au monde. 

Les portes de sortie de secours? Heureusement qu'il y a l'amour, qu'il y a Gaston Miron et ce drôle de poème qui n'est pas encore né et encore moins re-né.

Pour une joute de plaisir. Pourquoi pas? Toujours penser à avoir du fun. C'est normal. Les enfants sont naturellement comme ça, n'est-ce pas mon cher Jean-Jacques?

J'ai envie d'aller veiller à Granby, de retrouver Benouille dans son atelier de luthier pour faire la foire. Je sais bien que je n'irai pas. Que je risquerais le soliloque sympathique! Je n'abandonnerai pas mon chien pour une heure ou deux de ballons lancés à côté du panier.

Pourquoi est-ce toujours moi qui retire mes amygdales sur le plancher? Suis-je à ce point socioaffecté?

J'ai voulu quelque chose d'autre que ce pays de blessures à mots couverts et j'y tiens encore! Ici, mais ici, là, en ce moment, je suis dans le vide de la préparation de l'avant-veille de l'esprit qui nous aiguillonnera quand on voudra de l'action! Et je chique, et je fume et je prise. Jajaja! Et je ne suis pas fier de ce sentiment-là qui pousse ailleurs ce que nous devenons.

Gonzalo Rubalcaba passe en ce moment à la radio. Inner voyage est le titre de la pièce. Presque une berceuse. C'est très joli. Ce n'est donc pas toujours à cent mille à l'heure que l'on traverse le présent sur le clavier inattendu de nos pas.

Pour continuer.

Pour continuer et parler de l'essentiel, je pense soudain à la douce mémoire de Léa Roback qui vient de s'éteindre :
«Moi j’ai pour mon dire que c’est ici la vie!»

Photo : Karim Rholem

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Béthanie, 24 août 1997

Derniers moments des vacances. Jacques Bertin m'a envoyé deux lettres demeurées sans réponse jusqu'à présent. Je m'installe sous les érables et lui aurai répondu avant la fin de l'après-midi alors que le soleil est délicieux et que les abeilles à ce temps-ci de l'été sont comme soûles.


Jacques Bertin, c'est celui qui tient le fanal allumé.


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Béthanie, 30 août 1997

Il y a 20 ans aujourd'hui mourait Jacques Prévert.

Photo : lecureuil,  avec son aimable autorisation, Comment vous dire?.
 

Dans Le Magazine Littéraire de juin 1997, on trouve une interview avec Philippe Brenot, auteur de l'essai Le génie et la folie, chez Plon. Le point central de son propos reprend l'hypothèse de la mince frontière : « Un génie, dit-il, est quelqu'un qui a réussi à faire quelque chose de sa folie. »

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Lac Pasley, 20 août 2005

Je copie des passages entiers de Vies minuscules (Gallimard, 1984) de Pierre Michon. J'aime bien cette idée de la campagne acide : « Il enfourcha un vélomoteur, s'éloigna en pétaradant dans la campagne acide [...] » (P. 181).
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Varadero, Hôtel Sol Serina Coral, 7 septembre 2008

Tabou.

Tambour.

Automne.

C'était là, ces trois mots? Que valent, en effet, les poèmes d'amour?

Je fais l'oiseau de nuit. Invisible dans le Sud. J'ai goûté à la pluie chaude et soudaine juste avant que s'ouvre la suite royale de ce ciel immensément étoilé. J'avais faim au milieu de la nuit.


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Holguin, 31 décembre 2005

C'est le retour à Montréal. Dans l'avion, on m'assigne un siège éloigné des miens. La dame qui est à mes côtés est visiblement affectée. Je ne peux pas m'empêcher de lui demander si ça va. Elle ne s'effondre pas. Mais son regard me supplie et me fuit en même temps. Elle n'entrera pas dans les détails. Toutefois, elle me fait suffisamment confiance pour me confier qu'elle vient de perdre son amour cubain.

Entre ciel et mer, une fois réintégré notre silence d'étranger, à défaut d'un sourire crasse et d'une âme éclatante à la Ella Fitzgerald, je note dans mon carnet cette phrase trop blues de Réjean Ducharme que je suis en train de lire : 

« Le bonheur c'est le temps que dure la surprise d'avoir cessé d'avoir mal. »


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2 commentaires:

P@sc@l a dit...

Aucun problème pour l'utilisation de ma photo puisqu'il y a le lien vers sa source.

Bien cordialement

Jack a dit...

merci lecureil. Bien aimable.

Pour le lecteur : il s'agit de la photo de Prévert.