11 octobre 2009

Lettre à Elle, à vous aussi en même temps



En écrivant à une amie, j'ai pensé à ma paresse, j'ai pensé à plusieurs, j'ai pensé à vous qui allez me pardonner, je l'espère, cet exhibitionnisme de tortue au soleil.

Voyez-y plutôt de la gentillesse, le goût d'être à vos côtés.

Puis, je n'écris pas si souvent que cela.

Et puis, les Cannibales ont un an! Je trinque.

Ils sont censés avoir appris à marcher tout seuls!


Ce qui n'est rien pantoute, bien entendu, un pou risible dans l'Univers en regard de « l'eau dissée » de l'espace qui nous pend au-dessus de la tête ce week-end, cirque dans la poussière d'étoiles qui, grâce à l'action de quelques bonnes gens riches et célèbres comme l'ami du prince de Monaco, nous fait droper de plain-pied dans une nouvelle période de l'évolution, celle du «nez rouge en orbite».

Misère à poil!

Nez en moins, comme un côté lunaire de nez lit gants, il sera, à mon très humble avis, toujours surprenant de se rappeler, comme le fait justement aujourd'hui Louis Hamelin, que j'aime beaucoup, dans sa chronique hebdomadaire au Devoir, à savoir que la poésie n'est pas 'commandable', que c'est un art essentiellement modeste.

En fait, sans jeu de mots niaiseux, je ne suis même pas certain que la poésie soit de quelque façon recommandable. Platon avait raison de la câlicer en dehors de la République!

Mais en revanche, elle peut à tout instant vous manger le bout de la queue de l'étonnement.

Poèmes cannibales, on s'entend!

Merci encore à celles et à ceux qui connaissent mes dettes éternelles.

À tous, mes sincères amitiés automnales.

jd
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Chère...,


Repu de sommeil, je le dis pour moi, mais suis bien aise que les Cannibales squattent une table de chevet. Dormir. Sans dormir. Enfin un « balancement » entre le noir et le blanc de ce temps qui nous emporte.


L'anniversaire du lancement des Cannibales qui fut un réel succès à cause de mes amis alors que je ne tenais qu'à un fil dans ma tête, me rappelle aussi la visite de mes amis Français, votre si belle lettre-courriel-prélude avec une ligne de Brad arrivée comme l'ultime récompense du jour, et qui résuma mes barbots comme personne ne l'a jamais fait; puis, dès le lendemain, ce voyage hardi, magnifique, en Gaspésie avec son haut ciel et où nous avons bu, parlé — ce qui s'appelle parler—, mangé chez les Atkins une « poule de l'Action de Grâce» assortie d'une farce inoubliable... Et puis aussi l'automne si beau à Montréal, la manifestation au square Philips pour la libération d'Omar K., avec un Alexandre Trudeau solide et sensible, la soirée des élections fédérales « comme hantée » par les Zapartistes au Club Soda, les interminables primaires américaines où l'étoile Obama étincelait déjà dans le ciel incertain de notre coin du monde si sûr de lui...


Il faut savoir tourner la page en tout. Turn, turn, turn, chantent les Oiseaux. Ce que vous appelez votre sauvagerie est sans doute en ce domaine un réservoir, un ressort, un réflexe de vie.


Cette semaine, j'ai répondu à Émile Roberge, un poète de la génération de Miron avec lequel il est devenu ami à la suite d'une nuit de la poésie qui se termina par un tête-à-tête dans un restaurant — probablement chez Belval —, le seul ouvert 24 heures à Granby à cette époque. Ils se sont lâchés à l'aube. Moi, je dis qu'ils se sont lâchés lousse.


Émile fut notre prof de poésie au CEGEP en 1972 ou 73. Nous le trouvions un tantinet réservé, mais chargé d'indignation (nous sommes au lendemain d'octobre avec les Poèmes et Chants de la résistance, au temps des grands manifestes, la grève du Front commun, l'emprisonnement des Chefs syndicaux; Allende n'est plus et Neil Young chante le cœur d'or de Dieu...) Émile est un amoureux de la poésie, de la nature, du pays, un amoureux tout court avec quelques traits de frère défroqué comme Miron d'ailleurs qui étudia au Mont-Sacré-Coeur à Granby où je fis ma « 8e » année. Il était plus âgé que la majorité des autres profs qui eux avaient presque notre âge et avec lesquels nous sortions, tombions amoureux, etc. C'est le cas, pour ne nommer que les plus connus, de Madeleine Monette et de Paul-André Fortier (l'étoile de la danse). Un de mes grands regrets consiste à avoir dit non à Madeleine qui m'a demandé un jour de l'accompagner à une série de cours que Fortier amorça. À cette époque il n'était pas danseur, mais il en rêvait à voix haute. Je dansais en feu comme un fou presque tous les soirs à l'hôtel Windsor. Ça me tentait, mais j'ai eu une réserve en pensant à ma blonde... Elle me l'a dit par après, elle était déjà persuadée que je la trompais avec Madeleine.


