15 juillet 2009

La fraternité est toujours en retard




















J
e sais bien que le 14 juillet, c'était hier. Mais hier encore, j'étais à Toulouse-Bagnac en train de dire au revoir à mes amis français.


Je n'ai donc pas manqué de leur adresser mes souhaits les plus affectueux en ce jour des enfants de la patrie.

Je n'en connais toutefois aucun parmi eux qui se mobiliserait pour être de la parade militaire du Président et Chef des armées. Que voulez-vous? Le Sud produit trop de soleil! Cela tape sur les vignes et sur l'Histoire.

On ne saurait cependant être indifférent au sort de la République et par voie de conséquence, à celui de ses ingouvernables et innombrables fromages, comme le disait Charles de Gaulle, l'unique Grand maître de l'ordre de la Libération.

Bien sûr, le mot «chien» n'a jamais mordu personne, disait-il encore en faisant du Balconville. J'ignore s'il en est de même lorsque le chien se déguise en politichien habile, rusé, fonceur, calculateur, toujours pressé d'en finir avec la «lourdeur» de l'État afin de rapporter prestement l'os aux copains? Les copains d'abord version sans bancs publics.

On notera ici que je feins d'ignorer par pure diplomatie, car nous avons nous aussi ici-bas, en Amérique du Nord, nos cas de pure espèce de câlice! Excusez-moi.

Nous «exportons» volontiers en France les personnages de Mouawad. Mais sur la scène de la filière du Grand Théâtre «privé et bourse cousue», nous téléportons également du Desmarais full équipé qui nous revient médaille au cou. Remarquez que ce n'est surtout pas moi qui vais commencer à baver sur la famille!

En un mot comme en mille, en douce, Marianne, parfois représentée torse nu sur les Places des villes, est en voie de se statufier un avenir capital. Elle ne veut pas être déclassée. Elle aspire. Alors, en haut lieu et sans doute dans quelques loges obscures, ça siphonne.

Or, l'essentiel comme l'eau par exemple (mais soyons clair comme de l'eau de source «Il n'y a (...) jamais, en France, de "privatisation de l'eau", mais uniquement des "délégations de service public") est déjà une affaire vue, classée, on y va par là malgré des contestations dans le Ger notamment ou à Montauban.

Certains poussent leur lecture jusqu'à déduire que la «sortie de crise» du capitalisme - quelques bons Zouaves éclaireurs ici et là affirment qu'on doit le refondre - converge vers et par un mouvement de néo-féodalisme dominé par de grands seigneurs argentés pour des siècles et des siècles à venir, au-delà des multinationales (est-ce imaginable?), au-delà surtout des États dorénavant sans graisse. Ces derniers seront devenus des espèces de mannequins politiques défilant pour la frime et au seul bénéfice du fric.

Alors, à quoi bon la peau et les os de la Res republica? Qu'on les jette aux politichiens en place!

Féodalisme ou, comme l'a illustré le «pessimiste» Denys Arcand : nous nous dirigerions vers l'Âge des Ténèbres.

Je me dis toutefois : wow back arrière! Les temps sont incertains comme toujours. Il est par conséquent stimulant de donner toute la place et toute la chance à la liberté, y compris la liberté de s' engager et de transformer nos petits bouts de «royaume», y compris celle parfois de niaiser devant ce beau parterre, de prendre le risque d'exagérer, de se tromper, etc.

Les déterminismes pèsent comme du plomb, découragent lorsqu'on ne voit qu'eux. Mais tout n'est pas écrit à l'avance comme dans le ciel de Jacques le fataliste. Je ne crois pas aux complots. En revanche, faire tomber la monarchie, entre autres, ne fut pas une mince affaire!

La fraternité dans tout cela? Toujours en retard, la fraternité. Selon certaines versions, la Révolution proclamée en 1790 n'a pas inclus de façon manifeste ce terme parmi son lexique. On y parlait surtout de liberté, puis d'égalité. Ce serait donc plus tard, à la faveur de la réconciliation de l'État avec l'Église, vers 1860, que la fraternité, valeur chrétienne entre toutes, entra au fronton de la devise cardinale des Français.

De nos jours, la fraternité ne peut plus être un impératif moral qui creuse la culpabilité en cas d'échec. Car cent fois le jour nous manquerons à notre «devoir»! Ça, c'est écrit dans le Ciel.

S'il s'agit plutôt de renverser les maîtres et les bourreaux, les rois et roitelets de notre temps, les mafias, les dieux de la publicité comme ceux qui «font» égorger nos frères quels qu'ils soient et peu importe où ils se trouvent, alors la fraternité en tant que valeur, en tant que passeur est inséparable du dialogue entendu comme construction du sens par la parole plurielle, collective et libre.

À travers les grandes fresques et les épopées tragiques d'un Wajdi Mouawad qui touche présentement un large public français, on trouve l'exemple admirable d'un engagement artistique et humain qui dépasse de cent milles lieux le jeu banal des représentions pour consommation sur place dans la caverne, divertissement sans retour d'ascenseur.

Sur le plan personnel et celui des institutions (famille, bureaux, usines, lieux de culture, droit administratif, etc., etc.), la fraternité n'est jamais isolée du vivre ensemble au jour le jour.

On ne peut donc pas la restreindre à un impératif moral comme la règle d'or de Kant ou le «commandement» « aime ton prochain comme toi-même». La fraternité se trouve à l'épreuve et en chantier lorsque nous tâchons de réduire (principalement par le droit et par l'éthique) les comportements de domination, c'est-à-dire ceux par lesquels nous considérons «l'Autre» comme un objet pour satisfaire des besoins ou des intérêts particuliers.

À ces cas de figure un peu statiques s'ajouterait une dimension importante esquissée d'abord par Michel Foucault, reprise aussi par le philosophe Jacques Rancière dans le cadrage qu'il propose du partage du sensible, à savoir l'inscription de la loi dans le corps, ou pour le dire autrement, la complicité de celui qui est pris comme objet et qui va consentir à porter ce masque comme si cela était le seul jeu de langage possible dans son contexte à lui. Qui d'entre nous ne joue pas le jeu de la domination?

À une époque où l'économisme s'approprie tout l'air disponible des cités, le droit individuel de «faire des affaires» est érigé au dessus de tout, il explique tout, il fonde la «croissance». Malgré la solennité des «Déclarations universelles», c'est grossier mais c'est comme ça : il est plus important de pouvoir commercer«sans entraves» que d'assurer le droit à la vie, c'est-à-dire manger, boire de l'eau potable, respirer l'air qui n'est tout de même pas patenté par une corporation, avoir un toit, se développer, vivre avec les autres dans la dignité et le respect.

Mon ami et éditeur «Moucho» ne cesse de le répéter : la compréhension politique de notre temps, car c'est bien de cela qu'il s'agit en définitive, que cela ne soit pas d'emblée ma tasse de thé est une autre paire de manche, passe par ce patient dialogue où l'on poserait avant tout une question préalable et qui pourrait être celle-ci : à quoi désirons-nous accorder de l'importance pendant le court passage qui est le nôtre?

En attendant, vive la France libre!

Photo : jd.

Aucun commentaire: