22 décembre 2009

Tout cela révèle l'essentiel lecteur

« L'artisan des architectures limpides
se cache partout où rodent mes yeux
et se bousculent mes émerveillements »
- Émile Roberge, Sagrès, L'aube d'un siècle.




Les Poèmes cannibales (Éd. La Brochure, nouvelle édition mars 2009), toujours en appétit, se sentent bien confortés sur les rayons de la Coop entre Stéphane Despatie et Louise Desjardins.

Oups! Louise a trouvé preneur. Le voisin de droite est donc à présent Refermez avant d'allumer de Pierre Demers, un fier bleuet poète.

En tout cas, on remarquera qu'il y a du désordre dans l'alphabet du minuscule recoin poésie, mais cela n'est pas très grave. On se retrouve!

À la mesure de mes moyens artisanaux, ce fut une très bonne semaine pour les Poèmes cannibales - Loin dans ma campagne.

Il y a d'abord Jean-Luc de Granby qui me confirme s'être procuré un exemplaire à la librairie des Galeries. Merci!

De Sept-Îles, dans les beignes et les tourtières jusqu'au cou avec sa compagne, parmi quelques autres lectures en guise de souhaits dont un bout de Vautour de Christian Mistral, Gaétan me fait l'honneur de lire sur son site un passage de La coulée des angevins. C'est très très fin de sa part.



Dans ses Envapements du jour, il y a la charmante qui range les Cannibales avec les anges, les oiseaux, les fleurs de Lyse et les Hauteurs de son cœur de lectrice au cours de la dernière décennie! Merci!


Enfin, samedi dernier j'ai reçu un commentaire sous forme de
« critique littéraire » du poète Émile Roberge qui fut aussi jadis mon prof de poésie au Cégep. Comme dans la photo de L ci-haut, il y a de quoi pavoiser! Pour celles et ceux que ça intéresse, je copie-colle ce commentaire d'Émile. C'est évident que cela a fait ma journée, voire mon année au complet ! Et ce non pas uniquement parce je suis très bien reçu. Cette lecture me révèle en effet des
« pattes-d'oie » dans l'organisation de mon recueil qui dormaient dans l'ombre.Dans le sens du dépassement, c'est le genre de lecture coup de pouce qui amène plus loin.

J'espère également que cela puisse communiquer le goût à d'éventuels nouveaux lecteurs de monter dans le Train.

Merci Émile!


Poèmes cannibales
: une poésie habitée
Émile Roberge, 19 décembre 2009

J’ai lu deux fois et avec un plaisir grandissant le recueil Poèmes cannibales de Jacques Desmarais, l’un de mes talentueux étudiants, au Cégep de Granby, il y a quelques lunes.

Rien de banal, d’habituel, d’arrangé, de fignolé, de traditionnel dans ce recueil. Le lecteur doit allonger le pas et suivre hors des sentiers balisés un marcheur parfois pressé, parfois titubant, parfois sarcastique et même en colère, parfois aussi plein d’humour et de tendresse. Et ce lecteur peut s’égarer. Il y a des montées, des descentes, des falaises, des gouffres, des impasses et surtout des pattes-d’oie. On est constamment interpellé par l’imagination débridée de l’auteur. Une véritable et passionnante aventure !

« Ou bien, on se carapatera
Au pays des papillons chauffeurs de rimes
Le pied dansant pour chercher des coquillages
Ou pour cueillir les baisers des roselins
Dans nos rêves en calimaçon… »

L’écriture abonde de surprises, de spontanéités, de brisures, de désinvoltures. De pleines « chaudières de phrases
perdues » ! Les mots jouent, courent et se butent de façon inattendue. L’auteur a « le courage de twister les mots ». Exemples : « Elle écureuille Lauretteville / murs murs peinturlurés / éclisses » et « Il jéopardise / du sel de psaumes / broutés au cœur des pierres».

Que d’images doubles, étincelantes, surprenantes ! L’auteur a le don d’associer des idées qui habituellement se tournent le dos. On est subjugué par ces assemblages hétéroclites, telle cette lune à la « chevelure de Tsigane (qui) plantera des étoiles dans le chant des perdrix », tel celui qui est « saoul comme un cantique irlandais », cet autre qui « prend la noirceur par les cornes » et « cass(e) la gueule à la réalité ».

J’ai savouré l’élan, la vivacité et le cran de l’auteur et aussi son je-m’en-foutisme vis-à-vis des credos littéraires des post-modernistes et des préceptes des bien-pensants, des politiquement corrects et de « la grande bourgeoisie fuckée». Jacques Desmarais « n’a pas la chienne ».