Fortier montait aussi des pièces de théâtre avec ses étudiants. C'est ainsi que le 8 décembre 1972, précisément, j'accompagnai C., à sa demande, à une représentation. Elle faisait partie de la bébelle au niveau des costumes, je crois. C'était une tragédie grecque jouée dans un cadre futuriste. Les costumes étaient transparents!


1972 à 2008... Il faut savoir tourner la page même si c'est la dernière.


Émile nous faisait « pondre » des poèmes sans nous juger. Mais il fallait quand même les lui remettre! Je sais que trop bien les niaiseries que j'ai pu lui faire lire. Mais c'était déjà créer une ambiance, déclencher des réflexes, se mettre en train. Surtout, oui surtout, il nous a fait voir en classe le film de Labrecque sur la célèbre Nuit de la poésie au Gèsu, en 1970. (...)


Émile Roberge à La Ruche, Granby, 26 sept. 2009.


Ce film a changé ma vie. J'ai réalisé — ce fut tel un choc — que la parole québécoise populaire était belle et forte. Cela m'a incité à faire pareil, à monter sur scène. Je l'ai fait à l'hôtel Windsor, notamment en « première partie » des Caramels mous que nous avions « découverts » à l'hôtel Nelson dans le Vieux, puis fait venir à Granby... Le Windsor, aujourd'hui démoli et remplacé par le Palais de Justice qui abrite une verrière époustouflante de Marcelle Ferron (mais pour l'emplacement du Palais je confonds peut-être avec l'hôtel Granby juste à côté), était en déclin, voire littéralement sur la bum en 1970, et alors un gars qui faisait partie de notre cercle, Johnny Beauregard, avait astucieusement réussi à négocier une grande aile en L déserte pour ouvrir un Pub étudiant, avec un bar, une scène... Nous avons repeint, organisé les lieux, constitué des équipes de barmen... Ça marchait rondement.


Dans l'autre partie du club continuaient à sévir buveurs de grosses bières, travestis, danseuses à gogo crinquées au juke-box, chanteuses de rock comme Melody Stewart qui enflamma d'un seul regard nos cœurs de garçons. À quatre, nous l'invitâmes en face, chez Da Francisco, puis c'est à qui attirerait l'attention de cette blonde magnifique chantant à la manière de Janis, qui n'avait peut-être pas elle-même ses 18 ans, en tout cas, dans ce trou de petite ville de province, elle était notre reine chaperonnée... par sa mère. Sa mère — une anglophone — vint avec nous au resto et n'a pas dit un seul mot. Le Pub quant à lui fut pour quelques années le spot des jeunes de Granby et des environs. Notre réputation allait jusqu'à St-Yaya. Nous avions carte blanche. On checkait la dope, les gars de bicycle. Pour un trou, c'était bien tenu par des jeunes. J'y ai fait quelques fois le DJ. Et c'est là que j'ai fait tourner aussi souvent que j'ai pu une nouveauté de 1973, non pas Femmes de rêve, mais le Stainless Steel de Gagnon/Tremblay.


C'était l'ambiance de mes 20 ans avec en toile de fond, omniprésente, la politique. Je n'avais aucun trac à l'époque et toujours le goût de faire mon show, d'organiser ceci, cela, de gueuler. Au CEGEP, on m'appelait parfois le p'tit Chartrand, ce qui est très injuste pour le grand Michel, droit comme une barre, moi brouillon comme dix.


La Nuit de la poésie m'a insufflé à jamais quelque chose comme le goût de la marge et du déplacement de l'air.


Émile m'a écrit ceci :


« Je n'ai pas fini de lire tes poèmes. Ta poésie n'est pas banale... J'ai hâte de te dire plus longuement ce que j'en pense. Il va sans dire que nous avons une écriture poétique bien différente... et c'est bien ainsi. J'aimetes audaces, ton utilisation de "la langue de chez nous"... Je m'arrête. »


Et j'ai répondu notamment cela :


« Je suis sévère avec moi-même (...) La plupart des textes de mon recueil ont passé la rampe d'au moins une lecture publique. C'est un plus à mes yeux. Néanmoins, je sens qu'il y a des chemins que je ne prendrai plus dans mon écriture à venir.


Ces récits ne devaient pas demeurer dans le fond de mes tiroirs. Qu'ils soient maintenant dans un rapport public, si restreint soit-il, c'est une grande victoire qui me procure également une distance que je ne soupçonnais pas. Je sais qu'ils peuvent causer quelques brûlures. Mais ils sont totalement libres, sans malice, et ils forgent une espèce d'unité dans ma vie. Je puis dire qu'ils sont personnels sans être moi. Ils sont moi à 20 ans, à 35 ans, à 50 ans, ils sont même moi à 5 ans alors que je me souviens avoir posé cette question à mon père : C'était quand le bon vieux temps?* (cf. Le petit déserteur).»


Les Cannibales squattent au moins une table de chevet... Et je rêve!


La nouvelle édition de mars 2009 est à mon sens plus belle, papier coquille d'oeuf, quelques petites corrections... Il en reste peut-être une vingtaine d'exemplaires en France, deux ou trois à la maison... J'essaierai de vous en garder une copie. Vous me faites trop d'honneur en lisant plus loin que ce qui est écrit.


Là-dessus, il me faut profiter du soleil, il faut m'en persuader, pour terminer une job de peinture de galerie de fer forgé...


Ça n'a jamais de fin. À part nous-mêmes.



Jacques


* Doloré, mon père avait répondu : « Le bon vieux temps, ça va être lorsque tu vas penser à ta jeunesse. »

photos jd.

6 commentaires:

Jack a dit...

j'ai reçu ce courriel de DD et ne peux quand même pas résister...

«Salut Jacques ,
Petite anecdote , j’ai eu comme technicien de studio, à une certaine époque, un des piliers de Caramel Mou, Christian Montmarquette. Je viens de reprendre contact avec lui sur Facebook. Le monde est petit.
Je me souviens aussi très bien du bar de Johnny Beauregard, ayant été DJ à ce même bar.Souvenirs , souvenirs …DD »

Sauf erreur, Christian, c'était le chanteur qui montait sur les tables en chantant, jouait de la guimbarde sur Québec Love. Ça nous avait contaminé : nous étions par après trois-quatre à jouer de la guimbarde! Puis,il y a M. qui s'était amourachée de cette comète aux cheveux dans les yeux...

Souvenirs, souvenirs.

Anonyme a dit...

Même si c'est plutôt avec ma guitare.. Il est parfaitement exact que je chantais debout sur les tables...

Ça me fait bien, bien chaud au coeur que certains se souviennent encore de ces moments trippatifs de happening musical !

Très amicalement,


Christian Montmarquette
Membre de Caramel Mou


Caramel Mou - (1974; DERAM XDEF 104)

Téléchargez l'album complet / Download the complete album :

http://rapidshare.com/files/142484335/Caramel_Mou_-_Caramel_Mou__1974_.rar

http://patrimoinepq.blogspot.com/search?q=Caramel+mou+

Jack a dit...

Christian, tu fais ma journée! Merci pour les liens de Caramel mou. De plus, je crois comprendre qu'on est du même parti! Bienvenu et au plaisir!

Jack a dit...

Souvenirs souvenirs! Étonnant les nombreux commentaires sur
http://patrimoinepq.blogspot.com/search?q=Caramel+mou+. Du coup, j'ai repéré le nom de la chanteuse de Caramel mou, petit bout de femme avec du chien que je trouvais jolie, délurée et très bonne chanteuse : Viviane Mongeau!

Anonyme a dit...

Le plaisir est pour moi Jack !


Je ne sais si nous sommes du même parti politique.. Mais, je te laisse mes articles sur le sujet..

Mais... Attention..!

- C'est comme avec le groupe...

Ça brasse ! ..lol !

Tous mes articles chez Vigile.net :

http://www.vigile.net/_Montmarquette-Christian_

Jack a dit...

Nous sommes bien du même parti.