« Et moi, sans fiorutures / Simple voyageur patenteux d’air au hasard / Incognito. »

C’est un poète campagnard que l’on accompagne. Remarquable ce Tour de chant qui est un bel hymne aux vaches. Étant moi-même originaire d’un patelin voisin de celui de l’auteur, je retrouve les mots de chez nous et nos expressions. Peu importe que des linguistes frileux les ignorent. Pour nous ils sont les plus chaleureux au monde. Mais c’est aussi un poète urbain et moderne que l’on suit et son vocabulaire dépeint remarquablement ces deux réalités de sa vie. J’ai cru déceler ici et là que c’était le campagnard qui errait sur les trottoirs de Montréal et qu’ailleurs c’était le citadin qui marchait, à Béthanie, « de la chède à la grange» et humait « la chaleur humide des bêtes ».

Ainsi dans le poème L’oiseau moqueur et le zigonneux, il semble d’abord qu’on est à Montréal : « Je suis en ville / Je suis en jazz », mais le poème oscille entre les «wall(s) de roches » et « les briques qui saignent au nom de toutes les villes » (…).

L’unité du recueil est justement constituée de cette présence constante de l’auteur, de ses deux habitats, et certes aussi de ses attitudes, de sa philosophie, de ses préoccupations sociales… Jacques Desmarais est un «Révolutionnaire tranquille, / mais sans bride / avec de grandes oreilles … ». Il est aussi « le fils acculturé, / le peintre incontinent de ce pays crochu»… «pour comploter nu-tête et rebelle». Dans Le passant, il revendique «… le droit de hennir / en pleine ballade / parmi les moutons verts de la province / avec l’espoir d’un brin d’herbe /qui se rescape /dans la fraîcheur matinale »

Dans la même veine, le magnifique poème La Tirania est un plaidoyer contre les pollueurs, les tricheurs et les tueurs de tout acabit et un appel en faveur d’un monde de paix, de justice. Dans Brume galop il pointe du doigt quelques-uns des fléaux de notre temps : « Mais sauve qui peut / les vandales, les vautours /la traite des jeunes,/ la corrompue, la politique,/ les coups de sabot,/ la drogue, la drague au fric, / la régression vaudou (…) »

Et dans L’angoisse des roches, sa révolte et sa compassion se portent sur la nature profanée :« Montagne sacreuse / dans le comté de Shefford, / transfigurée en désert, /nue de sapins, / elle jappe / en voyant dévaler sur ses flancs / les conservateurs en ski-doo ; / La piste se couche comme un chien battu… »

Parmi les poèmes que j’ai particulièrement aimés je signalerai Fumée d’un trait aux sonorités qui claquent comme des vagues :
«Pour les Piaf qui déparlent
les Places qui pigallent
Pour toutes les cigales
qui brettent et donnent à tout venant
Pour l’école à buissonner »

Puis cet autre, plein d’élan et de rythme, Le passeur

« le froid de cristal qui guette le sangPlus loin que l’ombre des valets inachevés Plus tard que la poussière de ce jour sans date Plus haut que la fumée des épinettes aux plumes d’or…Plus fou que mon cœur allumé par les rames de ton corpsPlus joyeux que le désir papillon du vent crapaud qui stance Plus joli que les traces de blanc en avrilSur les ailerons du Nord… »

C’est tout le poème qu’il faudrait citer.

Et que d’autres m’ont charmé ! la poésie pure de Kayac de mer… « la langue est un oiseau / prêté par la nuit » à moins que ce soit « un oiseau / prêté par la lumière / au bout du tunnel » ; le souffle des poèmes Hôtel Cody et Le King Staïkeul et l’atmosphère de Nova Bossa. Etc.

J’aurais voulu me taire et faire parler davantage les mots des Poèmes cannibales.
En bref, j’ai savouré la poésie de Jacques Desmarais. Je crois n’avoir jamais lu de poésie aussi originale et personnelle que celle de ce recueil. L’auteur ne se dissimule pas derrière des mots gentils, propres, officiels et souvent ternes. Il apparaît partout au grand jour, à travers les mots des siens, les mots de tous les jours.


3 commentaires:

Le Seuil a dit...

Mais c'est caïman de la collusion poétique ça ! ;-)
Dites-vous que tout tombe toujours à pic pour la poésie sur la corde raide et pour ceux qui savent la tendre...
Cannibalement vôtre.
L.

Jack a dit...

Oui, L., c'est caïman capoté. Depuis les Préludes.

Françcoys a dit...

!!!!

Super article!